Paris, Opéra National de Paris-Bastille, lundi 29 juin 2015
Malgré son renom, Adriana Lecouvreur de Francesco Cilèa
(1866-1950) n’est pas l’opéra vériste le plus couru en France. C’est pourtant
grâce à cet ouvrage que ce contemporain de Mascagni et de Leoncavallo, eux
aussi reconnus pour un seul de leurs opéras, s’est maintenu. Inspiré du drame d’Eugène
Scribe et Ernest Legouvé Adrienne Lecouvreur
(1849), le livret d’Arturo Colautti est tiré d’un fait réel qui opposa la
princesse de Bouillon et la célèbre tragédienne Adrienne Lecouvreur (1692-1730)
admirée par Voltaire, dont elle fut l’une des interprètes favorites et avec qui
elle entretint une relation amoureuse. Elle eut également une liaison plus
suivie avec Maurice de Saxe (1696-1750), maréchal de France. Mais en 1730 sa
santé vacilla, au point qu’elle s’évanouissait de plus en plus souvent pendant
les représentations de la Comédie-Française dont elle était l’une des stars. C’est
alors que le bruit courut de son empoisonnement par la duchesse de Bouillon, elle-même
éprise du maréchal. Enterrée à la sauvette par des amis du maréchal de Saxe et
de Voltaire, l’église excommuniant en ce temps-là les comédiens, le triste sort
d’Adrienne Lecouvreur inspira à Voltaire ces vers qui sonnent aujourd’hui
encore de funeste façon : « Et
dans un champ profane on jette à l’aventure / De ce corps si chéri les restes
immortels ! / Dieux ! Pourquoi mon pays n’est-il plus la patrie / Et
de la gloire et des talents ? »
Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris
C’est cette rivalité entre la
duchesse et la tragédienne pour l’amour du maréchal, et la mort de la seconde
après avoir inhalé les parfums mortels d’un bouquet de violettes empoisonné
qui sont au centre de l’action de l’opéra de Cilèa. Créé au Teatro Lirico de
Milan le 6 novembre 1902 par Angelica Pandolfini dans le rôle-titre, Enrico
Caruso dans celui de Maurizio et Giuseppe De Luca en Michonnet, le régisseur du
Théâtre Français secrètement épris de la tragédienne, l’ouvrage connut un
rapide succès. Théâtre dans le théâtre, le livret est en effet efficace dramatiquement parlant,
alternant vie réelle et théâtre à l’instar de Cavalleria rusticana de Mascagni, en dépit d’un texte plutôt kitsch.
Ce dernier a inspiré néanmoins au compositeur une musique brillante et expressive
mais d’une évidente facilité bien qu’évitant les accents trop larmoyants, avec
des airs qui touchent et mettent en valeur les qualités vocales de ses
interprètes, particulièrement de l’héroïne, tandis que l’orchestration est
luxuriante.
Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Pour le retour de cet ouvrage à l’Opéra
de Paris vingt-deux ans après son apparition en 1993, Nicolas Joël, dont c’est
l’ultime « nouveau » spectacle qu’il aura programmé pour le premier
théâtre lyrique de France, a choisi de faire appel à une production élaborée voilà
cinq ans par David McVicar pour la scène du Covent Garden de Londres, où elle a
été captée pour le DVD, reprise au Liceu de Barcelone, à l’Opéra de Vienne et à
celui de San Francisco. Le metteur en scène écossais nous a habitués à beaucoup
plus inspiré (cf. son Ring à Strasbourg)
que ce spectacle qui est aussi pour lui l’occasion de sa première prestation à
l’Opéra de Paris. Sa direction d’acteur est étonnement figée, malgré l’écrin de
lumières bien léchées d’Adam Silverman et les riches costumes XVIIIe
fort bien dessinés par Brigitte Reiffenstuel. Mais les somptueux décors de
Charles Edwards qui plongent justement l’action dans l’artifice de la scène se
perdent un peu sur le vaste plateau de l’Opéra Bastille.
Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Adriana Lecouvreur et la Princesse de Bouillon. Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Alternant dans le
rôle-titre avec Angela Gheorghiu, pour qui la production a été conçue, Svetla
Vassileva campe une Adriana Lecouvreur ardente et spontanée, ne forçant jamais
ni le trait ni la voix pour mettre en avant une musicalité et une fraîcheur
constantes, un timbre lumineux et charnel. Luciana d’Intino est une Princesse
de Bouillon abjecte et haineuse à souhait rivalisant non seulement
psychologiquement avec l’héroïne mais aussi vocalement, par sa puissance, ses
colorations et son engagement. Entre elles deux, Marcelo Alvarez est un Maurizio
solide et riche en nuances, sa voix rayonnant sans forcer. De sa voix ferme et bien
timbrée, Alessandro Corbelli brosse un Michonnet à la fois touchant et enjoué. Wojtek
Smilek est un Prince de Bouillon fort respectable, à l’instar de Raúl Giménez
en Abbé de Choiseul, tandis qu’Alexandre Duhamel (Quinault) Carlo Bosi
(Poisson), Mariangela Sicilia (Melle Jouvenot) et Carol Garcia (Melle
Dangeville) complètent avec les honneurs cette distribution pour le moins homogène.
Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Luciana d'Intino (la Princesse de Bouillon), Marcelo Alvarez (Maurizio). Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Sous la direction effilée et
idiomatique de Daniel Oren, qui, en habitué de la fosse de Bastille et du
répertoire italien, s’avère particulièrement attentif aux chanteurs et joue d’un nuancier raffiné, l’Orchestre
de l’Opéra de Paris alterne fougue et onirisme,
mettant en évidence l’orchestration de Cilèa.
Bruno Serrou
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