Krzysztof Penderecki (1933-2020) à sa table de travail. Photo : (c) Warner Classics
« Je conçois ma musique pour
qu’elle soit jouée dans tous les lieux de concert traditionnels, par tous les
musiciens, pas dans un ghetto, fut-il d’avant-garde », martelait Krzysztof
Penderecki, mort dimanche 29 mars 2020 à Cracovie à l’âge de 86 ans des suites
d’une longue maladie. Il laisse plus d’une centaine de partitions, tous genres
confondus, de l’opéra à la pièce pour instrument solo.
Krzysztof Penderecki (1933-2020) avec Mstislav Rostropovitch (1927-2007). Photo : (c) Europejskim Centrum Kultury Krzysztofa Pendereckiego
Chef de file de la musique
polonaise depuis la mort de son grand aîné Witold Lutoslawski (1913-1994), Krzysztof
Penderecki se considérait comme indépendant, bien qu’il se plaçât ouvertement à
ses débuts dans la mouvance de l’avant-garde occidentale, pour terminer
néanmoins sa vie créatrice dans l’héritage néoromantique germanique. « Nous
avons tout détruit dans les années 1950 et 1960 - et je m’inclus dans le
« nous », insistait-il. Mais je ne me suis jamais inféodé à
quiconque, surtout pas à Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen. Pour autant,
je ne recherche pas la solitude, puisque j’écris pour les interprètes et le public.
La liberté est toujours préférable, et je pense qu’il est temps que se manifeste
une nouvelle avant-garde, celle de l’après-guerre n’ayant que trop
perduré. »
Krzysztof Penderecki (1933-2020) au milieu de son arboretum de Lusławice. Photo : (c) Europejskim Centrum Kultury Krzysztofa Pendereckiego
Krzysztof Penderecki n’en reniait
pas pour autant ses premières œuvres, s’estimant fidèle à lui-même. Le cheveu
rare, la barbiche argentée taillée de près, la physionomie irradiant une
constante force tranquille, il était tel le granit et vivait pour la musique et
pour ses amis les arbres, auxquels il consacrait beaucoup de son temps. Troublé
par la dégradation de la nature par l’homme, il avait en effet créé dans sa
résidence de Lusławice un arboretum de près de deux mille
arbres plantés sur un millier d’hectares et qu’il enrichissait inlassablement. « La création d'un parc, disait-il, est comme la musique. Une seule génération ne parvient pas à terminer ce qu'elle a commencé. Mon jardin sera une symphonie inachevée. »
Krzysztof Penderecki (1933-2020) avec le pape Jean-Paul II, Karol Józef Wojtyła (1920-2005), ancien cardinal-archevêque de Cracovie. Photo : (c) Europejskim Centrum Kultury Krzysztofa Pendereckiego
Né à Dębica (Basses-Carpates) le
23 novembre 1933, Krzysztof Penderecki avait commencé très jeune l’étude de la
musique par le violon et par le piano. A 18 ans, il se tournait vers la
composition au conservatoire de Cracovie, où il enseignera plus tard avant d’en
devenir le recteur en 1972. Ses débuts ont été fulgurants. Dès 1959, il
s'affirme avec des œuvres d’obédience sérielle. Thrènes pour les victimes d’Hiroshima lui vaut le prix de l’UNESCO
en 1961. « La Pologne des années cinquante n’avait aucun contact avec
l’Europe de l’Ouest. La musique d’avant-garde était interdite, ainsi que toute
forme de musique sacrée. Jeune compositeur, profondément catholique, je me suis
rebellé contre « l’art officiel », la musique social-réaliste. Avec
le début d’ouverture que fut le festival Automne Musical de Varsovie [NDR :
créé entre autres par son aîné Witold Lutoslawski], nous avons pu découvrir les
nouveaux langages et l’abstraction venus d’Europe occidentale alors prohibés en
Pologne. »
Krzysztof Penderecki (1933-2020). Photo : DR
Parmi les œuvres significatives
de cette première période de Krzysztof Penderecki, De Natura Sonoris et, surtout, l’un des sommets de cette décennie,
le premier de ses cinq opéras, les
Diables de Loudun, commande de Rolf Liebermann alors directeur l’Opéra de
Hambourg où il a été créé en 1969 sous la direction de Marek Janowski. A partir
de la Passion selon saint Luc (1965-1966), l’œuvre de Penderecki est marquée
par une forte inspiration religieuse, déjà présente en 1958 avec un Psaume de David. Sitôt après avoir achevé son chef-d’œuvre du genre, Utrenja - mise au tombeau et résurrection du
Christ, en 1971, Penderecki effectue son retour au classicisme et au
postromantisme dans l’héritage avoué d’Anton Bruckner et de Jean Sibelius, évolution
critiquée par le milieu musical mais qui allait lui assurer une large
diffusion. « Je me suis sauvé du piège formaliste spéculatif et dogmatique
de l’avant-garde, plus destructeur que créatif, par le retour à la tradition »,
se félicitait-il en février 2006 lors de l’hommage qui lui rendait Radio France
à Paris dans le cadre du festival Présences. « J’ai d’abord cherché une
nouvelle écriture instrumentale, une nouvelle forme de notation musicale, un
nouveau traitement sonore. Mais je ne pouvais pas faire cela toute ma vie. J’ai
donc cherché à écrire une musique en rapport avec le passé, pour m’inscrire
dans la tradition. »
Krzysztof Penderecki (1933-2020), chef d'orchestre. Photo : DR
Cet ancrage dans le passé a
conduit Penderecki à l’extrême simplification de son langage, à l’instar de son
Te Deum dédié en 1980 au pape
Jean-Paul II et, surtout, de son imposant Requiem
polonais, aux colorations brahmsiennes qu’il composa en 1984 et révisa en 1993
et en 2006, à la mort de Jean-Paul II, ainsi que de sa série de huit symphonies
(1973-2005) qu’il se plaisait à diriger, malgré une gestique pas toujours claire
et une battue peu précise, ce qui désorientait les musiciens. Il avait commencé
à diriger dans les années 1950 ses musiques de scène et de film. Un certain
nombre de ses œuvres de concert ont a été utilisées par des cinéastes comme
Stanley Kubrick (Shining), Martin
Scorsese (Shutter Island) et Andrzej
Wajda (Katyn). « La France m’a longtemps
été fermée, car on n’y jurait que par l’avant-garde, constatait-il en 2006. Ma musique
n’a vraiment commencé à y être jouée qu’en 2002 ou 2003. Mais la littérature
française m’a plusieurs fois inspiré, particulièrement dans mes deux derniers opéras,
Alfred Jarry pour Ubu-Rex
créé en 1991, et Jean Racine pour Phaedra sur lequel je travaille en ce moment. »
Krzysztof Penderecki et son épouse Elżbieta en 2015. Photo : (c) Europejskim Centrum Kultury Krzysztofa Pendereckiego
Pourtant, ce dernier opéra ne
verra jamais le jour, Krzysztof Penderecki ayant renoncé à honorer cette
commande de l’Opéra d’Etat de Vienne voilà deux ans, en mars 2018. « Tout
au long de l’année dernière, j’ai essayé de concevoir cet opéra à plusieurs
reprises et de façon intensive, écrivait-il à Dominique Meyer, directeur du premier théâtre lyrique autrichien. Mais en raison de circonstances défavorables, je n’ai d’autre choix
que de demander d’être libéré de ce contrat. Ce fut une décision incroyablement
difficile à prendre, car cette commande, passée par une maison aussi
prestigieuse et prolifique que la vôtre, était la preuve d’une grande confiance
mutuelle. Vous avez eu confiance en moi dès le début… »
Bruno Serrou
A écouter :
Les Diables de Loudun (Opéra de
Hambourg/Marek Janowski - DVD Arthaus Musik et 2 CD Decca), Utrenja (Orchestre Philharmonique de
Varsovie/Antoni Wit - Naxos), Passion
selon saint Luc (Orchestre Philharmonique de Varsovie/Antoni Wit - Naxos), Thrène/Canticum Sacrum/De Natura
Sonoris (Orchestre Symphonique de Londres/ Krzysztof Penderecki - EMI), Requiem polonais (Orchestre Philarmonique
de Varsovie/Antoni Wit - Naxos)
Voir aussi l’article
sur le site du quotidien La Croix :
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