lundi 11 février 2019

Legrenzi et sa « Divisione del mondo » révélés par Christophe Rousset à l’Opéra de Strasbourg


Strasbourg. Opéra national du Rhin. Vendredi 8 février 2019

Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Venus (Sophie Junker) met le feu à l'Olympe. Photo : (c) Klara Beck

Christophe Rousset ressuscite à l’Opéra du Rhin un opéra du compositeur vénitien Giovanni Legrenzi, La divisione del mondo qui donne de l’Olympe une vision libertine et pleine d’humour en plus de quatre-vingts airs et ensembles.

Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Photo : (c) Klara Beck

Héritier de la tradition initiée par Claudio Monteverdi, poursuivie par Francesco Cavalli, Giovanni Legrenzi (1626-1690) reste aujourd’hui méconnu alors qu’il fut en son temps l’un des musiciens les plus renommés d’Europe, au point d’influencer jusqu’à Jean-Sébastien Bach et Antonio Vivaldi. La divisione del mondo (1675) est le quatrième de ses dix-huit opéras. Contrairement à ses aînés, adeptes du recitar cantando (parlé chanté), Legrenzi alterne le récitatif et l’aria plus ou moins brefs, infiniment plus inventifs et variés que ceux de Haendel, car associant solos, duos, trios, quatuors et ensembles, et faisant fi de tout da capo. Ainsi, plus de quatre-vingts airs forment l’ossature de La divisione del mondo, drame musical en trois actes sur un livret de Giulio Cesare Corradi. Cet opéra à douze personnages conte l’histoire de la division du monde après la défaite de Titan par les dieux de l’Olympe sous la conduite de Zeus/Jupiter. La déesse Vénus est le personnage-clef, car il suscite une série de tentations qui entraîne les dieux dans la débauche, à l’exception notable de Saturne.

Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Photo : (c) Klara Beck

Loin des machineries qui firent le succès de l’œuvre à sa création au Teatro San Salvador de Venise le 4 février 1675, la production particulièrement lisible présentée par l’Opéra du Rhin est mise en scène avec humour et habileté par Jetske Mijnssen dans un décor unique d’Herbert Murauer extrêmement efficace tant il autorise toute la magie du théâtre. La metteuse en scène hollandaise, découverte en France à Nancy en 2016 avec l’Orfeo de Luigi Rossi, joue avec esprit et délicatesse des jeux érotiques des dieux, évitant soigneusement la gaudriole et attestant d’un sens de la direction d’acteur singulièrement efficace. Dans des costumes contemporains mais seyants de Julia Katharina Berndt, les douze chanteurs réunis sur le plateau de l’Opéra de Strasbourg jouent avec malice cette parodie sérieuse de la mythologie grecque, qui n’est pas sans rappeler celle du Walhalla, mais en plus radieux. 

Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Venus (Sophie Junker) et Mars (Christopher Lowrey). Photo : (c) Klara Beck

Sophie Junker est une Vénus énergique et fort séduisante, autant par sa silhouette que par sa voix. A l’instar de Sotaya Mafi, Diane tout aussi aguichante et à la voix juvénile. Julie Boulianne est une Junon, à la fois sœur et épouse de Jupiter, vindicative parfois criarde mais irrésistible. Ada Elodie Tuca et Alberto Miguélez Rouco sont des Amour et Discorde entreprenants. Les frères Jupiter (Carlo Allemano, ténor), Neptune (Stuart Jackson, ténor), Pluton (André Morsch, baryton) et Apollon (Jake Arditti, contre-ténor) sont des divinités délurées et gaiment dupées, tandis que leur père, Saturne (Arnaud Richard, baryton-basse), claudiquant et poussant continuellement son épouse Rhéa toute tremblante sur un fauteuil roulant, est inénarrable.

Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Venus (Julie Boulianne)) et deux de ses frères. Photo : (c) Klara Beck

Dans la fosse, Christophe Rousset et ses Talens lyriques donnent à cette partition colorée une ductilité et une énergie singulièrement communicative. Ils servent cette œuvre méconnue avec un soin constant et une fraîcheur enjouée. Un pur joyau de l’ère baroque qui devrait connaître le renouveau.

Bruno Serrou

Jusqu’au 16 février Opéra de Strasbourg, du 1er au 3 mars La Sinne de Mulhouse, le 9 mars Théâtre de Colmar, du 20 au 27 mars Opéra de Nancy, les 13 et 14 avril Théâtre du Château de Versailles

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