jeudi 24 juillet 2014

Le compositeur argentin Martin Matalon fait passer un air frais sur leFestival des Arcs en imposant la musique avec électronique en tempsréel à un public nouveau

Les Arcs, Bourg-Saint-Maurice / Savoie, Académie Festival de musique des Arcs, dimanche 20, lundi 21, mardi 22 et mercredi 23 juillet 2014

Vue depuis Les Arcs 1800. Photo : (c) Bruno Serrou

Compositeur en résidence de la XLIe édition du Festival de Musique des Arcs, station huppée de sports d’hiver qui, l’été venu, se transforme en immense salle de concert, Martin Matalon suscite la surprise et avive l’intérêt d’un public où se bousculent autant de fidèles que de vacanciers occasionnels en présentant pour la toute première fois à 1800 mètres d’altitude des œuvres pour instruments avec électronique en temps réel. Une vraie révolution qui conquiert un auditoire médusé qui tout en s’interrogeant sur le fonctionnement de cette musique, est séduit par le résultat sonore qui en résulte et le ressenti physique qu’il engendre. Après chaque concert, le compositeur est sollicité de questions souvent judicieuses auxquelles il répond à satiété de son accent gorgé de soleil.


Depuis neuf ans, l’Académie Festival des Arcs met en effet un compositeur en résidence, sans exclusive d’écoles, de styles et de nationalité. Seul critère, qu’il puisse nourrir l’expérience musicale de festivaliers souvent profanes et toujours plus nombreux, et de musiciens, vingt-sept professeurs et cent quatre  vingts étudiants, en présentant des œuvres chambristes et solistes programmées à chaque concert du soir. Installé en France en 1993, Martin Matalon est à 55 ans un créateur à la maturité rayonnante et à l’âme pédagogue, comme l’atteste sa classe de composition au Conservatoire d’Aubervilliers. En outre, depuis 2002, il enchaîne les résidences jusqu’en Norvège, ce qui lui permet d’être au contact de publics de tous âges, de musiciens, étudiants, amateurs et professionnels, et de créer des œuvres nouvelles.

Détente après concert. le compositeur Martin Matalon (né en 1958) et son épouse Eve Payeur, percussionniste. Photo : (c) Bruno Serrou

Compositeur de grand talent, Matalon est un sorcier du son particulièrement inventif et doué d’une riche musicalité. Sa venue aux Arcs constitue une petite révolution pour les familiers de la station qui ont pour la première fois affaire à la spatialisation de la musique via l’informatique en temps réel, avec l’appui du GRAME, Centre de recherche musicale de Lyon sur les plans logistique et outils de diffusion du son. « Nous voulons faire découvrir à notre public une nouvelle façon d’écouter la musique, propagée à travers l’espace pour envelopper l’auditeur et le saisir jusqu’au tréfonds du corps », se félicite le violoniste Éric Crambes, directeur du festival. « Présenter en deux semaines quinze de mes pièces est une proposition à laquelle il est impossible de résister, s’enthousiasme Matalon. D’autant que presque toutes sont interprétées par des musiciens avec qui je n’avais jamais travaillé. Ce qui est formidable, car ma musique a des chances nouvelles de se répandre plus largement par l’effet boule de neige initié par ces rencontres d’artistes que je n’aurais pu côtoyer sans le festival. » 

Martin Matalon et son assistant informaticien Max Bruckert entouré d'enfants venus assister à la répétition de Traces II pour alto Centre Taillefer. Photo : (c) Bruno Serrou

Le compositeur, assisté de son informaticien du GRAME Max Bruckert, présente notamment un cycle en devenir, Traces, dix pièces à ce jour qui sont autant d’études pour instruments solo et informatique en temps réel, de l’accordéon au violoncelle, en passant par l’alto, la clarinette, la contrebasse, le cor, la flûte, le marimba, la voix. « D’autres suivront, prévient Matalon, Traces étant une suite d’œuvres de chevet dont le genèse me suivra certainement ma vie durant. » Deux autres œuvres de Martin Matalon sont programmées, Del matiz al color pour huit violoncelles, qui réunira quatre professeurs et quatre de leurs élèves, et son second Concerto pour trompette et orchestre joué par son commanditaire, Romain Leleu. 

Dimanche 20 juillet

Consacrée à la musique espagnole, dont Martin Matalon, malgré ses origines argentines, est loin d’être un héritier sa musique puisant en fait ses racines dans l’univers littéraire de son compatriote Jorge Luis Borges (1899-1986), l’édition 2014 du Festival des Arcs programme l’intégrale des Trio pour violon, violoncelle et piano de Ludwig van Beethoven. 

Les Arcs : deux enfants écoutent les Trios de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou

Présentée dans la salle de conférences de l’Hôtel du Golf, cette série attire une foule si considérable que tous les concerts pourraient être doublés. Tant et si bien que je n’ai pu personnellement assister qu’au premier d’entre eux, qui réunissait les premier et huitième trios. Si le violoniste, Éric Crambes, et le violoncelliste, Éric Levionnois, ont participé aux deux volets du programme, cela n’a pas été le cas pour le piano, tenu dans le premier par Hervé N’Kaoua et dans le second par Romano Pallottini. Sous le regard et les oreilles émerveillés de deux jeunes enfants allongés sous le coffre du piano, le Trio n° 1 en mi bémol majeur op. 1/1, œuvre d’un Beethoven de 23-25 ans déjà en pleine possession de son art, a été interprété avec énergie sous la conduite des deux instruments à cordes, tandis que le piano est apparu effacé et décharné. Ce qui n’a pas été le cas du Trio n° 8 en mi bémol majeur op. 38 de 1799-1800. Sous la Coupole d’Arcs 1600 pour le concert qui suivait, découragé par une pluie violente, le public était rare. Pourtant, le programme était attractif et varié.

Quintette de Luigi Boccherini. Photo : (c) Festival de Musique des Arcs

L’Espagne était bel et bien à l’honneur, cette fois, malgré la présence au programme de l’Italien Luigi Boccherini (1743-1805) et du Russe Mikhaïl Glinka (1804-1857). Du premier, Pablo Marquez (guitare), Éric Crambes et Clémentine Bousquet (violons), Ludovic Levionnois (alto) et Bum Jun Kim (violoncelle) ont donné du Quintette pour guitare et cordes n° 4 en ré majeur « Fandango » G. 448 une lecture vive et spontanée, enjolivée par les sonorités brillantes de la guitare et par les couleurs brûlantes du violoncelle, tandis que la soprano Ruth Rosique faisait une apparition surprise dans le finale jouant dextrement des castagnette vêtue d’une robe noire de danseuse flamenco dont elle mimait les gestes avec justesse. L’on retrouvait le guitariste argentin Pablo Marquez a joué trois pages solistes d’autant de compositeurs d’origine ibérique, Luys de Narváez (1500-1555), Manuel de Falla (1876-1946) et Maurice Ohana (1913-1992) auxquelles il a instillé éclat et poésie. En revanche, le Sextuor pour piano et cordes en mi bémol majeur dit « Gran Sestetto originale » composé en 1832 par Mikhaïl Glinka est apparu comme un véritable pensum d’où seul ont émergé l’alto d’Isabelle Lequien et la contrebasse d’Eckhard Rudolph. Mais c’est Traces VIII pour violon et dispositif électronique en temps différé qui a été le moment fort de ce programme. Composée en 2012, cette huitième partition du cycle Traces a été créée le 5 mai 2012 à Radio France par Aisha Orazbayeva. De forme ouverte et construite en cinq mouvements joués avec une sourdine spécifique, du son le plus étouffé au son libre, et reliés par un détail commun parfois anodin, cette pièce est constituée de plusieurs trames formelles, dont une qui régit l’amplitude sonore, une autre le dévoilement progressif du timbre et du registre de l’instrument, tandis qu’une troisième s’attache au timbre et au registre. Lyonel Schmit, qui apprécie la création contemporaine, en a donné une interprétation précise et concentrée, malgré une acoustique difficilement maîtrisable dans cette salle ou le son se répand autour de la coupole sans passer par le centre, la coupole constituant un véritable trou noir.

Lundi 21 juillet

Pierre Maurel, Président de l'Académie-Festival des Arcs et Eric Crambes, Directeur artistique. Photo : (c) Festival de musique des Arcs

Le Centre Taillefer est en revanche parfaitement adapté à la propagation du son à travers les six haut-parleurs prêtés par le GRAME de Lyon pour l’exécution des œuvres de Martin Matalon. Traces III pour cor et dispositif électronique forme un grand Nocturne élaboré en 2006. Vladimir Dubois, cor solo de l’Opéra de Paris, en a donné toute l’essence, portant l’œuvre dans l’univers du rêve et du cosmos. Interprétée dans un silence impressionnant trahissant une écoute extrêmement attentive de l’auditoire d’une salle étant quasi complète, l’œuvre de Matalon était précédée du court Trio pour violon, violoncelle et piano « Circulo » op. 91 composé en 1942 par Joaquín Turina (1882-1949) qui a réuni Léo Marillier (violon), Éric Levionnois (violoncelle) et Guillaume Bellom (piano) pour un moment de bonheur pur. La seconde partie du concert était moins convaincante, malgré l’interprétation attentionnée du contre-ténor Robert Expert, qui en a peut-être un peu trop fait en lisant la traduction des textes afin que tout le monde comprenne ce qu’il chantait, et du guitariste Pablo Marquez, des Chansons populaires recueillies par le grand poète espagnol Federico Garcia Lorca (1898-1936). Le Quintette pour deux violons, deux altos et violoncelle en si bémol majeur op. 87 de Félix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) est apparu informe et peu homogène, comme si les interprètes n’avaient pas eu assez de temps devant eux pour le travailler ensemble, où seuls les altos d’Isabelle Lequien et de Ludovic Levionnois ont exaltés des sonorités fruitées et chaleureuses.

Mardi 22 juillet


Vinciane Boulanger (alto). Photo : DR

Le rendez-vous de mardi au Centre Taillefer proposait un programme attractif dont le morceau de choix était le sublime Quintette avec piano de Brahms. Auparavant, devant une salle comble malgré un très épais brouillard, la Suite espagnole op. 47 d’Isaac Albéniz (1860-1909) a déçu dans sa transcription pour hautbois et piano de D. Walter, malgré les beautés du hautbois de Frédéric Tardy soutenu avec délicatesse par le piano de Jennifer Fichet. Sous-titré « la cabra », commande du Musée du Louvre et de La Muse en Circuit, créé à la Maroquinerie le 6 juin 2005, Traces II pour alto de Martin Matalon est élaboré autour du principe de multiplicité et de son contraire, l’unicité, de façon parfois inverse, parfois parallèle, qui façonnent l'idée musicale tout au long de la pièce. Vinciane Béranger, qui a travaillé l’œuvre dans la perspective du Festival des Arcs, en a exalté les sonorités feutrées et brûlantes, jouant en outre avec un plaisir communicatif. Autre altiste, mais passé pour l’occasion à la viole d’amour, Pierre Henri Xuereb a donné cinq Préludes pour cet instrument d’une douceur infinie et d’un moelleux inouï d’Henri Casadesus (1879-1947) dont Xuereb a rappelé qu’il est en fait l’auteur des Concertos pour violoncelle attribués à Jean-Chrétien Bach joués par les élèves des conservatoires lors des concours. Attendu par les festivalier, le Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle en fa mineur op. 34 de Johannes Brahms (1833-1897) n’a pas donné tout ce qu’on en attendait. Justement confié à un quatuor à cordes constitué, ici le jeune Quatuor Akilone formé de quatre jeunes-femmes, dialoguant avec un pianiste virtuose mais sachant se fondre à un groupe, cette fois Romano Pallottini, ce chef-d’œuvre de Brahms est resté loin de l’expressivité à fleur de peau qui en émane pourtant clairement, les longues phrases brahmsiennes d’une sublime beauté s’essoufflant étonnamment, le son du premier violon restant accroché au corps de sa titulaire, et ce qui en émanait manquant de luminosité et de sensualité, le second violon apparaissant excessivement discret. Seul, une fois encore, l’alto a séduit, à l’instar du violoncelle. Le pianiste est resté quant à lui à l’extérieur du discours.

Mercredi 23 juillet

Pierre Fouchenneret. Photo : (c) Festival de Musique des Arcs

Présenté de nouveau Centre Taillefer devant un public moins nombreux que la veille en raison de fortes pluie, le programme du 23 juillet s’est ouvert sur le Quatuor à cordes n° 3 en mi bémol majeur de Juan Crisóstomo de Arriaga (1806-1826) interprété avec ferveur par le remarquable Fine Arts Quartet de Chicago. Traces IV pour marimba de Martin Matalon est attaché aux deux volets qui l’entourent, Traces III pour cor et Traces V « levedad » pour clarinette. Dans chacun des volets de ce triptyque, les échos des deux instruments, dont aucune note n’est pourtant reprise, entrent en résonance avec celui auquel l’œuvre en question est dédiée, tous les traitements électroniques que subit ce dernier étant modélisés par les deux autres instruments. Epouse du compositeur, membre de l’Ensemble Court-Circuit, Eve Payeur en a exalté les infinies beautés sonores, portant l’œuvre à l’onirisme. Pierre Fouchenneret et Jean-Michel Dayez ont porté la Sonate pour violon et piano que Francis Poulenc (1899-1963) a dédiée à la mémoire de Federico Garcia Lorca au rang de partition majeure de la musique de chambre française. De moindre envergure que celui de Brahms entendu la veille, le Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle en sol mineur op. 49 d’Enrique Granados (1867-1916), qui ne cède pas ici à la tentation d’espagnolades de trop de ses compatriotes et contemporains, a été brillamment interprété par un quintette constitué pour l’occasion formé de Richard Schmoucler et Léo Marillier (violons), Pierre Henri Xuereb (alto), Fabrice Bihan (violoncelle) et Jean-Claude Vanden Eynden (piano).

Bruno Serrou

 

 

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