Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Les Indes galantes. Photo : (c) Little Shao / Opéra national de Paris
Pour son entrée à l’Opéra
Bastille aux proportions beaucoup trop vastes pour lui, l’opéra-ballet les Indes galantes de Jean-Philippe
Rameau (1683-1764) ont été téléportées par le plasticien vidéaste Clément
Cogitore de l’apparat du Versailles de Louis XV aux danses urbaines. Malgré
cette transposition, les trois heures trente de musique et de spectacle sur le
plateau de Bastille trop spacieux pour un opéra de l’époque baroque, suscite
une désillusion scénique heureusement compensée par l’enchantement musical.
Mais côté fosse tout d’abord, Leonardo
Garcia Alarcón dirige avec allant,
énergie et un sens des contrastes et des nuances à donner le vertige qui
attribue à cette musique une couleur, une vivacité, une motricité de bon aloi.
Avec le chef cl-aveciniste argentin, pas une seconde d’ennui dans ces pages de
l’un des compositeurs les plus puissamment inventifs du XVIIIe
siècle français. A la tête de sa Cappella Mediterranea, il occupe la fosse (et
le plateau avec un trio violon, viole de gambe, clavecin) avec des instruments
d’époque et des cordes en boyau accordés à 415 Hz, ce qui met en avant les
subtilités des teintes lunaires au détriment de la brillance sonore. Cette
énergie est enrichie par ce qui constitue le principal attrait de cette nouvelle
production, le fait d’avoir convoqué la fine fleur du chant français et belge
pour ce répertoire, Sabine Devieilhe, Julie Fuchs, Stanislas de Barbeyrac,
Florian Sempey, Alexandre Duhamel… dans plusieurs rôles.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Les Indes galantes. Photo : (c) Little Shao / Opéra national de Paris
Les danseurs de la compagnie Rualité,
engagés en lieu et place des ballets baroques, proposent une avalanche de
danses de rue chorégraphiées par Bintou Dembélé enveloppées dans un écrin
baroque des plus incongrus. La mise en scène escamote une vue d’ensemble et
privilégie quelques tableaux relégués en fond de plateau constitués de
réactualisations du livret de Louis Fuzelier plutôt mince il est vrai. Les
Turcs de Rameau sont transposés chez les migrants, l’eldorado des Incas se
trouve dans la réussite médiatique, un manège pour enfant se transforme en
prison… Ce spectacle ne donne pas dans la délicatesse, mais ç’aurait pu être
pire, même si la direction d’acteur du plasticien scénographe qu’est Cogitore ne
sert pas les chanteurs, qui se retrouvent souvent en situation statique face au
public, comme s’il s’agissait d’une exécution concertante en costumes. Si les
danses sont pour le moins décalées en regard de la musique, il convient
néanmoins de saluer la prise de risques des danseurs, qui assurent des voltiges
et des figures chorégraphiques de haute virtuosité avec une assurance
époustouflante.
Dans le Prologue la déesse de la jeunesse Hébé, la merveilleuse Sabine
Devieilhe organise un défilé de mode interrompu par Bellone, déesse de la
guerre, qui habille en CRS plusieurs danseurs. La première Entrée (le Turc généreux) suscite une obscure
variation sur la tragédie des migrants qui meurent en traversant la
Méditerranée, avec épave arrachée d’un cratère par un immense bras hydraulique
planté au beau milieu de plateau avant d’être enveloppée de couvertures de
survie, tandis qu’Emilie (Julie Fuchs, magique) invite les naufragés à
reprendre la mer. Les Incas du Pérou
sont un banal affrontement entre populations urbaines et forces de l’ordre avec
tentative maladroite de réhabilitation du grand-prêtre Huascar (Alexandre
Duhamel), et transformation de l’éruption volcanique précipitée par ses
manœuvres en battle anodine. Les
Fleurs, fête persane a
pour cadre le le quartier rouge d’Amsterdam où les jeunes prostituées sont
exposées dans des vitrines, puis, une fois que les couples formés, dans un
jardin pour enfants avec manège et phalène-fantôme suspendue dans les airs. Enfin,
Les Sauvages mettent en cage le héros
indigène, Adario (Florian Sempey), tandis que le Portugais Don Alvar (Alexandre
Duhamel) et le Français Damon (Stanislas de Barbeyrac) se disputent les faveurs
de la fiancée d’Adario, Zima (Sabine Devieilhe), habillée en pom-pom girl. Pour
clore cette entrée, la Danse du calumet de la paix, assez irrésistible…
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Les Indes galantes. Photo : (c) Little Shao / Opéra national de Paris
Pour ce qui concerne la seconde partie du genre « opéra-ballet »,
si la diversité des danses de rue est bel et bien présente (je laisse aux
spécialistes dont je ne suis pas le soin d’énumérer la diversité présumée des
styles), l’on ne peut qu’être admiratif devant les mouvements et les acrobaties
qui s’amoncèlent dans la chorégraphie de Dombélé, bien qu’elles ne puissent
combler les vides d’une mise en scène sans direction d’acteur au sein d’un
espace bien trop vaste. Mais les chanteurs n’hésitent pas à donner de leurs
personnes en se mêlant aux danseurs, sans pour autant parvenir à fusionner tous
les tenants du spectacle…
Heureusement, côté distribution, rien à redire. Au
contraire. Sabine Devieilhe impose sa voix délicate dans trois personnages
très différents, qu’elle habite tous avec la même intensité. Jodie Devos
convainc dès son apparition en lumineux Amour, et Julie Fuchs instille tour émotion
et malice à la courageuse Emilie et à la piquante Fatime. Côté hommes, Mathias
Vidal se taille la part du lion, sans faire pour autant de l’ombre à Stanislas
de Barbeyrac, Alexandre Duhamel et Edwin Crossley-Mercer. Peu à l’aise en
Bellone, Florian Sempey est un formidable Adario et son duo avec Sabine
Devieilhe est un moment de pur bonheur. Leonardo García Alarcón laisse le
public applaudir longuement la Danse du Calumet de la paix. Il obtient ainsi
toute l’attention requise lorsque la musique reprend, laissant ainsi
l’auditoire goûter les beautés de la longue Chaconne finale, tandis que tous
les danseurs et chanteurs remontent par le cratère du volcan central, et
viennent s’asseoir les uns à côté des autres comme pour une photo de famille.
S’ensuit un tonnerre d’applaudissements,
preuve que ces artistes éloignés des codes de l’opéra savent susciter
l’engouement du public...
Bruno Serrou
Bonjour, bonjour vous êtes bien bon cher ami . A part la musique et les voix si belles, le seul moment mémorable dans ce spectacle me semble la mélodie de Phani avec la flûte et le vertigineux solo de breakdance ! Je vais tâcher de vous lire plus souvent Amitiés. Marie-Luce Mâche
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