jeudi 5 octobre 2023

L’Orchestre de Paris a magnifiquement reçu Yuja Wang pour une fête sonore dextrement stimulée par Klaus Mäkelä

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 4 octobre 2023 

Yuja Wang, Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : © Mathias Benguigui / Pasco & Co

Concert éblouissant cette semaine à la Philharmonie de Paris de l’ Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä hôtes empressés d’une fantastique Yuja Wang devant une salle archi-comble particulièrement concentrée et enthousiaste, dans un programme tout de chorégraphie, de rythmes et de sonorités de braise à la pâte très française, de Claude Debussy à Béla Bartók, qui encadraient les deux concertos que Maurice Ravel entreprit parallèlement en 1929. Les quatre œuvres du programme auront permis de goûter les magies ensorceleuses du jeu des musiciens de l’orchestre parisien, plus particulièrement les bois, qui ont rivalisé de virtuosité.

Yuja Wang, Orchestre de Paris. Photo : © Mathias Benguigui / Pasco & Co

Un voluptueux Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy où l’ensemble de l’orchestre parisien a servi un somptueux écrin à un pur bijou instrumental serti de mille saveurs de gourmets à une flûte solo clairement enchantée, un Debussy scintillant et suave a délicieusement préludé à l’œuvre qui le suivait, le Concerto pour piano et orchestre en sol majeur que Maurice Ravel a composé en 1929-1931 et créé le 14 janvier 1932 avec Marguerite Long au piano, le compositeur s’estimant incapable de surmonter les pièges techniques que son inspiration avait ménagés, qui commence comme un grand concerto postromantique, se poursuit tel un hommage à Mozart et se conclut selon l’air du temps comme une virtuosissime pièce de jazz. La pianiste chinoise a interprété ces pages splendides avec une vivacité exaltant les contrastes, suscitant des couleurs rutilantes, entrelaçant élan et onirisme, élégance et fougue, lyrisme et passions de la lumineuse sensualité du Sol majeur, le tout magnifié par un toucher féerique. 

Yuja Wang. Photo : © Mathias Benguigui / Pasco & Co

Après l’entracte, Yuja Wang et l’Orchestre de Paris, plus étoffé et grave que dans le Concerto en sol, ont fusionné leurs sonorités divinement moelleuses et enjôleuses dans un magistral Concerto pour piano et orchestre en majeur « pour la main gauche » (1929-1930) aux sonorités amples, tragiques, sombres, d’une richesse et d’une densité phénoménales jusqu’à la libération finale vers laquelle tend crescendo la totalité de l’œuvre jusqu’aux limites de la fêlure dans un sensation de vertige pour finir par exploser dans une libération épanouie qui fascine et emporte l’auditeur dans la stratosphère. Prodigieuse Yuja Wang, tous les instruments de l’orchestre étant traités de la façon la plus véloce possible, les musiciens de l’Orchestre de Paris rivalisant de souplesse, d’ardeur et de grâce quarante minutes durant sans la moindre faiblesse avec une pianiste au touché surnaturel, les doigts courant sur les touches en les frôlant à peine avec un naturel et une précision phénoménaux, dans la puissance comme dans la légèreté comme dans la délicatesse. A 36 ans, frêle et menue mais toute en muscles, changeant de robe durant l’entracte, une robe blanche pour le souriant Concerto en sol une robe sombre pour le tragique Concerto en ré, la pianiste chinoise captive toujours autant mais de façon plus concentrée par la vaillance de son jeu, la précision de ses attaques, l’élasticité et l’adresse infaillible de ses doigts, la richesse de son nuancier, son aptitude au chant, sa tenue naturelle devant le clavier, le charme qui émane de sa personne. Wang est musicienne jusqu’au profond de son être. Son interprétation des concertos de Ravel a fasciné, l’artiste chinoise d’hallucinantes interprétations de ces œuvres, à la fois limpides, aérées et extraordinairement dramatiques.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : © Mathias Benguigui / Pasco & Co

Cette œuvre hallucinée a été suivie d’une autre page au caractère de furiant, la suite de concert que Béla Bartók (1881-1945) a tirée en 1928 de son ballet pantomime le Mandarin merveilleux op. 19 (1918-1919, 1924 et 1935), son ultime œuvre scénique après le ballet le Prince de bois (1914-1916) et l’opéra le Château de Barbe-Bleue op. 11 (1911), trois partitions en un acte. Il est toujours frustrant d’écouter en « abrégé » une œuvre qui vous « berce » depuis plus d’un demi-siècle dans sa version intégrale, même si elle a été réalisée par son auteur qui a en fait cherché à populariser une pièce qui a terriblement choqué ses premiers auditeurs, dans la cas du Mandarin autant par sa musique, d’une violence inouïe pour l’époque, que par son immoralité. C’est d’autant plus frustrant avec la pantomime que Bartók a essentiellement enchâssé les parties les plus sonores et fébriles, négligeant presque systématiquement les épisodes les plus oniriques et sensuels, ainsi que les tentatives de meurtre du mandarin pour s’achever directement dans un immense crescendo aboutissant sur un violent fortissimo interrompant abruptement une œuvre prodigieuse, le résultat étant plus que frustrant, carrément castrateur. Le tourbillon sonore qui introduit l’œuvre et situe l’action au cœur d’une métropole s’est avéré légèrement bousculé côté cordes, comme surprises par le départ soudain donné par le chef, qui a levé les bras sans attendre le silence salle, tandis que les accents syncopés des cuivres ont été plus ou moins précipités. Mais les musiciens de l’Orchestre de Paris sont très rapidement parvenus à trouver leurs marques, notamment les cordes sous la houlette du premier violon invité, le Sicilien Andrea Obiso, actuel concertmaster de l’Orchestre de l’Académie Sainte Cécile, mais aussi bois, cuivres et percussion.  Ce Mandarin merveilleux de Béla Bartók aura permis à l’Orchestre de Paris de briller seul avec son chef dans une œuvre à l’écriture singulièrement virtuose qui se situe dans la continuité des orchestrations de Debussy et de Ravel que leur confrère hongrois admirait.  

Bruno Serrou

Le concert est disponible en vidéo sur ARTEconcertFR : https://www.arte.tv/fr/videos/116762-000-A/klaus-maekelae-dirige-ravel-debussy-et-bartok/

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