Depuis près de dix-huit ans,
Péter Eötvös se consacre presque exclusivement à l’opéra. Cela avec grand
succès, puisqu’il est l’un des compositeurs vivants les plus programmés par les
scènes lyriques internationales. Chef d’orchestre, ex-directeur musical de l’Ensemble
Intercontemporain, la musique d’orchestre lui est également familière. Mais ses
deux passions sont mêlées, ses pages instrumentales intégrant une scénographie,
une mise en résonance avec les divers pupitres des formations qu’il met en
confrontation. Cette particularité s’exprime pleinement dans le concerto, qui
est un peu son second domaine de prédilection.
En novembre 2014, pour l’inauguration
de son nouvel auditorium de l’avenue du Président Kennedy, Radio France
célébrait le soixante-dixième anniversaire du compositeur chef d’orchestre
hongrois en lui offrant carte blanche tout un week-end durant. C’est à cette
occasion que trois de ses concertos ont été enregistrés en première mondiale
avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par ses soins et avec
trois éminents solistes.
Intitulé DoReMi, le second Concerto
pour violon et orchestre a été composé en 2012, soit six ans après le
premier, Seven, Memorial for the Columbia
Astronauts. Il est interprété ici par sa dédicataire, la violoniste
japonaise Midori, qui donne le titre à l’œuvre par une permutation des syllabes
et une modification d’une voyelle, do-ré-mi, qui, pour Eötvös, est à la musique
ce qu’est 1-2-3 dans l’univers des chiffres, également symbole de l’accomplissement.
La pièce s’ouvre sur des scintillements évanescents de trois triangles et des
instrumentas au registre aigu source de la foisonnante richesse de la partie orchestrale
fondée sur ces trois notes fondamentales dont le compositeur tire un monde
sonore, de gestes et de textures luxuriant. Presque omniprésent, le violon a un
tour espiègle, bondissant, énergique, se métamorphosant au sein d’une
orchestration perpétuellement changeante, jusqu’à la cadence, qui se conclut
sur un dialogue de la soliste avec un chaleureux alto, avant que le violon
termine dans un climat nocturne d’une poésie apaisée.
Le Concerto Grosso pour violoncelle a été créé en 2011 par le grand
compatriote hongrois et ami d’Eötvös, le violoncelliste Miklós Perényi, son
dédicataire, et l’Orchestre Philharmonique de Berlin dirigé par le compositeur.
Le titre de l’œuvre indique qu’il s’agit d’une œuvre concertante entre les
pupitres de l’orchestre, selon ne forme archaïque remontant au XVIIe
siècle, et le violoncelle solo, auxquels répond le tutti des violoncelles. Retournant à Béla Bartók, dont il est l’indéniable
héritier, Eötvös fonde cette partition sur des danses d’hommes traditionnelles hongroises
et transylvaniennes, alors que le pizzicato
Bartók est largement utilisé. L’orchestration puissante et dense, les rythmes
d’une grande motricité confèrent à l’œuvre une force tellurique.
Composé en 2012-2013, le concerto
pour percussion Speaking Drums est
une œuvre ludique et iconoclaste mais impressionnante. Le soliste, qui agit de
tout le poids de son corps, dispose d’un large éventail d’instruments et se
voit confiés des bribes de poèmes rythmés de Sandor Weöres (1913-1989), dans
les deux premiers mouvements, et du poète indien Jayadeva dans le troisième, qu’il
crie tel un bonze. S’imposant à tout l’orchestre, le percussionniste se lance
dans une parodie de danses populaires, une cadence délicate de cloches tubes,
avant de conclure sur une extravagante cadence de batterie quoiqu’un rien
longuette.
Sous la direction de Péter
Eötvös, l’Orchestre Philharmonique de Radio France scintille de tous ses feux,
précis, solide, compact, fluide, transparent, tous les pupitres semblant se
régaler des orchestrations colorées, contrastées, toujours renouvelées du
compositeur hongrois, dont le lyrisme et l’expressivité sont des constantes
aptes à toucher tous les publics, malgré une écriture et une pensée qui ne
cèdent jamais à la facilité. Les trois solistes, la violoniste japonaise Midori,
le violoncelliste français Jean-Guihen Queyras et le percussionniste autrichien
Martin Grubinger sont époustouflants de virtuosité, de précision, d’engagement.
Bruno Serrou
1 CD « 21st Century ». 1h 11mn 02s. Alpha-Classics/Outhère 208
(distribution Harmonia Mundi)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire