Ivan Fischer et le Budapest Festival Orchestra. Photo : DR
Contrairement
à la saison dernière (voir 26/09/12), le concert du Budapest Festival Orchestra
et de son directeur musical fondateur Ivan Fischer a fait salle comble, hier
soir, à Pleyel. Il faut dire que le public a sans doute été attiré par la
soliste du concerto, la pianiste portugaise Maria João Pires.
Maria João Pires. Photo : DR
Une
Pires contractée planquant tout en délicatesse et en discrétion le thème
principal exposé d’entrée du Concerto pour
piano et orchestre n° 4 en sol majeur
op. 58 de Beethoven, mais qui, transportée par l’orchestre foisonnant
répondant avec brio à l’élan de son directeur musical, s’est rassurée le temps
du long développement à l’orchestre du motif initial exposé avec élégance et
chaleur par le Budapest Festival Orchestra, qui s’avèrera par la suite à la
fois extraordinairement à l’écoute de la soliste et d’une présence charnelle et
rutilante. Ce qui a permis à Pires, dont le jeu s’est avéré d’une incroyable
simplicité, de se libérer de toute appréhension pour imposer sa rayonnante
musicalité au service de l’un des concertos pour piano les plus éblouissants du
répertoire. Dans le sublime Andante
central, la soliste et l’orchestre ont chanté d’un élan commun, jusqu’au silence-même,
d’une singulière éloquence, tout en restant chacun sur leur quant-à-soi, alors
que dans le Rondo final l’alternance
douceur et violence a été magnifiée par les sonorités ductiles de l’orchestre
et le fondu des timbres du piano en parfaite harmonie avec son partenaire. Longuement
ovationnée par le public, Maria João Pires a offert en bis un Impromptu de
Schubert d’une singulière limpidité.
Photo : DR
Avant
le concerto de Beethoven, le Budapest Festival Orchestra a ouvert le
concert avec une œuvre rare mais portant d’une émotion rare, le Threnos in memoriam Béla Bartók de Sándor
Veress (1907-1992). Compositeur trop négligé encore, pédagogue fort couru en
son temps - György Ligeti, György Kurtag en Hongrie, Heinz Holliger en Suisse comptent
parmi ses élèves -, Veress rend dans cette extraordinaire partition un hommage bouleversant
à celui qui fut son professeur dont il venait d’apprendre la mort, loin de sa
terre natale. D’un seul tenant construit sur trois crescendos vertigineux, ce
Thrène pour orchestre sa place dans l’esprit de la musique de celui dont elle
déplore la disparition, avec ses longues tenues sur des pédales de basses, ses
figures obstinées, ses fanfares de cuivres et la percussion sonnant le glas,
particulièrement les timbales. De toute évidence installé en fonction de cette
partition d’un quart d’heure (six contrebasses alignées en fond de plateau,
derrière les bois, percussion et cuivres répartis de chaque côté des bois, quatorze
premiers violons, huit violoncelles, dix altos et douze second violons
entourant le chef de jardin à cour), l’orchestre a donné de cette œuvre d’une
intense élévation spirituelle une interprétation idoine, musiciens et chef
chantant dans leur jardin.
Même
sensation de total syncrétisme avec la Symphonie
n° 8 en sol majeur op. 88 B 163 d’Antonín
Dvořák. Si Hongrois et Tchèques ne s’entendaient guère à l’époque des
Habsbourg, les temps semblent avoir changé, tant l’approche du Budapest
Festival Orchestra s’est avérée spontanée, souple, aérienne, emplie de bonheur
et de nostalgie propre à la musique tchèque en général et à Dvořák en
particulier. Sous la direction souple et généreuse d’Ivan Fischer, le geste
rare mais large, s’économisant toujours pour
laisser libres ses musiciens virtuoses
de chanter tout le content, la
pénultième symphonie de Dvořák a sonné avec un naturel infini, la diversité des
climats chantant avec une poésie constante l’émerveillement du compositeur
devant la nature et l’humanité entière. La joie exubérante qui émane de l’Allegro initial a conduit de façon
surprenante les musiciens à pousser un cri tonitruant comme s’ils étaient dans
une valse viennoise un jour de l’an. Conquis par l’élan singulier de cette
lecture de la Huitième de Dvořák, le public, enthousiaste, a conduit l’orchestre
à conclure le concert sur une valse, venue non pas de l’ancien empire
austro-hongrois mais du Japon, puisqu’Ivan Fischer a porté son dévolu sur une
valse pour orchestre à cordes qui, si le chef hongrois n’en avait pas donné la
clef, aurait laissé l’auditoire dubitatif, puisqu’il s’agissait d’un pastiche
des plus sérieux et mimétique signé Tōru Takemitsu (1930-1996), sans
doute tirée de l’une de ses musiques de film.
Bruno Serrou
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