Genève (Suisse). Opéra. Théâtre des Nations. Lundi 12 septembre 2016
Photo : (c) GTG / Carole Parodi
Après Olympia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach et Lulu de Berg dans les années 2000, Patricia
Petibon retrouvait Olivier Py à Genève pour une Manon de Jules Massenet stupéfiante. Manon est l’un
des opéras français les plus populaires. Il a presque à lui seul forgé la
réputation du compositeur, dix ans avant Werther
et douze ans avant Thaïs. Cette œuvre
en cinq actes repose sur un livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille adapté du
roman-mémoires de l’abbé Prévost (1697-1763), l’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, sans doute
inspiré de ses propres aventures et que le Parlement de Paris fit saisir et
condamner à l’autodafé par deux fois.
Photo : (c) GTG / Carole Parodi
A Genève,
Olivier Py et son scénographe Pierre-André Weitz transposent l’action dans une
rue de Chicago des années 1930 bordée d’hôtels borgnes, de tripots clandestins,
de night-clubs du temps de la prohibition. Comme c’est souvent le cas, le
metteur en scène français trouve aussi dans Manon
le sens de la fête, de la fresque et du drame. Sur un plateau saturé d'accessoires, tandis que des silhouettes noires
poussent furtivement un décor cadre de scènes de la vie quotidienne d'une
mégapole comme autant de plans simultanés de film, Py ajoute une guirlande de personnages venus du chœur
ou muets, tous plus colorés les uns que les autres, adjoignant en outre des
danseurs, le plus souvent nus. Ce qui laisse désormais le public genevois de
marbre, tant Py l’a habitué depuis 15 ans à cette condition. Finement
portraiturée par Py, ardente et passionnée, pleine de panache, la jeune Manon
est attendrissante et débordante de vie, un être libre, innocent et sans
calcul. Autour d’elle, un monde d’hommes plus nuisibles et lâches les uns que
les autres. Ce qui fait de la sacrifiée la sœur de Carmen et Lulu.
Jules Massenet (1842-1912), Manon. Paricia Petibon (Manon, Bernard Richter (Chevalier Des Grieux). Photo : (c) GTG / Carole Parodi
Magnétique et sensuelle, voix
lumineuse, corsée, égale, flexible, Patricia Petibon est une fascinante Manon.
La prestance juvénile, mobile et d’une agilité féline, la soprano colorature
embrase le plateau. Face à elle, un séduisant chevalier Des Grieux, Bernard
Richter, noble et empressé. Voix suave et éclatante, le ténor suisse est d’une
grande musicalité. Pierre Doyen est un Lescaut puissant et sans vergogne,
Rodolphe Briand, excellent comédien et ténor à la voix de caractère, est un
Cuillot de Morfontaine venimeux. Les rôles secondaires sont bien tenus, avec
notamment un avenant trio de grisettes (Seraina Perrenoud, Mary Feminear,
Marina Viotti), un mordant Brétigny (Marc Mazuir). Seul, de cette distribution
à l’articulation impeccable, la basse hongroise Balint Szabo dénote en Comte
Des Grieux, avec son français chancelant et sa voix chevrotante. Le chœur et
surtout l’Orchestre de la Suisse Romande rutilent sous la direction fébrile du
chef slovène Marko Letonja.
Bruno Serrou
Article paru dans le quotidien La Croix du 19 septembre 2016
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