Paris. Opéra de Paris-Bastille. Samedi 18 novembre 2017
Voilà dix ans, le Festival de
Vienne (Wiener Festwochen) créait l’événement en reconstituant pour De la maison des morts de Leoš Janáček (1854-1928) le trio Pierre Boulez/Patrice
Chéreau/Richard Peduzzi qui a marqué à jamais l’opéra moderne avec la
production du centenaire du Festival de Bayreuth avec le Ring (1976-1980), et avec Lulu
d’Alban Berg à l’Opéra Garnier en 1979. En reprenant la légendaire production
de De la maison des morts, qui a pour
cadre le goulag, celui des tsars décrit par Dostoïevski, mais aussi celui de
1927, année de la composition de l’ouvrage dix ans après la révolution bolchévique
de 1917 et trois ans de dictature stalinienne, grande pourvoyeuse des camps,
l’Opéra de Paris est en pleine actualité historique.
Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris
C’est en 1988 que l’œuvre
testament du compositeur morave a franchi le seuil de la première scène lyrique
française, la même saison que Kat’a Kabanová réalisé par Götz Friedrich.
Mais, contrairement à ce dernier qui eut droit au palais Garnier avant Bastille
où il s’est maintenu jusqu’en 2001, De la maison des morts dut se
contenter de la salle Favart, beaucoup trop exiguë pour lui, si bien qu’il
disparut aussitôt, malgré les qualités incontestables de la mise en scène du
cinéaste allemand Volker Schlöndorff. En 2005, Bastille présentait une nouvelle
production, cette fois venue de Salzbourg et mise en scène par Klaus Michael
Gruber.
Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris
L’Opéra de Paris présente enfin la
légendaire approche de Patrice Chéreau, décédé le 7 octobre 2013 (voir https://brunoserrou.blogspot.fr/2013/10/mort-de-patrice-chereau-lhomme-qui.html). Cette poignante
approche a été créée en 2007 à Vienne, avant d’être reprise à Amsterdam,
Aix-en-Provence, Berlin et proposée sur support DVD (1). Malgré l’absence des
magiciens Boulez et Chéreau, et même s’il y manque l’intimité du regard pénétrant
du second porté sur les protagonistes de De
la maison des morts, leur esprit est là, tant l’aboutissement scénique et
musical de ce huis clos est toujours est inouï. L’on retrouve dans ce spectacle la
synthèse de la pensée de Chéreau centrée à l’opéra sur le travail d’acteur qu’il
obtenait de bonne grâce des chanteurs, non seulement un investissement physique mais aussi une
intériorité de jeu fondé sur la psychologie.
Sans héros central, l’ouvrage de Janáček plonge dans une communauté d’hommes d’une profonde humanité malgré la finalité du goulag qui consiste à réduire les détenus à l’état de non-être, un univers carcéral que Fiodor Dostoïevski, comme Alexandre Soljenitsyne plus tard, a vécu de l’intérieur et que Janáček le russophile a si brillamment mis en musique.
Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris
Sans héros central, l’ouvrage de Janáček plonge dans une communauté d’hommes d’une profonde humanité malgré la finalité du goulag qui consiste à réduire les détenus à l’état de non-être, un univers carcéral que Fiodor Dostoïevski, comme Alexandre Soljenitsyne plus tard, a vécu de l’intérieur et que Janáček le russophile a si brillamment mis en musique.
Leoš Janáček (1854-1928), De la maison des morts. Photo : (c) Elisa Haberer/Opéra de Paris
Dans le décor particulièrement
oppressant de Richard Peduzzi aux apparences de froid béton en constante
évolution finissant en long couloir d’hôpital avant que mur du fond s’ouvre sur
un espace infini, Chéreau affermit les individualités des seize acteurs et des dix-neuf
chanteurs, chacun étant doté d’une puissante personnalité. Ce qui donne une
fluidité confondante à une action faite de plusieurs récits sans relations
autres que le cadre pénitentiaire. Au sein de cette communauté, un somptueux chœur
de l’Opéra de Paris, une fascinante performance des vieux routiers que sont
Willard White (Alexandre Petrovitch Goriantchikov) et Graham Clark (le vieux
prisonnier), mais aussi Eric Stoklossa (Aleïa), Štefan Margita (Louka
Kouzmich), Peter Straka (le grand prisonnier), Vladimir Chmelo (le petit
prisonnier), Peter Mattei (Chichkov), pour ne citer qu’eux… Dans la fosse, un
autre proche de Chéreau, Esa-Pekka Salonen, qui dirige de façon plus âpre que
Pierre Boulez tout en ménageant des contrastes saisissant et une clarté
constante.
Bruno Serrou
Opéra Bastille jusqu’au 2
décembre. www.operadeparis.fr.
Exposition Patrice Chéreau, palais Garnier jusqu’au 3 mars 2018. Studio
Bastille projection des sept mises en scène d’opéra de Chéreau jusqu’au 26
novembre. 1) 1 DVD DG
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