jeudi 14 novembre 2013

Luxuriante 8e Symphonie de Chostakovitch du Cleveland Orchestra et Franz Welser-Möst

Paris, Salle Pleyel, mardi 12 novembre 2013

Franz Welser-Möst et le Cleveland Orchestra. Photo : (c) Cleveland Orchestra, DR

La mise en perspective des Symphonies n° 4 de Beethoven et n° 8 de Chostakovitch par l’Orchestre de Cleveland pouvait surprendre. Mais l’écoute simultanée en a révélé non pas l’évidence mais une certaine filiation, bien que le climat de chacune des symphonies soit fort éloigné de l’autre, voire carrément opposé. En présence de Christoph von Dohnanyi, qui a été le directeur musical de la somptueuse phalange états-unienne pendant dix-huit ans, le Cleveland Orchestra et son successeur Franz Welser-Möst ont confirmé l’évidente filiation de ces musiciens avec la tradition musicale allemande, tout en imposant ses chatoyantes sonorités d’airain qui font la spécificité des orchestres nord-américains.

Etincelante et voluptueuse, la Symphonie n° 4 de Beethoven s’est avérée extrêmement séduisante et colorée, mais à force de briller, l’interprétation a laissé l’auditeur de marbre, l’œuvre semblant s’étirer en longueur, en raison de quelques passages atones, particulièrement dans l’Adagio, mais le court finale a scintillé avec grâce et opulence, laissant finalement sur une impression d’accomplissement de bon aloi.

Loin du climat de la Quatrième Symphonie de Beethoven, écrite en un été, celui de 1806, alors que le compositeur vivait l’une des périodes les plus heureuses de sa vie, voyant alors son amour pour Thérèse de Brunswick prospérer, la Huitième Symphonie de Chostakovitch, conçue elle aussi le temps d’un été, celui de 1943, est le fruit de l’une des moments les plus sombres de l’Histoire, celui de l’année-charnière de la Seconde Guerre mondiale qui marqua le début de la fin de l’Allemagne nazie. Il s’agit donc d’une symphonie de guerre, à l’instar de la Septième sous-titrée « Leningrad », une partition majeure du compositeur russe alors sous le choc de la bataille de Stalingrad que venaient de remporter les troupes soviétiques. L’œuvre est construite en cinq mouvements déployés sur un peu plus d’une heure, les trois derniers formant un cycle indivis ouvert sur une marche infernale qui semble évoque clairement une trouée de chars et de fantassins conduisant à une flambée de violence terrifiante, plus impressionnante encore que toutes celles qui ponctuent la partition entière, notamment dans l’Allegro du mouvement initial.

Le tout a été rendu avec une précision rare par la direction fluide de Franz Welser-Möst suivie avec maestria par des pupitres de l’Orchestre de Cleveland d’une grande cohésion, sachant notamment trouver dans l’admirable scène de bataille les couleurs dramatiques tenant de l’épopée de tout un peuple. Il manque néanmoins dans cette interprétation captivante cette force brute, cette acidité rêche, cette sauvagerie barbare, cette rusticité que savent si naturellement restituer les orchestres russes, tant la beauté plastique des extraordinaires musiciens de la phalange états-unienne trouve à s’épanouir et qui, de ce fait, excellent dans les pianissimi et dans les nombreux soli que compte la partition joués avec une précision et une délicatesse stupéfiantes. La comparaison s’annonce passionnante avec ce que feront de cette même Symphonie n° 8 de Chostakovitch dans cette même Salle Pleyel Valery Gergiev et l’Orchestre du Théâtre Mariinsky le 17 février prochain (1).

Bruno Serrou

1) Valery Gergiev et l’Orchestre du Théâtre Mariinsky poursuivent cette saison Salle Pleyel l’intégrale des symphonies de Chostakovitch commencée la saison dernière : les 1, 2 et 3 décembre 2013, 17 et 18 février 2014

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