Paul Badura-Skoda (1927-2019). Photo : DR
Le grand
pianiste autrichien Paul Badura-Skoda est mort mercredi 25 septembre à l’âge de
91 ans. Pour cet éminent spécialiste de la musique viennoise, particulièrement
de Mozart, Beethoven et Schubert, mais aussi de Bach, leur consacrant plusieurs
livres de référence, Paul Hindemith et Frank Martin dont il était l’ami, la
musique, à l’instar d'un Richard Strauss, représentait la quintessence de la
culture européenne.
Pour Paul
Badura-Skoda, la musique des grands compositeurs refletait à la fois la vie et le mode de vie de l'époque, son aspiration à la sagesse, au sens, à l'harmonie,
à la beauté, à l'accomplissement amoureux ainsi qu'à la quête du divin. Ce
qui le distingue de nombreux interprètes est sa capacité à jouer non seulement
les notes, mais aussi ce qui se passe entre les note qu'il fondait dans
un langage poétique, les faisant « parler ». « J’ai toujours cherché ce qui se passe derrière les notes », disait-il. Ainsi, chacun de ses
concerts était-elle une expérience unique pour ses auditeurs, un véritable événement.
A l’instar de son professeur Edwin Fischer, il savait tirer de son
instrument une sonorité polychrome caractéristique. Sous ses doigts, le piano (que
ce soit un queue moderne ou d’époque) pouvait chanter telle
une voix humaine ou atteindre la plénitude de l'orchestre.
Paul Badura-Skoda (1927-2019). Photo : DR
Immense pianiste, éminent pédagogue, musicologue érudit, ce disciple d’Edwin Fischer était ç l'instar de son maître un grand interprète de Mozart, Beethoven et Schubert dont il
réalisa la première intégrale des sonates sur fortepiano.
Né à Vienne le
6 octobre 1927, Paul Badura-Skoda restera toute sa vie attaché à sa ville natale.
C'est là qu'il s'est formé au piano et à la direction d’orchestre auprès de Martha Wiesenthal puis de Viola Thern au Conservatoire de Vienne où il entre en 1945 et d’où il
sort diplômé trois ans plus tard, avant de se rendre en Suisse où il intègre la classe d’Edwin
Fischer dont il devient à la fois le disciple et l’assistant. C’est également à
Vienne, en 1949, que le pianiste fait ses grands débuts dans le Concerto pour deux pianos et orchestre de Mozart sous la direction
de Wilhelm Furtwänger, avabt d'être invité dans la foulée par Herbert von Karajan. Sa carrière prend son envol dans les années 1950. Il multiplie dès lors les concerts
à travers le monde, de l’Australie au Canada en passant par l’Amérique latine. Il
se produit rapidement sous la direction des plus grands chefs d’orchestre comme
George Szell, Karl Böhm, Sir Georg Solti, Sir Charles Mackerras, Lorin Maazel,
Zubin Mehta, John Eliot Gardiner.
Dans les années 1950 encore, il
rencontre son compatriote Jörg Demus, qui devient son complice dans plusieurs
enregistrements, comme les Sonates à
quatre mains de Mozart, le Grand duo
pour piano à quatre mains de Schubert, ainsi qu'un partenaire privilégié en récital
jusque dans les années 2000. Comme Demus, Badura-Skoda était un grand
collectionneur d'instruments anciens, dont quelques clavecins et fortepianos qu’il
aimait faire découvrir à ses visiteurs. Parmi ses amis et partenaires en
musique de chambre, les violonistes David Oïstrakh, Wolfgang Schneiderhan, avec
qui il collabore régulièrement à partir du Festival de Salzbourg 1950, et le
violoncelliste Boris Pergamenschikoff, formant avec eux un trio avec piano
de légende.
Paul Badura-Skoda est très vite devenu la référence en matière d'interprétation des compositeurs
autrichiens classiques. Mozart, Beethoven et Schubert sont les plus joués par le pianiste, et il enregistrera plusieurs intégrales de leurs sonates pour piano. Ses premiers disques datent de
1950. Il est des pionniers de l’enregistrement du répertoire classique, et le premier à graver plusieurs des sonates et des concertos de Beethoven et de Schubert.
Remarqué pour la justesse de ses interprétations selon les préceptes d'Edwin
Fisher, Badura-Skoda est aussi l’un des premiers pianistes à suivre une
démarche musicologique. Il interprète sur fortepiano Mozart, Beethoven et Schubert. Aussi à l’aise sur ce type d’instrument que sur piano
moderne, il passe d’un clavier à l’autre, d’une époque à l’autre, en fonction de ses besoins ou de ses envies. Son interprétation de la Sonate en la mineur KV. 330 de Mozart est une référence incontestée sur fortepiano.
Paul Badura-Skoda (1927-2019). Photo : DR
L’année du bicentenaire de Beethoven, en
1970, il joue les trente-deux sonates dans plusieurs grands centres musicaux
du monde (Paris, Mexico, Chicago, etc.), suivis de récitals similaires à
Vienne, Berlin et Londres. Au cours de l’Année Mozart en 1991, il donne cent
quarante concerts dans le monde, dont Vienne, Paris, Madrid et
Tokyo. En 2003, il réalise un tour du monde pour ses 75 ans. En 2011, il publie
un disque-hommage à ses compositeurs favoris, Chopin, Ravel, Berg, disque qui permet au mélomane de découvrir une facette peu connue du pianiste. Ce CD compile trente ans d’archives du musicien autour de ces trois compositeurs
apparemment très éloignés de son répertoire. Au total, sa discographie compte plus de deux cents
enregistrements, dont trois intégrales sur pianoforte (Beethoven, Mozart, Schubert). Le parcours musical de cet infatigable débroussailleur explore
également le XXe siècle, avec notamment la création du Concerto n° 2 pour piano et orchestre de Frank Martin qui lui est dédié, ainsi que la Fantaisie sur des rythmes flamencos.
Ses enregistrements vont de Jean-Sébastien Bach à
Frank Martin. Il est le seul pianiste à avoir enregistré l'intégrale des
sonates de Mozart, Beethoven et Schubert tour à tour sur des pianos modernes et
d'époque. Ses CD et DVD contenant des œuvres de Bach, Haydn, Brahms, Chopin,
Schumann, Debussy, Ravel et d’autres ont été primés à plusieurs reprises par la
critique.
Paul Badura-Skoda (1927-2019) dans les années 1950. Photo : DR
Auteur de nombreux ouvrages sur L'art de jouer Bach au clavier, L’art de jouer Mozart au piano ou encore sur
les Sonates de Beethoven, le pianiste a accordé une importance considérable à la transmission de son art. Ses nombreux
écrits reflètent sa quête de l'authenticité, autant dans la musique que dans la vie. Il a
toujours cherché à comprendre les intentions du compositeur et à corriger les
erreurs perpétuées dans les exécutions et les éditions musicales. Il s’est particulièrement
attaché aux œuvres du XVIIIe et du début du XIXe siècle,
complétant des œuvres inachevées de Mozart et Schubert et écrivant des cadences
pour des pièces de compositeurs viennois de l’époque classique. A passion pour la transmission passait en premier lieu par l'enseignement à Essen, de 1980 à 1993,
et au Conservatoire de Vienne. Badura-Skoda a multiplié les cours publics et
autres masterclasses dans le monde entier, influençant quantité de pianistes
parmi lesquels les français Anne Queffélec et Jean-Marc Luisada.
Il
était également compositeur, signant notamment une Missa en ré (1950) et une
Elégie pour piano (1982). Parmi ses nombreux titres honorifiques, celui
de Docteur honoris causa de l’Académie de Musique de Cracovie en 2013.
« La musique est vivante, elle
doit être vécue, elle épouse le mouvement de la vie, disait-il au webzine jejouedupiano.com. Je me replonge
actuellement dans l’étude du Concerto en ré mineur de Bach. Je relis la
partition comme si je la découvrais à peine, mesure par mesure, avec un soin
extrême. Je m’émerveille de petites choses, de nuances, d’inflexions, d’aspects
qui se révèlent encore magiquement tout à coup, et plus encore, je m’attache à
cerner l’essence et la vérité de l’œuvre. C’est là pour moi le défi absolu :
fuir la répétition qui naît de la paresse ou de l’habitude, ne pas devenir le
clone de ses disques, de soi-même, par manque de courage, de conscience, de
sincérité. » (https://www.jejouedupiano.com/le-mag-du-piano/interview-de-Paul-Badura-Skoda.html)
Bruno Serrou
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