lundi 11 avril 2016

Itzhak Perlman, radieux, a attiré les foules à la Philharmonie

Paris. Philharmonie. Jeudi 7 avril 2016.

Itzhak Perlman et Rohan Da Silva. Photo : (c) Itzhak Perlman

Itzhak Perlman célébrait le 4 août dernier ses soixante-dix ans. A cette occasion, Warner Classics réunissait ses nombreux enregistrements EMI/VSM (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/10/cd-itzhak-perlman-ou-la-musique-absolue.html).

Personnalité au charisme sans équivalent, Perlman est LE Violoniste de notre temps, et l’un des plus grands de l’histoire de la musique. Son influence est considérable sur la scène musicale internationale, autant comme artiste que comme pédagogue, organisateur de concerts, mais aussi en raison de son immense popularité qui rejaillit sur la Musique en son entier. Et ce violon aux sonorités chatoyantes, rondes et pleines au nuancier infini, cette expressivité veloutée à fleur de peau qui émane de doigts d’une agilité inouïe malgré le carrure extrême au point de sembler à peine bouger tout en volant sur la touche de façon si aérienne qu’ils en défient la physique, effleurant la corde comme en apesanteur pour exalter un chant proprement miraculeux. Un violoniste vraiment unique, cela en dépit de la poliomyélite contractée par Perlman dès l’âge de 4 ans, six mois après qu’il eût commencé le violon, qui le condamne depuis lors à se déplacer avec des béquilles et à jouer assis…

Itzhak Perlman. Photo : DR

C’est un hommage à son compatriote Yehudi Menuhin (1916-1999) pour le centenaire de sa naissance qu’a voulu rendre le violoniste israélo-américain, conformément à ce qu'Itzhak Perlman a annoncé au public. Un public venu en nombre assister à ce récital, au point que pas un seul fauteuil de la Philharmonie n’est resté vide. Se déplaçant et jouant sur un siège roulant électrique, vêtu d’une chemise de cosaque mauve, tandis que son pianiste, Rohan De Silva portait la même mais en noir, c’est sur le ton de l’humour et de la légèreté que les deux musiciens ont ouvert la soirée, avec la Suite italienne pour violon et piano d’Igor Stravinski. Cette œuvre publiée en 1925 qui s’inspire de Pergolèse puise l’essentiel de son matériau dans le ballet Pulcinella que Stravinski a composé en 1922. La tonalité ludique, la souplesse et la grâce du jeu des deux musiciens ont donné à cette pièce sa coloration guillerette et sa fluidité idiomatique. Mais le morceau de roi a été une somptueuse interprétation du chef-d’œuvre de la musique de chambre romantique française, la grande Sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck. De forme cyclique, cette œuvre de 1886 qui a été écrite pour Eugène Ysaÿe requiert de ses interprètes, traités à parité, sens de la narration et sens du tempo particulièrement affûtés. Ce qui est remarquable avec Perlman est qu’il ne tire jamais la couverture vers lui, respectant l’équilibre des rôles et le dialogue avec son partenaire, l’excellent Rohan Da Silva, tandis que leur interprétation suscite tension et émotion. Un regret, néanmoins, le fait que le pianiste sri-lankais n’ait pas choisi d’ouvrir en grand le couvercle du Steinway de concert sur lequel il s’exprimait, empêchant ainsi l’épanouissement des sonorités de l’instrument.

Rohan Da Silva et Itzhak Perlman à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

La Sonatine pour violon et piano en sol majeur op. 100 d’Antonin Dvorak appartient aux chefs-d’œuvre que le compositeur tchèque a conçu durant sa période américaine, à l’instar de ses Symphonie n° 9 « du Nouveau Monde » et du Quatuor à cordes « américain ». Il s’agit en fait de l’œuvre ultime née à New York. Dédiée aux enfants du compositeur, cette partition est relativement simple, son inspiration d’une constante fraîcheur, son tour spontané et prodigue. Toutes qualités propres à l’expression des prédispositions d’Itzhak Perlman, dont l’interprétation solaire a été en totale péréquation avec les rutilances de l’œuvre dans les passages d’une puissante allégresse alternant avec une nostalgie intensément humaine. Au terme d’une vingtaine de minutes de pur bonheur, Itzhak Perlman et Rohan De Silva ont donné une série de six pièces de virtuosité appartenant habituellement au répertoire des bis, que Perlman a présentées une à une avec un sourire et un humour communicatifs, à commencer par deux pages de Fritz Kreisler, Dans le style de Giovanni Battista Martini et Marche miniature viennoise, suivi du Presto en si bémol majeur de Francis Poulenc dans sa version pour violon et piano, d’un morceau sans intérêt autre que de s’assurer l’adhésion d’un public pourtant déjà amplement conquis, le thème mielleux que John Williams a écrit pour le film la Liste de Schindler de Steven Spielberg qui a bien évidemment déclenché une volée d’applaudissements pour ses interprètes. Puis ce fut la Danse hongroise n° 1 de Johannes Brahms dédiée à Yehudi Menuhin pour le centenaire de sa naissance et à qui Perlman a acheté en 1986 le Stradivarius Soil de 1714 sur lequel il a joué jeudi, la Berceuse op. 16 de Gabriel Fauré, pour terminer sur une éblouissante interprétation de la Ronde des lutins d’Antonio Bazzini, morceau de bravoure de prédilection de Perlman, qui la joue l’air de rien, avec une facilité d’extraterrestre, les doigts semblant à peine bouger sur le cordier.

Bruno Serrou 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire