Paris. Opéra de Paris-Garnier. Lundi 19 septembre 2016.
Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
L’un des plus grands compositeurs
d’opéra du seicento, Francesco Cavalli (1602-1676), entre enfin à l’Opéra de
Paris, trois cent quarante ans après sa mort. Il fut pourtant choisi par le
cardinal Mazarin pour composer un opéra en vue des célébrations du mariage de Louis
XIV avec l’Infante d’Espagne, Marie-Thérèse le 9 juin 1660. En naîtra Ercole amante (Hercule amoureux), créé Théâtre
des Machines du Louvre à Paris le 7 février 1662, avec des ballets ajoutés
confiés à Jean-Baptiste Lully. Malgré la forte réputation internationale du
Vénitien, les velléités du jeune florentin de trente ans son cadet allaient
rapidement avoir raison de l’aîné, qui retourna à Venise pour y terminer ses
jours.
Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
C’est avec Eliogabalo (Héliogabale),
le dernier de ses opéras dont la musique a été préservée (les deux ultimes
ouvrages scéniques sont perdus), que Cavalli fait son entrée à l’Opéra de
Paris, trente-cinq ans après la reprise à trois siècles de distance d’Ercole amante au Théâtre du Châtelet dans
une production venue de l’Opéra de Lyon dirigée par Michel Corboz et mise en
scène par Jean-Louis Martinoty. Ecrit sur un livret d’un auteur anonyme, jamais
représenté du vivant du compositeur (il ne sera créé qu’en 1999 pour l’inauguration
du nouveau Teatro San Domenico de Crema), Eliogabalo
plonge dans l’histoire, en puisant sa source dans l’antiquité romaine, au début
du troisième siècle de notre ère, à l’instar du Couronnement de Poppée (1642) de Claudio Monteverdi, qui fut le
maître de Cavalli.
Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Noircie par les historiens, la
biographie de l’empereur Héliogabale (204-222), qui régna moins de quatre ans
avant d’être assassiné par la plèbe, est sulfureuse. Prodigue et démagogue, allant
jusqu’à imposer le culte solaire, gouverné par sa grand-mère et sa mère à qui
il laissa le pouvoir, la légende veut qu’il eût une sexualité ambiguë, étant
davantage attiré par les hommes que par la gent féminine, et organisant des
orgies publiques qui choqueront les chroniqueurs romains. C’est ce que résume
le livret de l’opéra de Cavalli qui fait d’Héliogabale un Don Juan primaire, avec
deux couples menacés par l’empereur et ses sbires. Comme dans tous ses ouvrages
lyriques, Cavalli reste fidèle au schéma des derniers opéra de Monteverdi, accordant
une très grande importance au théâtre, associant la comédie à la tragédie, et l’on
retrouve, en plus développé, l’esprit du sublime finale du Couronnement de Poppée, cette fois non pas à deux voix mais à
quatre. Comme son maître, il refuse aux excès du bel canto pour développer un recitativo cantando vif et spontané
ponctué d’extraordinaires envolées lyriques et d’une dizaine de lamenti tous plus somptueux les uns que
les autres.
Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
D’où l’importance d’une diction
sans défaut. Et c’est le cas du cast qu’a réuni l’Opéra de Paris. A commencer
par Franco Fagioli, Héliogabale parfait mégalomane cruel, à la voix de contre-ténor
puissante, tandis que le second contre-ténor, Valer Sabadus en commandant de la
garde prétorienne Giuliano, est trop effacé. Les trois ténors jouent dans le
même registre : en Alessandro, héritier d’Héliogabale, Paul Groves impose
sa puissance et son assurance, tandis qu’Emiliano Gonzalez Toro (Lania) et
Matthiew Newlin (Zotico) sont deux sbires hauts en couleur. Côté femmes, Nadine
Sierra est une Gemmira, sœur de Giuliano, dense à la voix étoffée mais flexible,
les deux autres sopranos, Elin Rombo et Mariana Flores, font de leurs rôles
secondaires, respectivement la jeune noble Eritea et la jeune aristocrate
Atilia Macrina, des personnages habités.
Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Après un premier acte manquant de
ressort et se diluant plus ou moins, Leonardo García Alarcón, en familier de Cavalli
qu’il est, anime avec un sens du aigu des contrastes et de la narration tragi-comique
les deux derniers actes d’une force et d’une diversité de ton particulièrement
prenantes. Ayant lui-même défini l’orchestration utilisée pour les
représentations de l’Opéra de Paris adaptée aux dimensions de la fosse et de la
salle Garnier (six violons, trois altos, deux violes de gambe, trois violoncelles,
violone, contrebasse, trois flûtes à bec, deux cornets, deux saqueboutes, trois
clavecins, orgue, harpe, dulciane, théorbe, deux archiluths, deux guitares,
deux percussionnistes), le chef argentin dirige avec allant sa somptueuse
Cappella Mediterranea et son excellent Chœur de Chambre de Namur, qui s’exprime
lui aussi dans la fosse.
Francesco Cavalli (1602-1676), Eliogabalo. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Pour sa première mise en scène
lyrique, Thomas Jolly donne dans le minimalisme, dans un décor de Thibaud Fack réduit
aux acquêts, noir profond, avec un grand escalier en deux parties, la première
de la fosse au plateau, la seconde de la fosse à un praticable, évitant ainsi
la pompe romaine et le kitch baroque. Le tout est éclairé a minima par Antoine
Travert avec une quinzaine de spots mobiles dont les rais blancs aveuglent
parfois violemment le public, sans doute censés représenter les rayons du
soleil dont Héliogabale se déclarait être l’incarnation terrestre. La direction
d’acteur de Jolly est en revanche au cordeau, même si, de la place qui m’avait
été attribuée le soir de la première il m’était impossible d’en mesurer toutes
les subtilités. Ici, comme dans quantité de productions lyriques, un troupeau d’éphèbes
plus ou moins nus chorégraphiés par Maud Le Pladec occupent l’espace et
comblent les vides.
Bruno Serrou
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