mercredi 20 février 2019

Wolfgang Rihm a été le compositeur central de la vingt-neuvième édition du festival de création musicale Présences de Radio France


Paris. Maison de la Radio. Grand Auditorium de Radio France. Du mardi 12 au dimanche 17 février 2019. Compte-rendu des concerts des 12, 14 et 15 février 22019, 20h.

Wolfgang Rihm (né en 1952). Photo ; (c) Maxppp / Rolf Haid

Portrait de Wolfgang Rihm

Après le Britannique Thomas Ades, le Hongrois Péter Eötvös, le Polonais Krzysztof Penderecki, le Finlandais Esa-Pekka Salonen, l’Allemand Hans Werner Henze, les Français Oscar Strasnoy et Thierry Escaich entre autres, Présences de Radio France consacre l’essentiel de son édition 2019 à l’Allemand Wolfgang Rihm (voir interview http://brunoserrou.blogspot.com/2018/04/wolfgang-rihm-cinq-questions-au.html). « L’on ne peut pas parler à mon propos d’un style unique, et je refuse que me soit m’accolée une quelconque étiquette. Je fais au contraire de la musique dans divers styles parce que si je n’obéissais qu’à un seul, mon œuvre serait beaucoup moins riche, je n’aurais pas écrit autant parce que je n’aurais eu qu’un seul point de départ stylistique. Mais comme je dialogue et commente ma musique avec ma musique, je change continuellement de style. » Aux côtés de son aîné Helmut Lachenmann, Wolfgang Rihm est le compositeur-phare de la musique en Allemagne contemporaine. Il est aussi le plus prolifique, avec plus de 400 œuvres à son catalogue. C’est hélas en son absence qu’une sélection de ces dernières est donnée, le compositeur étant souffrant.

Né en 1952 à Karlsruhe où il enseigne, Rihm dévore la vie à pleine dents, toujours le visage gouailleur et le rire sonore. « Je ne tiens pas à parler de ma musique, prévient-il. Je la traite en l’écrivant, et si je dois la commenter, c’est en composant. Je suis un homme d’action, et ma façon d’agir est d’écrire de la musique. » Il ne revient jamais sur ses œuvres, et il ne regrette pas d’avoir écrit l’une d’elles. « Je ne compose pas pour l’éternité dans la mesure où je crée au présent. Après, on verra ce qui reste ou pas de moi, mais ce n’est pas à moi de faire mon choix parce que tout est pour moi ma vérité. » Contrairement à beaucoup de ses confrères, Rihm vit quasi exclusivement de sa musique. « Ma vie m’accapare selon mon souhait d’avoir une vie privée. Le fait que je ne sois ni chef d’orchestre ni instrumentiste joue sans aucun doute un rôle pour moi. Je tiens mes séminaires à Karlsruhe, j’y reçois des visiteurs du monde entier et j’y vis exclusivement pour mon œuvre. J’ai ainsi plus de temps pour composer, et je ne considère pas l’enseignement comme une activité qui prend du temps. Je voyage de moins en moins. Je reste donc chez moi, et je prends le temps d’écrire. Lorsque je suis dans un train, je travaille tout le temps. Ma tête ne cesse de travailler, même si je ne suis pas toujours devant une feuille de papier. J’aime être balancé par le rythme du train, dont les oscillations résonnent dans ma tête. Et lorsque je me mets à ma table de travail, je suis très concentré. Une fois que je commence, je m’y mets vraiment, et j’aime écrire, et c’est en travaillant beaucoup que j’arrive à faire beaucoup. »

C’est donc un petit panel des œuvres de Rihm qui est présenté en une semaine à Radio France. Le festival a donné des créations mondiales et françaises, et des pages plus connues, en tous genres, symphonique, musique de chambre, à l’exception de l’opéra, qui reste encore à découvrir en France, à l’exception de Jacob Lenz, régulièrement donné en France. Ces œuvres comme de coutume à Présences ont été mises en regard de partitions d’autres compositeurs d’aujourd’hui.

°       °
°

Compte-rendu de trois concerts donnés Grand Auditorium de Radio France

Quinze concerts en six jours de festival consacré à la musique contemporaine à Radio France, c’est moins que Musica à Strasbourg ou les Manca de Nice, pour n’évoquer que quelques manifestations annuelles, mais c’est ce qui reste des deux semaines de Présences créé en 1991 par Claude Samuel.

De la triade de concerts entendus, seul le dernier m’a permis d’écouter d’authentiques chefs-d’œuvre, dont deux de Wolfgang Rihm. La soirée inaugurale réunissait des pièces pour piano et percussion. Retenu chez lui à Karlsruhe pour cause de maladie, Wolfgang Rihm a été malgré lui absent de cette édition dont il était l’invité central. Il n’a pas non plus pu honorer les commandes que lui avait passées Radio France pour l’occasion. Ainsi, en lieu et place de la nouvelle pièce pour piano annoncée, Bertrand Chamayou s’est rabattu sur la Sixième Klavierstücke que Wolfgang Rihm a composé en 1977-1978. Une partition déjà impressionnante qui impose la griffe de l’auteur, alors âgé de 25 ans, des grandes œuvres qui forment le jalon de sa création et de laquelle Chamayou a donné une lecture inventive et chatoyante. Eminent connaisseur de la percussion, Hugues Dufourt (1943) s’avère en-deçà de sa créativité dans L’Eclair d’après Rimbaud de 2014 dont Bertrand Chamayou, Vanessa Benelli Mosell, Florent Jodelet et Adélaïde Ferrière n’ont pas pu restituer la violence, le « feu dévorant » annoncé par le compositeur qui a tiré ces pages d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud. Moins convainquant encore, le formidable Refrain pour piano et percussion que Karlheinz Stockhausen (1928-2007) a composé en 1959. Vanessa Benelli Mosell et Florent Jodelet en ont donné une juste interprétation linéaire et annonciatrice du minimalisme, mais amoindrissant l’inventivité sonore et les reliefs de cette page à l’aléatoire limité. Ce premier concert s’est conclu sur la création mondiale de Martin Matalon (1958) d’Atomization, Loop & Freeze pour trois pianos et trois percussionnistes (un de plus dans chacun des pupitres que pour la Sonate de Bartók). Dans les sept sections de cette œuvre de 2018, le compositeur argentin retrouve les préoccupations qui jalonnent sa création entière, pulsation, pulsation atomisée, pulsation fantôme, flux aléatoire et structuré, temps flottant, chaque section étant nettement définie par quatre éléments, l’articulation du temps, le traitement de la ligne, l’idée formelle et la dynamique, ce qui n’empêche pas l’unité de la partition qui ne présente aucune rupture nette. Sous la direction du compositeur, Bertrand Chamayou, Vanessa Benelli Mosell, Sébastien Vichard (pianos), Florent Jodelet, Adélaïde Ferrière et Eve Payeur (percussion) ont su donner la quintessence de cette pièce, qui s’avère moins marquante que la plupart des œuvres de Matalon.

Comme c’est souvent la cas, les programmateurs de Présences de Radio France sont tombés dans le piège de la comparaison de Wolfgang Rihm avec Pascal Dusapin (1955). Certes, les deux compositeurs s’imposent par leur corpulence assez comparable, mais leurs univers et leurs conceptions de la musique sont fort éloignés les uns des autres. C’est avec Uncut, Solo pour orchestre n° 7 du compositeur français qu’a commencé le concert du 14 février confié à l’Orchestre National de France dirigé par Nicholas Collon. Un court mais dense monobloc tonitruant de 2008-2009 doté d’une orchestration compacte pour un orchestre fourni (bois et cuivres par quatre, six cors, tuba, deux percussionnistes, soixante instruments à cordes) dont les sons sont projetés de façon unidirectionnelle à la face du public. Le Concerto pour piano et orchestre n° 2 de Wolfgang Rihm n’est pas du meilleur du compositeur qui, dans ses plus de quatre cents opus, n’enchaîne pas les chefs-d’œuvre, mai qui pourrait lui en vouloir tant il sait aussi donner des pièces majeures qui forment autant de jalons de la musique de notre temps. Malgré son incontestable talent, Tzimon Barto n’a pas convaincu dans cette œuvre qu’il a pourtant créée au Festival de Salzbourg le 24 août 2014 sous la direction de Christoph Eschenbach. Il n’a pas témoigné davantage de bon goût et de sens de la transition en donnant un bis un Nocturne de Chopin sans rapport avec le concerto et qui plus est joué de façon mielleuse et à peine audible. Pas plus convaincant le Why so Quiet d’Yves Chauris (1980) composé en 2014-2015, ni même Transitus de Rihm créé le 5 mai 2014 à La Scala de Milan sous la direction de Riccardo Chailly.

En revanche, le concert du 15 février, dont les changements de plateau ont doublé la durée, est à marquer d’une pierre blanche. Passons rapidement sur la création du charmant et souriant Fantaisie-Concerto pour alto et orchestre commandé à Graciane Finzi (1945) en 2016 par Radio France interprété avec allant par Marc Desmons. Le reste du programme a démontré combien la musique d’aujourd’hui peut être inventive, originale, puissante, porteuse d’avenir. A commencer par le bouleversant De Profundis d’après le Psaume 130 donné en première audition française que Wolfgang Rihm a composé en 2015. Autre création en France, le remarquable In-Schrift II du même Rihm. Commande de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, qui l’a créé le 20 octobre 2013 sous la direction de Simon Rattle à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’inauguration de la Philharmonie de Berlin, cette partition de seize minutes pour grand orchestre (flûte alto, deux hautbois, sept clarinettes, six bassons, six cors, quatre trompettes et trombones, deux tuba, percussion, piano, harpe, violoncelles, contrebasses) est particulièrement ambitieuse, autant sur le plan sonore que sur la répartition dans l’espace de l’exécution. Rihm n’est assurément pas le seul compositeur à avoir de telles préoccupations, mais In-Schrift II, peut-être en raison de sa brièveté, donne une impression d’immédiateté et de profondeur qui le distingue des œuvres de notre temps. Si cette répartition dans l’espace ne constitue pas une nouveauté, l’œuvre sonne de façon particulièrement originale, rien ne paraissant vraiment familier à l’écoute. L’univers sonore de Rihm est remarquablement immersif et captivant, notamment par la prépondérance des instruments les plus graves de l’orchestre, d’où les violons et les altos sont exclus, la famille des flûtes étant représentée par une unique alto, qui côtoie pas moins de six clarinettes, avec trois bongos dispersées dans les hauteurs de la salle au-dessus du public, six bassons (dont quatre contrebassons), quatre trombones et deux tubas). Une page aussi inventive et exaltante que l’immense chef-d’œuvre Jagden und Formen pour orchestre (1995-2008).

Autre page majeure, cette fois de la fin du XXe siècle, donné en conclusion de ce concert, l’impressionnant Formazioni pour chœur mixte et grand orchestre de Luciano Berio (1925-2003) créé le 15 janvier 1985 par son commanditaire, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam dirigé par Riccardo Chailly qui l’ont enregistré chez Decca avec la Sinfonietta. Si l’orchestre est « habituel », sa répartition est pour le moins inhabituel. L’objet de Formazioni est les relations au sein des familles traditionnelles d’instruments et les rôles qu’ils sont appelés à jouer sont définis de façon nouvelle. A gauche, à l’avant, et à droite, à l’arrière, deux groupes d’instruments à vent, avec deux groupes de cuivres placés à droite et à gauche au centre. Un groupe de cinq clarinettes et contrebasses est placé au centre sur le devant du plateau entouré de violons et d’altos. Berio a qualifié les cordes de « ciment souvent caché », les violons cèdent leur place aux contrebasses. Les instruments les plus graves sont assis au plus près du chef d’orchestre, tandis que les plus aigus sont à l’arrière. Cette spatialisation suscite une nouvelle perspective acoustique, avec l’interaction incessante entre des blocs de sons massifs et des passages de musique de chambre. Ainsi, Formazioni constitue pour les interprètes une véritable gageure, autant pour les pupitres solistes que pour le collectif de l’orchestre et du chœur. Il convient donc de saluer l’exceptionnelle réalisation du Chœur de Radio France et de l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé avec une rigueur, une énergie, une maîtrise éblouissante par le chef argentin Alejo Pérez.

Bruno Serrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire