Mirella Freni (1935-2020), ici dans le rôle de la Comtesse Almaviva des Noces de Figaro de Mozart. Photo : DR
Etoile incontestée de la scène lyrique internationale, surnommée dans son pays la Prudentissima en raison du discernement exemplaire avec lequel elle a mené sa carrière et ménagé sa voix, Mirella Freni vient de nous quitter à quelques jours de ses 85 ans. Elle est morte dimanche 9 février des suites d’une « longue maladie dégénérative » en son domicile de Modène, ville du nord de l’Italie où elle est née le 27 février 1935. Aussi loin qu'elle se souvenait, elle disait avoir toujours voulu chanter…
Mirella Freni a en effet commencé à chanter à dix ans dans le cadre de fêtes de famille. A douze ans, elle se produisait en public lors d’un radio-crochet dans l’aria Un bel di, vedremo de Madama Butterfly de Giacomo Puccini…
Mirella Freni fait partie de ces rares musiciennes qui ont marqué leur art de façon indélébile. Sa voix d’une homogénéité parfaite, reconnaissable entre toutes, son timbre alliage de lumière et de délectable douceur sur toute l’amplitude de sa tessiture, son art de l’interprétation d’une expressivité bouleversante, sa technique accomplie l’ont conduite à devenir l’interprète absolue des grands rôles Mozart, Verdi et Puccini, et, plus tard, Tchaïkovski (Tatiana dans Eugène Onéguine, Lisa dans La Dame de Pique, Jeanne d’Arc dans La Pucelle d’Orléans), sous l’influence de son second mari, la basse bulgare Nicolaï Ghiaurov qu’elle avait épousé en 1981.
Mirella Freni (1935-2020). Photo : DR
La façon exemplaire dont Mirella Freni a mené sa carrière lui a permis de se produire sur la scène pendant un demi-siècle. Une prudence qui aura pour corolaire la rupture définitive d’une fructueuse collaboration artistique avec Herbert von Karajan, qui en avait fait sa soprano pour ses productions d'opéras italiens et qui entendait lui confier le rôle-titre de Turandot qu’elle refusa obstinément de chanter, se sentant incapable de surmonter la large amplitude vocale de ce rôle hors-normes chez Puccini.
Une carrière commencée à l'âge de vingt ans, le 3 mars 1955, au Teatro Comunale de Modène, dans le rôle de Micaëla de Carmen de Georges Bizet. Mais, comme elle l’avait fait sur les conseils du grand ténor Beniamino Gigli au lendemain du radio-crochet de 1947 qu’elle avait remporté haut-la-main à l’âge de douze ans, mais à l'issue duquel elle avait renoncé au chant jusqu’à ce jour de mars 1955 où elle se vit confier le personnage de Micaëla. Débuts sans lendemain immédiats, puisqu’elle décide une fois de plus de mettre sa carrière entre parenthèses pour reprendre des cours de chant auprès du chef d’orchestre Leone Maggiera, qui devient son professeur de chant et qu’elle épouse en premières noces. Elle a également été la partenaire privilégiée du ténor Luciano Pavarotti, de moins de huit mois son cadet, né lui aussi à Modène et qui fut pour elle davantage qu'un ami, son frère de lait, puisque leurs mères, faute de pouvoir les nourrir elles-mêmes, les avaient confiés à la même nourrice, une nourrice de toute évidence bénie par les dieux de la musique…
A vingt-cinq ans, Mirella Freni fait ses débuts internationaux au Festival de Glyndebourne en Zerlina de Don Giovanni de Mozart, puis au Convent Garden de Londres en Nanetta de Falstaff. En 1963, elle triomphe dans le rôle de sa vie, Mimi de La Bohème de Puccini à l’Opéra d’Etat de Vienne sous la direction d’Herbert von Karajan aux côté de son ami d’enfance, Luciano Pavarotti avec qui elle va former deux décennies durant le plus bouleversant des couples Mimi-Rodolfo, comme en témoigne l’enregistrement référence éternelle réalisé à Berlin en 1973 sous la direction du chef autrichien pour le label britannique Decca.
Mirella Freni et son "frère de lait" Luciano Pavarotti durant une répérition de La Bohème de Giacomo Puccini en 1966. De dos, assis au piano, Leone Maggiera, premier mari de la cantatrice italienne. Photo : DR
En 1965, elle fait ses débuts au Metropolitan Opera de New York et au Festival de Salzbourg, dans Micaëla et dans Mimi. Pour l’inauguration de son premier mandat à l’Opéra de Paris en 1973, Rolf Liebermann lui confie le rôle de Suzana dans la production de Giorgio Strehler dirigée par Georg Solti des Noces de Figaro de Mozart, tout d’abord Château de Versailles puis à Garnier, et, en 1975, elle est Marguerite dans la tout aussi fameuse production de Faust de Gounod mis en scène par Jorge Lavelli.
Mirella Freni et la basse bulgare Nikolaï Ghiaurov, son second mari. Photo : DR
Mirella Freni élargit imperturbablement son répertoire vers les emplois de soprano lirico spinto, commençant en 1970 par Desdemona d’Otello de Verdi avec Karajan, suivi en 1971 d’Amelia de Simon Boccanegra dans la production historique de Claudio Abbado et Giorgio Strehler à La Scala de Milan reprise deux saisons plus tard à l’Opéra de Paris. Suivent Elisabetta de Don Carlos en 1975, Aida en 1979 sous la direction de Karajan, qui la pousse jusqu’aux limites de sa voix, jusqu’à ce qu’elle refuse d’être Turandot de Puccini, renoncement à l’origine de la rupture avec Karajan, qui ne voudra plus jamais travailler avec elle…
C’est en 2005, à l’Opéra de Washington, qu’elle fait ses adieux à la scène à l'âge de soixante-dix ans dans le rôle de Jeanne d’Arc de La Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski, mettant ainsi un terme à un demi-siècle d’une carrière hors norme. Auparavant, elle a été Manon Lescaut dans l'opéra de Puccini à San Francisco dès 1983 puis à l’Opéra de Paris, Adriana Lecouvreur de Donizetti à l’Opéra Bastille en 1994. Elle a également marqué de son empreinte indélébile deux autres grands rôles, tous deux de Puccini, non pas à la scène mais au studio, Madame Butterfly et Tosca.
Mirella Freni et Herbert von Karajan. Photo : DR
Voix incroyablement phonogénique, Mirella Freni laisse au disque et au film nombre de témoignages à emporter sur l’île déserte, Mimi de La Bohème, Cio-Cio-San de Madama Butterfly avec Karajan et Jean-Pierre Ponnelle, qui la filme également dans Les Noces de Figaro, (la Comtesse Almaviva), tandis que Carmen (Micaëla) et Otello (Desdemona) sont dirigés et filmés par Karajan…
Dans les dernières années de sa vie, Mirella Freni a donné nombre de master classes, notamment dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.
Outre les enregistrements évoqués, il convient d’ajouter I Puritani (Elvira) de Bellini et Don Pasquale (Norina) de Donizetti avec Riccardo Muti, Mephistofele (Margherita) d’Arrigo Boito avec Oliviero di Fabritiis, Faust (Marguerite) de Gounod avec Georges Prêtre, Guillaume Tell (Matilde) de Rossini avec Riccardo Chailly, Don Carlos (Elisabetta) de Verdi avec Karajan ainsi que la Missa da Requiem…
Bruno Serrou
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