mercredi 22 novembre 2017

La somptueuse mise en scène de Patrice Chéreau de «De la maison des morts» de Janáček enfin à l’Opéra de Paris

Paris. Opéra de Paris-Bastille. Samedi 18 novembre 2017

Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris

Voilà dix ans, le Festival de Vienne (Wiener Festwochen) créait l’événement en reconstituant pour De la maison des morts de Leoš Janáček (1854-1928) le trio Pierre Boulez/Patrice Chéreau/Richard Peduzzi qui a marqué à jamais l’opéra moderne avec la production du centenaire du Festival de Bayreuth avec le Ring (1976-1980), et avec Lulu d’Alban Berg à l’Opéra Garnier en 1979. En reprenant la légendaire production de De la maison des morts, qui a pour cadre le goulag, celui des tsars décrit par Dostoïevski, mais aussi celui de 1927, année de la composition de l’ouvrage dix ans après la révolution bolchévique de 1917 et trois ans de dictature stalinienne, grande pourvoyeuse des camps, l’Opéra de Paris est en pleine actualité historique.

Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris

C’est en 1988 que l’œuvre testament du compositeur morave a franchi le seuil de la première scène lyrique française, la même saison que Kat’a Kabanová réalisé par Götz Friedrich. Mais, contrairement à ce dernier qui eut droit au palais Garnier avant Bastille où il s’est maintenu jusqu’en 2001, De la maison des morts dut se contenter de la salle Favart, beaucoup trop exiguë pour lui, si bien qu’il disparut aussitôt, malgré les qualités incontestables de la mise en scène du cinéaste allemand Volker Schlöndorff. En 2005, Bastille présentait une nouvelle production, cette fois venue de Salzbourg et mise en scène par Klaus Michael Gruber.

Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris

L’Opéra de Paris présente enfin la légendaire approche de Patrice Chéreau, décédé le 7 octobre 2013 (voir https://brunoserrou.blogspot.fr/2013/10/mort-de-patrice-chereau-lhomme-qui.html). Cette poignante approche a été créée en 2007 à Vienne, avant d’être reprise à Amsterdam, Aix-en-Provence, Berlin et proposée sur support DVD (1). Malgré l’absence des magiciens Boulez et Chéreau, et même s’il y manque l’intimité du regard pénétrant du second porté sur les protagonistes de De la maison des morts, leur esprit est là, tant l’aboutissement scénique et musical de ce huis clos est toujours est inouï. L’on retrouve dans ce spectacle la synthèse de la pensée de Chéreau centrée à l’opéra sur le travail d’acteur qu’il obtenait de bonne grâce des chanteurs, non seulement un investissement physique mais aussi une intériorité de jeu fondé sur la psychologie. 


Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris

Sans héros central, l’ouvrage de  Janáček plonge dans une communauté d’hommes d’une profonde humanité malgré la finalité du goulag qui consiste à réduire les détenus à l’état de non-être, un univers carcéral que Fiodor Dostoïevski, comme Alexandre Soljenitsyne plus tard, a vécu de l’intérieur et que Janáček le russophile a si brillamment mis en musique.

Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris

Dans le décor particulièrement oppressant de Richard Peduzzi aux apparences de froid béton en constante évolution finissant en long couloir d’hôpital avant que mur du fond s’ouvre sur un espace infini, Chéreau affermit les individualités des seize acteurs et des dix-neuf chanteurs, chacun étant doté d’une puissante personnalité. Ce qui donne une fluidité confondante à une action faite de plusieurs récits sans relations autres que le cadre pénitentiaire. Au sein de cette communauté, un somptueux chœur de l’Opéra de Paris, une fascinante performance des vieux routiers que sont Willard White (Alexandre Petrovitch Goriantchikov) et Graham Clark (le vieux prisonnier), mais aussi Eric Stoklossa (Aleïa), Štefan Margita (Louka Kouzmich), Peter Straka (le grand prisonnier), Vladimir Chmelo (le petit prisonnier), Peter Mattei (Chichkov), pour ne citer qu’eux… Dans la fosse, un autre proche de Chéreau, Esa-Pekka Salonen, qui dirige de façon plus âpre que Pierre Boulez tout en ménageant des contrastes saisissant et une clarté constante.

Bruno Serrou

Opéra Bastille jusqu’au 2 décembre. www.operadeparis.fr. Exposition Patrice Chéreau, palais Garnier jusqu’au 3 mars 2018. Studio Bastille projection des sept mises en scène d’opéra de Chéreau jusqu’au 26 novembre. 1) 1 DVD DG

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