vendredi 11 mars 2022

Laurent Pelly enferme "Cosi fan tutte" de Mozart dans un studio d’enregistrement berlinois au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mercredi 9 mars 2022 

Vannina Santoni (Fiordiligi), Gaëlle Arquez (Dorabella), Cyrille Dubois (Ferrando), Laurent Naouri (Don Alfonso), Florian Sempey (Guglielmo). Photo : (c) Vincent Pontet

Dernier volet de la trilogie Mozart/Da Ponte, 
Cosí fan tutte est l’une des partitions les plus inspirées du compositeur autrichien. Et le fringant livret de Lorenzo Da Ponte est à la mesure de la musique, quoiqu’en ait jugé la bien-pensance du XIXe siècle qui considérait cet ouvrage trop léger, superficiel et carrément immoral, alors même que le librettiste n’a fait que parodier les sentiments humains et les jeux de l’amour au temps des Lumières. Combinant grivois, prosaïque et non-dits, l’argument emprunte plus ou moins à Carlo Goldoni, mais la part revenant à Da Ponte est plus importante ici que dans les deux précédents avatars de sa collaboration avec Mozart. C’est cependant la musique qui fait le ciment de l’ouvrage tout entier, une musique jamais caricaturale ni redondante, toujours sincère et tendre, gorgée tout autant de félicité que de mélancolie, révélant délicatement les secrets de l’âme de chacun des personnages.

Photo : (c) Vincent Pontet

Mais la difficulté dans la réalisation de cet ouvrage à la scène est de crédibiliser les travestissements et les quiproquos qui suscitent le trouble et la confusion de deux couples formés par deux fratries manipulées par un vieux philosophe qui s’acoquine l’espiègle servante des jeunes femmes pour démontrer grandeur nature l’inconstance des femmes… ainsi que des hommes, par ricochet. En, situant la trame trois heures de rang dans un studio d’enregistrement de Berlin apparemment inspiré d’un lieu réel, Laurent Pelly perd son public en conjecture quant à savoir quand et comment la confusion saisit les protagonistes et emporte la duperie. 

Gaëlle Arquez (Dorabella), Vannina Santoni (Fiordiligi), Laurent Naouri (Don Alfonso), Cyrille Dubois (Ferrando), Florian Sempey (Guglielmo). Photo : (c) Vincent Pontet

Après un premier acte sans ressort bien défini, les protagonistes passant leur temps debout ou assis devant les pupitres où ils ont posé leurs partitions, l’action finit par se déployer enfin au début du second acte, moment où la lecture du livret se fait soudain littérale, mais il y a beau temps que le spectateur s’est détaché des personnages. Heureusement, le talent comique et le directeur d’acteur qui font la griffe de Laurent Pelly sont bel et bien présents, ne suffisant cependant pas pour convaincre vraiment, et l’on finit par fermer les yeux pour ne plus écouter que la musique, comme s’il s’agissait d’un concert. 

Photo : (c) Vincent Pontet

Dans la fosse à moitié baissée, Emmanuelle Haïm dirige non sans sècheresse et dureté et avec une dynamique excessive et continue qui rend l’ensemble trop raide tout en soulignant la théâtralité, mais au détriment de la poésie, sa conception affaiblissant la sensualité, la grâce, la fluidité du discours mozartien, le Concert d’Astrée manquant de carnation, tandis que ses cors savonnent les
arie où ils dominent.  

Florian Sempey (Guglielmo), Gaëlle Arquez (Dorabella), Laurène Paterno (Despina), Vannina Santoni (Fiordiligi), Cyrille Dubois (Ferrando). Photo : (c) Vincent Pontet

Comme c’est souvent le cas dans les productions du Théâtre des Champs-Elysées, la distribution réussit la gageure de réunir son cheptel de jeunes interprètes de premier ordre. Vanina Santoni campe une séduisante Fiordiligi impulsive et généreuse et à la voix solide et étincelante, Gaëlle Arquez est une Dorabella vive au timbre chaud mais non exempte d’attaques plus ou moins assurées. Laurène Paterno pourrait exceller en Despina si elle n’abusait pas des mêmes artifices dans les deux passages où elle endosse les costumes du médecin puis du notaire. Face aux deux sœurs, Cyrille Dubois (Ferrando) et Florian Sempey (Guglielmo) sont deux fiancés exceptionnels, à la voix sûre et à la ligne de chant aux accents merveilleusement mozartiens. La seule faiblesse du cast vocal est le sceptique Don Alfonso brossé par Laurent Naouri qui ne parvient pas à contrôler son nuancier vocal, toujours trop fort, ni sa ligne de chant qui se durcit tout au long de la soirée.

Bruno Serrou

Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 20 mars. Ce Cosi fan tutte sera repris par les coproducteurs, Théâtre de Caen, Pacific Opera Victoria et Tokyo Nikikai Opera


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