Gstaad (Suisse). XVIe Sommets Musicaux de
Gstaad. Eglise de Saanen, Chapelle de Gstaad. Vendredi 29 et samedi 30 janvier
2016.
Photo : (c) Bruno Serrou
Après quinze ans d’existence, et un an après la mort de leur fondateur, les Sommets Musicaux
de Gstaad ont confié leur destinée artistique au violoniste français Renaud
Capuçon, qui vient d’y célébrer ses 40 ans (1). « Je me suis produit pour la
première fois dans ce festival voilà quatre ans, se souvient Renaud Capuçon.
Savoyard né à Chambéry, ayant découvert la musique et le violon à 4 ans au
Festival des Arcs, je me suis aussitôt senti chez moi en pays bernois. D’autant
plus que je me savais sur les terres de mon dieu, Yehudi Menuhin, le fondateur
du festival d’été de Gstaad. » Ainsi, à la mort inopinée du créateur des
Sommets Musicaux, Thierry Schertz, lorsqu'il s’est vu offrir la direction
artistique de la manifestation hivernale, Capuçon a immédiatement accepté la
proposition.
Renaud Capuçon. Photo : DR
« Ce
festival est ma madeleine de Proust, s’enthousiasme Renaud Capuçon. J’ai
travaillé avec Menuhin le Cinquième
Concerto pour violon de Mozart. Menuhin était bien plus qu’un musicien, un
véritable humaniste. Et c’est ainsi que je conçois mon rôle. » Déjà
directeur artistique du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, le violoniste
considère à juste titre que les deux manifestations n’entrent pas en
concurrence. « A Gstaad, les lieux comme la Chapelle de la ville et l’église
de Saanen ont des jauges trop petites et des estrades trop étroites pour
accueillir plus d’une trentaine de musiciens en même temps. En revanche, le Grand Théâtre
de Provence permet d’inviter de grands effectifs. J’entends aussi continuer à
convier de jeunes musiciens lauréats de grands concours et sélectionnés par un
comité artistique sous l’égide des Sommets Musicaux pour y donner des récitals
tous les après-midi dans la Chapelle, où nous pratiquons des prix modiques de
places. »
Thierry Escaich. Photo : (c) Bruno Serrou
Cette seizième édition met les jeunes pianistes à l’honneur.
L’année prochaine, ce sera au tour des violonistes. Nouveauté pour cette
première édition entièrement élaborée par Renaud Capuçon, la résidence de
compositeurs. Pour l’édition 2016, l'élu est le Français Thierry Escaich. L’an
prochain ce sera le Japonais Toshio Hosokawa. Le compositeur mis en résidence se doit de participer
tous les après-midi au concert jeunes lauréats, qui doivent quant à eux
inscrire à leur programme une œuvre de ce dernier. Mais dès l’an prochain, prévient
Capuçon, tous les artistes invités, qu’ils soient débutants ou confirmés,
inconnus ou stars, se devront de jouer le compositeur en résidence.
Gstaad vu du téléphérique. Photo : (c) Bruno Serrou
Le public
qui fréquente le festival est plutôt composite. Jeunes et moins jeunes, riches
et moins riches, élégantes en manteaux de fourrure ou en jeans et polos se
bousculent et se mélangent bon-enfants, pour écouter en confiance des œuvres plus
ou moins populaires et des artistes plus ou moins célèbres mais qu’ils savent de
toute façon de très grande qualité. Tant et si bien que la totalité des
concerts sont donnés à guichets fermés.
Eglise de Saanen. Photo : (c) Bruno Serrou
Ainsi, la
soirée d’ouverture, donnée en l’absence de Renaud Capuçon, retenu à Salzbourg
pour un concert avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par Tugan
Sokhiev, a été pur enchantement, avec un orchestre balte, le Kremerata Baltica fondé
par Gidon Kremer qui, après des lectures ardentes de pages d’orchestre de
chambre du jeune Félix Mendelssohn, la Symphonie
n° 7 pour cordes en ré mineur, et du Polonais Mieczyslaw Weinberg
(1919-1996), un proche de Dimitri Chostakovitch, une Symphonie de chambre n° 2 op.
147 de 1987 d’une énergie haletante, a été rejoint par la grande Martha
Argerich dans le Concerto n° 2 pour piano
et orchestre en si bémol majeur op.
19 de Beethoven.
Martha Argerich dans le Concerto n° 2 pour piano de Beethoven, église de Saanen. Photo : ©MiguelBueno
Tout sourire et les doigts extirpant du clavier des
sonorités de braise, les mains volant délivrées de toute contingence matérielle,
comme en apesanteur sans contact direct avec les touches, Argerich jetait des
regards complices avec le premier violon, qui dirigeait de son pupitre, et la
formation balte, à l’effectif aussi réduit soit-il, lui a donné une réplique à
la hauteur de son immense talent. En confiance devant un public concentré et
particulièrement demandeur, Argerich a donné en bis une sonate de Scarlatti et l’une
des Scènes d’enfant de Schumann qu’elle
se plaît à jouer régulièrement en fin de programme avec une intensité étourdissante.
Gstaad, la chapelle. Photo : (c) Bruno Serrou
Le
lendemain, le jeune Japonais Ryutaro Suzuki, ancien élève au Conservatoire de
Paris de Bruno Rigutto, Hortense Cartier-Bresson, Michel Béroff et Michel
Dalberto, s'est poroduit dans la petite chapelle de Gstaad.
Ryutaro Suzuki. Photo : ©MiguelBueno
Ryutaro Suzuki a ouvert son récital sur une Sonate en la mineur KV. 310 de Mozart un peu mécanique, suivie de quatre
extraits du Tombeau de Couperin de
Ravel plus poétique, puis d’une Etude
où Thierry Escaich rend hommage au jazz qu’il a donnée en création, avant de d’imposer
dans la Sonate pour piano n° 2 op. 36
de Serge Rachmaninov, œuvre dans laquelle il s’est montré le plus à l’aise
malgré les restrictions sonores d’un piano demi-queue. C’est sur un Scarlatti naturaliste donné en bis que Suzuki a conclu son récital.
Alexandra Conunova (violon) et la Camerata Bern. Photo : ©MiguelBueno
Dimanche
soir, l’église de Saanen peinte à fresque a servi d’écrin à un brillant
Camerata Bern. Il faut être sûr de son fait pour se lancer dans l’aventure
symphonique beethovenienne à vingt-sept musiciens, car le moindre écart de
justesse, d’intonation et de rythme s’entend. Au lieu du guitariste prévu dans
le Concerto d’Aranjuez de Joaquin Rodrigo qui s’est fait porter pâle la veille
au soir, c’est une jeune élève de Renaud Capuçon au Conservatoire de Lausanne,
la violoniste moldave Alexandra Conunova, qui s’est avérée être une véritable
découverte, tant son Concerto n° 4 pour
violon en ré majeur KV. 218 de
Mozart s’est fait lumineux et évident. Le mouvement de Partita de Bach qu’elle a choisi de donner en bis a été moins
convaincant.
Camerata Bern. Photo : (c) Bruno Serrou
La Symphonie n° 8 en fa
majeur op. 93 de Beethoven qui a suivi a été donnée avec un effectif de
cordes réduit à minima (quatre premiers et quatre seconds violons, trois altos,
deux violoncelles, contrebasse) tandis que les instruments à vent sont restés par
deux. Ce qui aurait dû susciter d’irrémédiables déséquilibres, est passé à l’arrière-plan,
tant l’allant, l’engagement, la conception épique impulsés par le premier
violon d’Antje Weithass ont tout emporté dans un flamboiement d’intensité et de
ferveur. Malgré une inévitable sécheresse sonore et une certaine âpreté des
cordes, la conviction et l’énergie qui ont découlé de cette interprétation
vivifiante a pétrifié le public. Impression confortée par un Scherzo triomphant du Songe d'une nuit d’été de Mendelssohn.
Bruno Serrou
1) Pour les quarante ans de Renaud Capuçon, Warner-Erato publie un nouveau disque monographique du violoniste réunissant la Symphonie espagnole d'Edouard Lalo, Zigeunerweisen de Pablo de Sarasate et le Concerto n° 1 pour violon et orchestre de Max Bruch, avec l'Orchestre de Paris et Paavo Järvi (1 CD Erato 0825646982769)
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