jeudi 22 février 2018

Franco Donatoni (1927-2000), portrait d'un compositeur facétieux

Franco Donatoni (1927-2000). Photo : DR

Né à Vérone le 9 juin 1927, mort à Milan le 17 août 2000, le compositeur italien Franco Donatoni est aujourd’hui trop négligé. Pourtant, enseignant dès 1953 au Conservatoire de Bologne et jusque peu avant sa disparition, particulièrement à l’Accademia Chigiana de Sienne, trois générations au moins de compositeurs lui doivent beaucoup, de Giuseppe Sinopoli à Esa Pekka Salonen, d’Ivan Fedele à Magnus Lindberg, de Fausto Romitelli à Pascal Dusapin. Je l’avais rencontré à Strasbourg à l’occasion de la création d’Alfred, Alfred, opéra comique en sept scènes et six intermèdes, commande du Festival Musica créée en septembre 1998, peu après une première attaque cérébrale, la seconde devant l’emporter moins de deux ans plus tard. Il a laissé à la postérité près de deux cents œuvres composées entre 1950 et 2000.  

Photo : (c) Max Nyffeler Klein / Kairos Music

« Je n’aime pas l’opéra. J’en ai trop vu dans mon enfance dans les Arènes de Vérone. Les Nabucco, Carmen et autre Aïda avec les interminables entractes pour la bière, basta ! Surtout “Aïda”, avec la smala de dromadaires et éléphants abrutis de pilules antistress et dont les déjections étaient ramassées par des figurants alors que les danseurs marchaient dedans... C’était tellement drôle qu’il m’est depuis impossible de prendre l’opéra au sérieux ! »

Photo : (c) Universal Music Publishing

Voilà pourquoi, malgré un esprit si profondément italien et une création si naturellement lyrique, Franco Donatoni n’avait jamais songé écrire d’opéra. Personnage fellinien – le cinéaste ne s’y trompa pas lorsqu’il lui proposa un essai –, justement considéré comme l’un des plus grands compositeurs de l’Italie du second vingtième siècle, compagnon d’études de Berio, partenaire d’agapes de Maderna, professeur universellement célébré – il compte plus de 800 élèves, dits Donatonini, « ce qui, conteste-t-il, n’est pas juste puisque je me suis surtout attaché à les aider à devenir eux-mêmes » –, Donatoni vient de donner au festival Musica de Strasbourg la création de son première œuvre scénique, Alfred, Alfred.

Photo : DR

Mais Donatoni refuse d’attribuer à cette amère pochade le nom d’opéra, lui préférant celui de théâtre musical. « Je n’ai pas les qualités requises pour l’opéra, assure-t-il. Alfred, Alfred est le théâtre de la vie. Un soir de 1992, lors d’un séjour à Melbourne, je suis tombé dans un coma diabétique. Heureusement, mon élève et ami Riccardo Formosa a immédiatement identifié mon mal et m’a fait conduire à l’Alfred Hospital. Je pesais cent vingt cinq kilos. Je mangeais énormément : c’est difficile de résister aux spaghettis, à la Pancetta... c’est si bon ! L’idée de ma pièce était dans l’hôpital. Tout y était blanc, murs, lits, accessoires médicaux, médecins, infirmières ; les femmes ne cessaient de nettoyer ce qui était déjà propre. Et je restais au lit, incapable de mettre un pied par terre. Je n’avais rien d’autre à faire que de regarder ce qui se passait autour de moi, à enregistrer ce que j’entendais et qui était déjà théâtre. Après dix jours de ce régime, je me suis enfui. » Achevé voilà trois ans (1995), Alfred, Alfred est une commande du festival Musica de Strasbourg. Son auteur s’étonne de la brièveté de son ouvrage, au point qu’il lui a associé un prologue filmé construit autour d’entretiens avec lui-même pour occuper le temps d’une soirée et éviter que l’on y accole un autre ouvrage. Quant à la musique, rien de bien neuf. N’ayant eu « aucune envie d’écrire une musique originale », Donatoni a repris l’une de ses œuvres maîtresses, Refrain (1986), intégré les éléments d’un ensemble de treize instruments, avec mandoline et clavecin pour souligner le baroque de la situation, plaqué les voix par-dessus et réparti le tout en sept scènes et six intermèdes volubiles accompagnés par un seul instrument et auxquels il a ajouté un octuor vocal final fugué façon Falstaff de Verdi. Huit chanteurs auxquels s’ajoute le compositeur, qui tient son propre rôle d’acteur/témoin, seule tâche de couleur de ce spectacle amère, qui interroge sur la création et son utilité, alors même que Donatoni croit à la pérennité de la musique dite « savante ». Regrettons cependant l’usage systématique de la référence à l’opéra du passé, collages et citations s’avérant être un mal du siècle qui, depuis plusieurs lustres, semble cacher soit un complexe d’infériorité mélodique par rapport aux maîtres d’antan soit un carence d’inspiration. Pour sa première mise en scène lyrique, André Wilms a produit un spectacle luxueux mais vivant et a réussi à maîtriser l’ « électron libre » Franco Donatoni.


Bruno Serrou 

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