Evian (Haute-Savoie). Rencontres Musicales d’Evian. Grange au Lac,
Théâtre du Casino. Samedi 1er, dimanche 2 et lundi 3 juillet 2017
Evian, Grange au Lac vue de l'extérieur. Photo : (c) Bruno Serrou
Un quart de siècle après son
inauguration, la Grange au Lac garde toute sa magie. Conçue par l’architecte Patrick Bouchain à la
demande d’Antoine Riboud, propriétaire des sources de la
ville d’eau savoyarde, « pour que [son] ami Mstislav Rostropovitch se
sente chez lui », cette salle toute en bois prévue pour tenir vingt ans
sonne toujours comme un énorme violoncelle, les modifications et consolidations
pour la pérenniser n’ayant aucune emprise sur elle.
Evian, Grange au Lac. La scène. Photo : (c) Bruno Serrou
En cette année anniversaire de l’immense
violoncelliste russe né en 1927 et mort en 2007, les quatre directeurs
artistiques des Rencontres musicales, tous membres du Quatuor Modigliani, ont
invité tout un éventail de grands violoncellistes représentants de toutes les
générations, du maître américain Lynn Harrell à Aurélien Pascal, lauréat du
Concours Reine Elisabeth de Bruxelles. Pour leur quatrième édition à la tête du
festival après quinze ans d’interruption, les Modigliani reprennent le flambeau
de l’Académie fondée par Rostropovitch.
Evian, Théâtre du casino vu de l'extérieur. Photo (c) Bruno Serrou
Mais au lieu d’un échange avec
l’Institut Curtis de Philadelphie, c’est désormais une académie propre à Evian
et la création de l’Evian Chambre Orchestra. « Nous commençons avec une
dizaine de jeunes instrumentistes à cordes recrutés dans le monde entier,
précise l’altiste Laurent Malfaing. Ils viennent ici dix jours pour travailler
un programme avec de grands aînés, cette année Gérard Caussé et Lynn
Harrell. » La sélection se fait par cooptation, en collaboration avec la
Fondation Reine Elisabeth de Belgique. « Nous allons voir ce que cela
donne à l’issue du concert que ce premier ensemble présentera en fin de
festival, tempère le violoncelliste François Kieffer. Au programme,
l’arrangement de Mahler du Quatuor à
cordes op. 95 de Beethoven et le Rondo de Schubert avec la violoniste
japonaise Sayaka Shoji. »
Evian, Théâtre du Casino. Le cadre de scène. Photo : (c) Bruno Serrou
A terme, les Modigliani envisagent un orchestre
de formation dite Mozart, avec bois, cuivres et timbales, et qui puisse se
pérenniser en portant le renom d’Evian en donnant des concerts dans le monde.
« Nous aimons aussi susciter des rencontres entre musiciens qui n’ont
jamais eu l’occasion de travailler ensemble, comme le violoncelliste Henri
Demarquette et le pianiste Jean-Frédéric Neuburger, imaginer des thématiques,
des programmes, en proposant à chacun des œuvres qu’ils associent avec celles
qu’ils aiment », s’enthousiasme Malfaing.
Evian, Hôtel Royal, centre des Rencontres musicales d'Evian. Photo : (c) Bruno Serrou
L’édition 2017 consacrée au romantisme
allemand s’est ouverte le 1er juillet devant plus de mille auditeurs
venus des environs du lac Léman, de vacanciers et de fidèles des Rencontres,
jusqu’aux Etats-Unis et à l’Asie. Ce sont les hôtes du festival qui ont fait le
spectacle avec Nicholas Angelich dans une remarquable monographie Schumann, un
dense Quatuor à cordes n° 3, de
poétiques Scènes d’enfants par un
Angelich au toucher aérien, et un somptueux Quintette
avec piano.
Nicholas Angelich et le Quatuor Modigliani. Photo (c) Bruno Serrou
Puis, à raison de deux rendez-vous par jour, le premier concert de
dimanche a réuni deux musiciens de renom qui jouaient ensemble pour la première
fois, le violoncelliste Henri Demarquette et le pianiste Jean-Frédéric
Neuburger dans des pages de Brahms.
Henri Demarquette et Jean-Frédéric Neuburger. Photo : (c) Bruno Serrou
Moins convainquant malgré un Orchestre des
Pays de Savoie dirigé avec brio par Nicolas Chalvin, les prestations du
violoniste coréen Ray Chen dans le Concerto
n° 2 de Mendelssohn, trop retenu, et de son compatriote Seong-Jin Cho,
dernier vainqueur du Concours Chopin, dans le Concerto n° 2 de Chopin, trop froid.
Nicolas Chalvin, Ray Chen et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou
Dans le charmant Théâtre du Casino où
Mstislav Rostropovitch donnait ses cours de maître à des étudiants du Curtis
Institute, et où j’ai pu entendre quelque créations voilà une vingtaine d’années,
notamment d’un opéra d’une élève de l’institution pédagogique dont je ne me
souviens pas du nom mais seulement du titre, puisqu’il s’agissait d’une adaptation
de la nouvelle d’Edgar Allan Poe la Chute
de la maison Usher, le Quatuor Modigliani organise les « concerts de
midi ».
Adam Laloum. Photo : (c) Bruno Serrou
Mardi, Adam Laloum a donné deux Sonates n° 21 créées à Vienne, la Waldstein de Beethoven (1803-1805) et la dernière pièce du genre de
Schubert (1828). Comme intimidé par la création du Titan de Bonn, le jeune
pianiste a proposé une Waldstein sans panache ni engagement, pour ne pas écrire
terne et contrainte. En revanche la si
bémol majeur D. 960 de Schubert s’est imposée par sa mélancolie contenue,
son humanité, le lyrisme du mouvement lent.
Howard Arman, Martin Helmchen, Krešimir Stražanac, Nicholas Angelich, Rachel Harnisch (de gauche à droite), et le Choeur de la Radio bavaroise. Photo : (c) Bruno Serrou
Mardi soir, la Grange au Lac
accueillait l’un des plus grands chœurs professionnels au monde, le Chor des
Bayerischen Rundfunks (Chœur de la Radio bavaroise) dirigé par son directeur
musical, le chef de chœur britannique Howard Arman dans la version pour deux
pianos d’Un Requiem allemand de
Johannes Brahms. Cette formation unique sans équivalent en France a admirable
servi une musique dans laquelle elle excelle, donnant à cette œuvre au
caractère funèbre tout sa tendresse et sa grandeur humble et lumineuse, tant
elle est emplie d’espérance et d’humanité. Soutenu et dialoguant avec un duo de
pianistes remarquables, le Berlinois Martin Helmchen au premier piano, et l’Américain
Nicholas Angelich au second qui ont magistralement mis en exergue le nuancier
sombre et charnel des textures de l’orchestre brahmsien, tandis que les deux
jeunes solistes vocaux, la soprano Rachel Harnisch, intense et nuancée, et l’impressionnant
baryton-basse croate Krešimir Stražanac, voix ample, colorée, diction impeccable, se sont
révélés magnifiques d’engagement et de vocalité.
Bruno Serrou
Jusqu’au 9/07 à raison de 2 concerts par
jour. www.rencontres-musicales-evian.fr. Les
concerts sont retransmis en direct sur Radio Classique
Article
en partie publié dans le quotidien La Croix
du 4 juillet 2017
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