jeudi 22 septembre 2016

Avec Eliogabalo dirigé avec allant par Leonardo García Alarcón, Cavalli investit enfin l’Opéra de Paris

Paris. Opéra de Paris-Garnier. Lundi 19 septembre 2016.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

L’un des plus grands compositeurs d’opéra du seicento, Francesco Cavalli (1602-1676), entre enfin à l’Opéra de Paris, trois cent quarante ans après sa mort. Il fut pourtant choisi par le cardinal Mazarin pour composer un opéra en vue des célébrations du mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne, Marie-Thérèse le 9 juin 1660. En naîtra Ercole amante (Hercule amoureux), créé Théâtre des Machines du Louvre à Paris le 7 février 1662, avec des ballets ajoutés confiés à Jean-Baptiste Lully. Malgré la forte réputation internationale du Vénitien, les velléités du jeune florentin de trente ans son cadet allaient rapidement avoir raison de l’aîné, qui retourna à Venise pour y terminer ses jours.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

C’est avec Eliogabalo (Héliogabale), le dernier de ses opéras dont la musique a été préservée (les deux ultimes ouvrages scéniques sont perdus), que Cavalli fait son entrée à l’Opéra de Paris, trente-cinq ans après la reprise à trois siècles de distance d’Ercole amante au Théâtre du Châtelet dans une production venue de l’Opéra de Lyon dirigée par Michel Corboz et mise en scène par Jean-Louis Martinoty. Ecrit sur un livret d’un auteur anonyme, jamais représenté du vivant du compositeur (il ne sera créé qu’en 1999 pour l’inauguration du nouveau Teatro San Domenico de Crema), Eliogabalo plonge dans l’histoire, en puisant sa source dans l’antiquité romaine, au début du troisième siècle de notre ère, à l’instar du Couronnement de Poppée (1642) de Claudio Monteverdi, qui fut le maître de Cavalli.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Noircie par les historiens, la biographie de l’empereur Héliogabale (204-222), qui régna moins de quatre ans avant d’être assassiné par la plèbe, est sulfureuse. Prodigue et démagogue, allant jusqu’à imposer le culte solaire, gouverné par sa grand-mère et sa mère à qui il laissa le pouvoir, la légende veut qu’il eût une sexualité ambiguë, étant davantage attiré par les hommes que par la gent féminine, et organisant des orgies publiques qui choqueront les chroniqueurs romains. C’est ce que résume le livret de l’opéra de Cavalli qui fait d’Héliogabale un Don Juan primaire, avec deux couples menacés par l’empereur et ses sbires. Comme dans tous ses ouvrages lyriques, Cavalli reste fidèle au schéma des derniers opéra de Monteverdi, accordant une très grande importance au théâtre, associant la comédie à la tragédie, et l’on retrouve, en plus développé, l’esprit du sublime finale du Couronnement de Poppée, cette fois non pas à deux voix mais à quatre. Comme son maître, il refuse aux excès du bel canto pour développer un recitativo cantando vif et spontané ponctué d’extraordinaires envolées lyriques et d’une dizaine de lamenti tous plus somptueux les uns que les autres.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

D’où l’importance d’une diction sans défaut. Et c’est le cas du cast qu’a réuni l’Opéra de Paris. A commencer par Franco Fagioli, Héliogabale parfait mégalomane cruel, à la voix de contre-ténor puissante, tandis que le second contre-ténor, Valer Sabadus en commandant de la garde prétorienne Giuliano, est trop effacé. Les trois ténors jouent dans le même registre : en Alessandro, héritier d’Héliogabale, Paul Groves impose sa puissance et son assurance, tandis qu’Emiliano Gonzalez Toro (Lania) et Matthiew Newlin (Zotico) sont deux sbires hauts en couleur. Côté femmes, Nadine Sierra est une Gemmira, sœur de Giuliano, dense à la voix étoffée mais flexible, les deux autres sopranos, Elin Rombo et Mariana Flores, font de leurs rôles secondaires, respectivement la jeune noble Eritea et la jeune aristocrate Atilia Macrina, des personnages habités.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Après un premier acte manquant de ressort et se diluant plus ou moins, Leonardo García Alarcón, en familier de Cavalli qu’il est, anime avec un sens du aigu des contrastes et de la narration tragi-comique les deux derniers actes d’une force et d’une diversité de ton particulièrement prenantes. Ayant lui-même défini l’orchestration utilisée pour les représentations de l’Opéra de Paris adaptée aux dimensions de la fosse et de la salle Garnier (six violons, trois altos, deux violes de gambe, trois violoncelles, violone, contrebasse, trois flûtes à bec, deux cornets, deux saqueboutes, trois clavecins, orgue, harpe, dulciane, théorbe, deux archiluths, deux guitares, deux percussionnistes), le chef argentin dirige avec allant sa somptueuse Cappella Mediterranea et son excellent Chœur de Chambre de Namur, qui s’exprime lui aussi dans la fosse.

Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Pour sa première mise en scène lyrique, Thomas Jolly donne dans le minimalisme, dans un décor de Thibaud Fack réduit aux acquêts, noir profond, avec un grand escalier en deux parties, la première de la fosse au plateau, la seconde de la fosse à un praticable, évitant ainsi la pompe romaine et le kitch baroque. Le tout est éclairé a minima par Antoine Travert avec une quinzaine de spots mobiles dont les rais blancs aveuglent parfois violemment le public, sans doute censés représenter les rayons du soleil dont Héliogabale se déclarait être l’incarnation terrestre. La direction d’acteur de Jolly est en revanche au cordeau, même si, de la place qui m’avait été attribuée le soir de la première il m’était impossible d’en mesurer toutes les subtilités. Ici, comme dans quantité de productions lyriques, un troupeau d’éphèbes plus ou moins nus chorégraphiés par Maud Le Pladec occupent l’espace et comblent les vides.


Bruno Serrou

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