lundi 22 octobre 2018

Strasbourg, Pelléas et Mélisande de Debussy aux fortes tensions dramatiques

Strasbourg (Bas-Rhin). Opéra national du Rhin. Samedi 19 octobre 2018

Claude Debussy (1864-1918), Pelléas et Mélisande. Anne-Catherine Gillet (Mélisande), Jacques Imbrailo (Pelléas). Photo : (c) Clara Beck / OnR

Dans le cadre du centenaire de la mort de Claude Debussy, disparu le 25 mars 1918 à l’âge de cinquante-cinq ans, l’Opéra du Rhin propose son Pelléas et Mélisande dans une approche dramatique des plus convaincantes

Claude Debussy (1864-1918), Pelléas et Mélisande. Anne-Catherine Gillet (Mélisande), Jean-François Lapointe (Golaud). Photo : (c) Clara Beck / OnR

Tandis que dans la fosse, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg aux basses grondantes et aux sonorités luxuriantes dans lesquelles les musiciens paraissent se délecter, la conception du chef corniste français Franck Ollu s’avère plus vériste que symboliste, sur le plateau Barrie Kosky anime les personnages avec une intensité théâtrale avivée par une direction d’acteur impérieuse, tandis que la scénographie de Klaus Grünberg, dégagée de tout accessoire, tient de la métaphore.

Claude Debussy (1864-1918), Pelléas et Mélisande. Anne-Catherine Gillet (Mélisande), Jacques Imbrailo (Pelléas). Photo : (c) Clara Beck / OnR

Cette coproduction de l’Opéra du Rhin, de l’Opéra-Comique de Berlin, où elle a été créée, et du Théâtre national de Mannheim, est passionnante, malgré ses évidentes contradictions. Franck Ollu impulse une tension singulière tout en maintenant une liquidité naturelle à la partition marine de Debussy, poussant les chanteurs à un engagement constant et à donner à la déclamation caractéristique de Pelléas et Mélisande conjointement un débit théâtral et un onirisme envoûtant dans les moments les plus tendres et passionnés. De telle sorte que, si ce n’était l’entracte superflu mais obligé pour d’autres raisons qu’artistiques, ce spectacle franco-germanique répond parfaitement à la volonté de Debussy, qui déclarait : « J’ai voulu que l’action ne s’arrêtât jamais, qu’elle fût continue, ininterrompue. La mélodie est anti-lyrique. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie. Je n’ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d’exigences techniques, le mouvement des sentiments et de passions de mes personnages. Elle s’efface dès qu’il convient qu’elle leur laisse l’entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur. »

Claude Debussy (1864-1918), Pelléas et Mélisande. Cajetan Dessloch (Yniold), Jean-François Lapointe (Golaud). Photo : (c) Clara Beck / OnR

Ainsi, les protagonistes se meuvent sur un décor unique de granit sombre recouvert de poids blancs tournant sur lui-même et sur quatre niveaux de profondeur dans lesquels ils s’expriment, disparaissent pour réapparaitre du côté opposé, s’intègrent et se détachent tour à tour. Aucun accessoire en dehors de ce système, dans lequel s’intègre un banc et des lumières symbolisant une forêt, un lac, pas même de tour, de grotte, de lit ou de fenêtre, ni même de longue chevelure. Tout est suggéré par la musique, le chant, la direction d’acteur.

Claude Debussy (1864-1918), Pelléas et Mélisande. Vincent Le Texier (Arkel), Dionysos Idis (le Médecin), Marie-Ange Todorovitch (Geneviève), Anne-Catherine Gillet (Mélsande), Jean-François Lapointe (Golaud). Photo : (c) Clara Beck / OnR

La distribution est sans faille. La Mélisande de la soprano belge Anne-Catherine Gillet est d’une féminité évanescente, sa voix comme son corps est d’une souplesse féline, son timbre lumineux et flexible sont d’un être énigmatique étonnant. A ses côtés, le baryton sud-africain Jacques Imbrailo est un Pelléas incandescent et émouvant. Habitué au rôle-titre, le baryton canadien Jean-François Lapointe endosse celui de Golaud avec une force mâle, ivre de jalousie, ce qui le conduit à sombrer dans les affres d’une autodestruction enflant avec une force saisissante, tandis que son fils Yniold est supérieurement campé par un garçon du célèbre Tölzer Knabenchor, Cajetan Dessloch, qui s’exprime en un français irréprochable. La basse française Vincent Le Texier est un Arkel sonore, que le metteur en scène rend excessivement entreprenant et violent envers sa petite-fille Mélisande qu’il tente d’abuser sexuellement, tandis que Marie-Ange Todorovitch est une touchante Geneviève.

Bruno Serrou

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