jeudi 18 juillet 2024

CD : Vent de fraîcheur d’Henri Demarquette dans sa seconde intégrale des Suites pour violoncelle de Johann Sebastian Bach

Pour inaugurer la collection que le label Evidence lui a confiée, le violoncelliste Henri Demarquette retourne au cycle fondateur de la littérature dédiée à son instrument qu’il enregistre pour la seconde fois. Voilà vingt-deux ans (2002) en effet, il proposait une première intégrale discographique des six Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Comme l’écrit l’Académicien Erik Orsena dans son texte de présentation publié dans la pochette accompagnant le présent CD, « chacun le sait, les rendez-vous qui comptent sont les enfants d’un premier rendez-vous, LA rencontre fondatrice. » Et comme pour tout violoncelliste qui se respecte, les six Suites BWV 1007 à 1012 que Bach composa pour la cour du prince Leopold d’Anhalt-Köthen dans les années 1718-1723 qui nous sont parvenues par le biais de copies de la main de Maria-Magdalena Bach, seconde épouse de Bach, sont l’alpha et l’oméga de la littérature pour l’instrument le plus humain parmi les cordes frottées.

« De suite en suite, écrit Erik Orsena, la composition [du cycle de Bach] gagne en complexité. Parcours triplement initiatique : pour l’auditeur, pour l’artiste [interprète], et aussi pour le compositeur. » Cette fois, en 2022 - est-ce sur son Goffredo Cappa de 1700 ? -, ce qui frappe dans le cheminement de la conception d’Henri Demarquette, dès l’introduction de la première Suite en sol majeur BWV 1007, page la plus célèbre du cycle plus ou moins due à une relation avec le premier Prélude en ut majeur du Clavier bien tempéré et qui se déploie en arpèges, c’est la vivacité des tempi choisis par l’interprète, l’énergie vitale qui va s’accélérant de façon quasi obsessionnelle, le souffle dynamique et puissant de l’exécution, qui cependant n’est jamais suffocante, l’articulation du rubato, les phrasés amples et raffinés. Le rendu sonore est soutenu, les timbres décapants, voire agressifs, les mouvements vifs sont remarquablement articulés, ponctués de larges respirations comme si le musicien cherchait à reprendre souffle avant de reprendre son élan. L’articulation est singulièrement précise, les contours du discours sont soignés, le jeu de l’archet à la fois serré et équilibré, particulièrement dans la Courante de la Suite 1, suivie de la Sarabande offrant un contraste avec ce qui la précède, l’archet à la fois ferme et délié exaltant un phrasé fluide. Contrairement au Prélude de la première Suite, celui de la Suite 2 en ré mineur BWV 1008 est à la fois paisible et nostalgique, tandis que le rutilant Prélude de la Suite 3 en ut majeur BWV 1009  retrouve la vigueur et l’allant du premier, alors que la Courante semble légèrement précipitée. Dans la Gigue au ton badin, la partie des cordes graves est somptueusement éclairée de l’intérieur. La conception du Prélude de la quatrième Suite en mi bémol majeur BWV 1010 est arachnéenne, la première Bourrée est vive et bien articulée et la seconde extrêmement dansante. La Cinquième Suite en ut mineur BWV 1011 est remarquable dès son saisissant Prélude avec scordatura, lent et sombre, tandis que l’œuvre entière frappe par la somptuosité de ses sonorités et par la mise en relief de l’écriture fuguée (la seule fugue des six suites, sans doute l’apogée du cycle entier) exposée ici dans sa plénitude altière, et l’Allemande conquiert par la fluidité du jeu qui maintient l’attention dans cette page pouvant tirer en longueur, tandis que la conception de la Sarabande est toute en délicatesse et rompt en outre avec l’usage plus ou moins continu du legato dans les autres sarabandes. Souples et évanescents, les trois premiers mouvements de l’ultime Suite, celle que Pau Casals jouait deux fois le week-end, alternent vitalité et ivresse du son servies par une technique d’airain, tandis que souffle dans la Gigue le même vent de frais que dans le Prélude de la première suite, ce qui conforte l’idée d’unité du cycle entier.

Parmi les inonmbrables enregistrements réalisés depuis la redécouverte de ces œuvres par Pau Casals (il y en aurait plus de deux cent cinquante à ce jour) des six Suites pour violoncelle de Johann Sebastian Bach proposées par les violoncellistes les plus éminents depuis le musicien catalan, notamment Pierre Fournier, János Starker, Paul Tortelier (Henri Demarquette a été l’élève de ces trois derniers) ou André Navarra, sans oublier les versions « historiquement informées » de Peter Wispelwey ou Anner Blysma, la seconde intégrale proposée par Henri Demarquette convainc par sa pulsion globalement décoiffante qui présente ces œuvres sous un jour singulier mue par une énergie vitale, un élan conquérant, tout en ménageant aux moments idoines des plages judicieusement poétiques et évocatrices.

Bruno Serrou

2 CD « Collection Henri Demarquette » Evidence Classics EVCD115 (Little Tribeca). Durée : 2h 11mn. Enregistrement : octobre-décembre 2022. DDD

 

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