vendredi 29 septembre 2023

Entretien avec Pierre Bleuse, directeur musical de l'Ensemble Intercontemporain : l'art de l'écoute par la création

Pierre Bleuse. Photo : DR

Huitième directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain créé en 1976 par Pierre Boulez, Pierre Bleuse, né le 6 novembre 1977 à Boulogne-Billancourt, a pris ses fonctions en août 2023 dans le cadre d’une tournée européenne pour la création d’un opéra d’Hèctor Parra et un programme György Ligeti. Il succède à une lignée de chefs d’orchestre qui, depuis quarante-sept ans, compte dans ses rangs compositeurs et interprètes avec dans l’ordre chronologique Pierre Boulez (1976-1978, compositeur), le Suisse Michel Tabachnik (1978-1979, compositeur), le Hongrois Péter Eötvös (1979-1991, compositeur), l’Etatsunien David Robertson (1992-1999, corniste), le Britannique Jonathan Nott (2000-2005, chanteur), la Finlandaise Susanna Mälkki (2006-2012, violoncelliste) et l’Allemand Matthias Pintscher (2013-2023, compositeur). Violoniste de renom, chef principal de l’Odense Symfonieorkester au Danemark depuis 2021, directeur du Festival Pablo Casals de Prades depuis 2020, Pierre Bleuse est le second musicien français après le fondateur à la tête de cet ensemble de solistes de trente et un instrumentistes qui fait référence dans le monde en matière de création.

Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemporain lors de la création de Polyptich: Mnemosyne... de James Dillon. Photo : (c) EIC

Bruno Serrou : Vous êtes le premier directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain à ne pas avoir été choisi par Pierre Boulez…

Pierre Bleuse : C’est vrai. Je m’en suis aperçu en découvrant l’histoire de l’ensemble. Je pense qu’une nouvelle période s’ouvre. D’abord parce que je suis le premier Français depuis Pierre Boulez. Prendre une responsabilité comme celle de l’Ensemble Intercontemporain est pour moi émouvant, tant je suis conscient du fait qu’il représente un moment particulier dans ma vie. Après la joie immédiate qu’une telle nomination procure, le sens des responsabilités m’est très vite venu.


B. S. : Avez-vous accepté sans hésiter cette proposition ?

P. B. : Non… Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain et moi nous sommes rencontrés lors d’un concert Présences, peu avant la Covid-19. J’ai notamment dirigé Into the Little Hill de George Benjamin. Ce fut un moment très fort. Avec la musique de Benjamin d’abord. Ensuite, parce que cela se passait à un moment de ma vie où je commençais énormément de choses. Le lendemain de ce concert, je faisais mes débuts à Vienne avec le Tonkünstlerorchester dans la Cinquième Symphonie de Beethoven, et j’arrivais du Danemark où je venais de diriger mon orchestre, l’Odense Symfonieorkester. J’ignorais alors que l’Intercontemporain cherchait un directeur musical. J’étais concentré sur mon travail. C’est pendant la période Covid-19 que j’ai été informé de leur quête d’un directeur musical. Ce qui m’a conduit à me retourner vers mon adolescence, à l’époque où je découvrais l’EIC, son répertoire, et mes premières rencontres avec Pierre Boulez. J’avais huit ans quand il est venu chez mes parents. Je me souviens des deux fois où ils l’ont reçu. J’étais comme un enfant qui regarde une brillante personnalité, conscient que quelque chose d’important est en train de se passer sans vraiment mesurer ce qu’il en est. Puis j’ai eu la chance de jouer à deux reprises sous sa direction comme violoniste, une fois durant mes études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris puis avec l’Ensemble Court-Circuit pour l’un de ses anniversaires. Et chaque fois, j’ai eu la joie de parler avec lui. A huit ans, je rêvais déjà de diriger, avant même de commencer le violon, mais j’ai toujours été très patient, comme si je savais qu’il me fallait attendre le bon moment. J’avais tellement de respect pour la direction d’orchestre que j’attendais patiemment. Quelque chose en moi disait qu’il le fallait. J’observais, je dirigeais en autodidacte, mais je n’avais pas fait le grand plongeon. J’avais encore des choses à réaliser en tant qu’instrumentiste. Ces rencontres avec Pierre Boulez sont inoubliables tant elles ont été fortes. J’avais entre dix-neuf et vingt-deux ans au moment où j’ai joué sous sa direction.

Pierre Bleuse. Photo : (c) EIC

B. S. : Vous aviez rencontré Pierre Boulez alors que vous étiez enfant, grâce à vos parents…

P. B. : J’avais huit ans, la première fois, et dix ans la deuxième. Mon père, Marc Bleuse, était alors directeur du Conservatoire de Paris avant d’être nommé directeur de la Musique et de la Danse du ministère de la Culture à l’époque du ministre François Léotard ; ma mère, Anne Fondeville, était cantatrice. Captivé par la direction d’orchestre, je me souviens d’avoir très jeune pu observer les grands chefs que j’admirais. Des profils très divers. Pierre Boulez a été pour moi, avant d’être un compositeur, un chef éblouissant. Ce que j’ai le plus admiré chez lui tient au fait que l’on sent en lui une immense force de caractère avec, au début, une raideur tout aussi impressionnante dans la battue, quelque chose de très rigide, et soudain, le génie de cet homme qui, commençant très tard, a très vite acquis l’art du geste. C’est-à-dire qu’il a tout intégré en autodidacte au contact des orchestres les plus réputés, au point de devenir l’un des plus grands chefs de l’Histoire. Il suffisait de regarder ses mains pour savoir ce que l’on allait entendre, l’attaque, la couleur, l’intonation, le tempo. Cette respiration dans les mains, cette compréhension de la phrase, du phrasé, du son qu’il entendait obtenir étaient extraordinaires. J’ai considérablement appris en le regardant, en suivant le parcours absolument génial de ce compositeur qui devient un très grand chef d’orchestre, ouvrant finalement son répertoire, puisqu’il est allé jusqu’à enregistrer Anton Bruckner (1). Cela tient du prodige. La proposition de l’Intercontemporain m’a touché parce qu’elle m’a conduit à convenir que le travail que j’avais accompli a été fructueux. Pour le chef d’orchestre que je suis, le retour vient toujours des musiciens, je partage avec eux, je suis là pour essayer de faire en sorte que chacun puisse donner le meilleur de lui-même, pour que nous allions tous ensemble dans une même direction musicale. Ce travail que nous avons fait collectivement avant ma nomination a été ressenti de façon positive.


B. S. : A l’époque de Pierre Boulez et de Brigitte Margé, son administratrice, un slogan de l’Ensemble Intercontemporain le présentait comme des « Solistes ensemble »…

P. B. : C’est beau. Et si vrai. C’est exactement cela. Ce qui m’a séduit dès ma première expérience avec l’ensemble, ce sont précisément ces deux états, des musiciens virtuoses qui jouent merveilleusement ensemble. Avant de diriger l’EIC, je le voyais comme un Everest, et je me demandais si j’étais vraiment préparé pour en faire l’ascension. Et il y a des réputations qui impressionnent, ce qui est le cas de l’EIC, dont les musiciens sont particulièrement exigeants, y compris envers eux-mêmes… Etais-je vraiment prêt ?...

Pierre Bleuse en 2009, premier violon de l'Orchestre de Chambre de Toulouse. Photo : DR

B. S.: Est-ce comme premier violon de l’Ensemble Court-Circuit que vous avez commencé à pratiquer la musique contemporaine ?

P. B. : Comme je vous l’ai déjà dit plus haut, je suis comme « tombé dedans » tout petit. J’ai toujours vu et entendu mon père composer à la maison, j’ai joué son Concerto pour violon très tôt, alors que j’étais étudiant au Conservatoire de Toulouse dont il était directeur. J’avais douze ans quand il a été nommé à Toulouse, ma fratrie était bercée par la création musicale. La musique contemporaine a donc toujours été présente dans ma vie de façon très naturelle, à l’instar du reste du répertoire. Ensuite, pendant mes études, il m’a été demandé d’assurer un remplacement à Court-Circuit, qui m’a immédiatement intégré à son équipe alors que j’étais encore étudiant. Puis il y a eu TM+. Après Court-Circuit, terminant mes études au Conservatoire de Paris, j’ai commencé le quatuor à cordes avec le Quatuor Satie où la musique contemporaine était très présente. Nous avons par exemple enregistré le Quatuor « Eridan » de François-Bernard Mâche avec le Quatuor de Ravel, et les musiciens que je côtoyais avaient en général une réelle curiosité pour la création. J’aime travailler avec les compositeurs, étant moi-même fils de compositeur. Je les apprécie tellement que je me demande comment il est possible de se couper de ce qu’il y a de plus merveilleux au monde, la création. A mon avis, les choses ont été prises plus ou moins à l’envers au XXe siècle quand la musique du passé a été redécouverte grâce au disque. C’était bien sûr merveilleux, mais le danger tient au fait que nous sommes soudain allés écouter la seule musique que nous connaissons, alors qu’auparavant on allait toujours écouter des créations. Comme disait Leonard Bernstein, on ne va pas au concert pour avoir des réponses mais pour se poser des questions, pour éveiller la curiosité. J’ai décidé de m’orienter résolument vers la direction d’orchestre en 2010, grâce notamment à Jorma Panula dont je suis devenu l’élève. Il m’a dit « démissionne de ton poste de violon solo, maintenant tu es chef d’orchestre ». Après, j’ai décidé de faire un Master à Genève avec Laurent Gay, personnalité peu connue dans le monde des interprètes mais extraordinaire pédagogue, et les classes de composition de Michael Jarrell et de Luis Nahon. Les élèves devaient diriger des œuvres contemporaines, ce qui me passionnait, je me suis lié d’amitié avec Michael Jarrell, qui m’a tout de suite demandé d’en faire de plus en plus, C’est ainsi que j’ai découvert sa musique. Cette période a été fantastique, et Michaël est devenu l’un de mes proches. Genève a été un endroit formidable, parce qu’il m’est toujours paru naturel de confronter le patrimoine culturel, la modernité et la contemporanéité, de réfléchir, de me poser des questions. Quand on travaille avec les compositeurs, il est quand même inouï de se dire que nous nous situons dans la continuité de l’histoire de la musique… 

Pierre Bleuse. Photo : (c) EIC

B. S. : L’esprit de ce passé se retrouve dans les éditions Urtext…

P. B. : J’ai fait du violon baroque, ce qui m’a passionné. J’ai notamment eu la chance de remplacer au pied levé un confrère et de jouer ainsi en trio avec Christophe Coin. Ce fut une expérience très riche. Cet homme est fantastique, un très grand musicien avec une vision extrêmement large. J’ai beaucoup appris à son contact. La question de l’Urtext est intéressante aussi lorsqu’il est question de création. L’Urtext et sa réalisation conduisent à la redécouverte d’éléments qui ont conduit à la cristallisation de l’œuvre telle qu’elle nous est parvenue, les musicologues se concentrant sur des informations réputées authentiques, et ce travail censé aboutit à une partition plus conforme aux vœux du compositeur mort depuis des lustres et devient une bible immuable et intouchable. Si bien que l’on passe d’un coup de l’autre côté du miroir au risque de se tromper totalement. Quand on travaille avec les compositeurs, on mesure à quel point l’échange créateur-interprète est important. Les choses peuvent évoluer en fonction du contexte, les notions de tempo, d’acoustique, de phrasé, de dynamique, rien n’est jamais figé. Quand je me plonge dans le passé, j’imagine autant que possible que je suis avec le compositeur, et avec ceux d’aujourd’hui, je suis comme si j’étais à côté de Ravel ou de Debussy, et je me pose toujours des questions, je réfléchis, je travaille sur les partitions avec des éléments les plus purs possibles. Mais en même temps Nikolaus Harnoncourt disait toujours travailler avec des mauvaises éditions pour se poser lui-même les bonnes questions afin de chercher ce que le compositeur veut dire derrière les notes. Mais quand un chef d’orchestre arrive sur un podium, il ne doit plus se poser de questions, il se doit d’être prêt. Autre point qu’il lui faut connaître, savoir précisément qui joue quoi, mais surtout exprimer ce qu’il attend des musiciens, ce que veut nous dire le compositeur, ce qui est caché derrière les notes. Je considère mon travail comme celui d’un archéologue : je cherche, je creuse, je me demande ce que le compositeur veut exprimer dans une architecture, dans un temps donné. Dans une œuvre, l’on saisit l’architecte à l’intérieur du temps. Parfois, on sent des choses extraordinaires mais qui soudain se perdent plus ou moins… Le rapport du compositeur avec le temps, sa façon de le gérer, la force rythmique de la construction sont des éléments capitaux. Pour moi, rien de plus riche que de consacrer une part de mon activité avec les compositeurs, de me remettre constamment en question à leur contact, de parler avec eux du son. Quand je me projette à rebours, je constate que tout ce qui a été fait dans le domaine de la musique contemporaine a été merveilleux, pourquoi la création musicale est-elle devenue un monde à part ?... Vous avez commencé cet entretien en disant « vous êtes le premier directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain à ne pas avoir été nommé par Pierre Boulez »… C’est vrai, et cela signifie que nous sommes désormais dans une autre époque, que nous avons changé de temps. Il est important pour moi et pour l’Ensemble de nous en rendre compte et de nous demander comment avec nos responsabilités nous allons passer dans cette ère nouvelle, comment un ensemble créé pour des raisons et à un moment précis avec des besoins de cette époque-là, comment aujourd’hui est-il perçu, quelle place doit être la sienne et comment le faire évoluer et passer dans notre époque. Le tout sans perdre son âme.

Pierre Bleuse dirigeant l'Orchestre du Festival Pablo Casals de Prades en l'abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Festival Pablo Casals de Prades

B. S. : C’est plus ou moins ce qui avait été reproché à David Robertson quand il a commencé à programmer la musique répétitive dans la programmation de l’Ensemble Intercontemporain… 

P. B. : Oui, mais d’un autre côté, je pense qu’il faut trouver le bon équilibre. Il faut ouvrir. C’est un besoin, une nécessité, ne serait-ce que pour la respiration des musiciens, la diversité des esthétiques permet de travailler d’autres choses, dans le son, dans la respiration… C’est un savant dosage à assurer, il convient d’être à la fois diplomate et toujours rigoureux dans le choix.

Pierre Bleuse et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : EIC

B. S. : L’Ensemble Intercontemporain est dépositaire de l’esprit de Pierre Boulez et des compositeurs de sa génération. Son ombre ne pèse-t-elle pas trop sur vos épaules ? 

P. B. : Pierre Boulez était d’une grande bienveillance et authenticité. Il aimait les gens qui se comportaient de façon naturelle, qui ne jouaient pas les doctes savants. Je garde de lui ce souvenir incroyable. Cela m’a marqué parce que, dans cette nouvelle fonction de directeur musical de l’Ensemble, je pense à lui tous les jours. Vous évoquiez la formule « solistes, ensemble », c’est précisément ce que je ressens en travaillant avec eux depuis un moment, entre la tournée et le disque György Ligeti qui paraîtra en janvier chez Alpha Classic. Avoir commencé avec ce disque et cette tournée a été très important pour moi, parce que je tiens à échanger avec les musiciens sur leur immense expérience de cette musique. 

 

B. S. : Que vous apportent vos différentes fonctions ici, à Paris, avec l’EIC, et à Odense avec l’orchestre symphonique ?

P. B. : Par rapport à ma vie aujourd’hui, avec l’EIC et mon orchestre danois, j’ai la chance de pouvoir développer des choses différentes. Je continue avec mon orchestre au Danemark qui m’a proposé de signer de nouveau un contrat de quatre ans. J’ai accepté deux ans, tant cela se passe très bien avec eux. En outre, cette année je vais au Japon, en Nouvelle-Zélande, je retourne à Singapour, à la BBC de Londres, à Birmingham, j’ai beaucoup de projets en Allemagne, notamment à la Elbphilharmonie de Hambourg… Donc, mes activités se développent dans des répertoires diversifiés. Et c’est précisément ce que je voulais au début de ma carrière. 

Pierre Bleuse et l'Odense Symfonieorkester. Photo : DR

B. S. : Etre à la fois à la tête de l’Ensemble Intercontemporain et d’un orchestre symphonique vous convient donc parfaitement…

P. B. : Par rapport à ma vie aujourd’hui, avec l’EIC et mon orchestre danois, j’ai la chance de pouvoir développer des choses différentes. Je continue avec mon ensemble au Danemark, qui m’a proposé de signer de nouveau un contrat de quatre ans. J’ai accepté deux ans, tant cela se passe très bien avec eux. 


B. S. : Comme vous, et depuis toujours, beaucoup de violonistes sont devenus chefs d’orchestre, à l’instar des Charles Münch, Lorin Maazel, Emmanuel Krivine… Qu’est-ce qui vous a attiré vers la direction d’orchestre ?

P. B. : Je ne me suis jamais lassé du violon. La question était que, avant même que l’on me présente un violon quand j’étais enfant, je voulais diriger. Pour moi, le processus a donc été inversé. J’ai eu très tôt cette passion. J’étais dans cette famille de musiciens, j’ai vu très tôt des chefs d’orchestre, j’ai vu mon père diriger. J’ai adoré le violon. Mon père est aussi compositeur, mon frère aîné, Emmanuel, a choisi le violoncelle, et ma sœur, Jeanne, le piano. En fait, mes parents avaient envie de constituer un trio avec leurs enfants. Ils m’ont donc incidemment dirigé vers le violon, ce fut pour moi une très belle rencontre et il m’a énormément appris. Je pense que cela explique pourquoi, quand je suis devant un orchestre, je me sens bien, ayant vécu des choses extraordinaires avec le violon. J’ai été violon solo, premier ou second violon de quatuor, comme il m’est arrivé d’être au fond de l’orchestre, et j’ai toujours eu la même passion. Comme violoniste, j’ai eu des responsabilités, j’ai été premier violon solo, concert master, je n’étais donc pas en train d’attendre impatiemment de diriger. J’aime la musique et j’ai aimé toutes les fonctions que j’ai occupées comme violoniste. Ce n’était donc pas un choix dû à une lassitude pour mon instrument, mais une continuité logique. C’est-à-dire que pour moi, à un certain moment, je me suis dit « et si maintenant je pouvais essayer de réaliser mon rêve de devenir chef d’orchestre ». Les personnes à qui j’en parlais m’ont dit « vas-y », si bien que peu à peu le rêve a pris de plus en plus de place, j’ai eu moins de temps pour le violon, et je me suis rendu compte que pour le réaliser il me fallait me concentrer à deux cents pour cent.

Pierre Bleuse et Hèctor Parra lors de la création en juin 2023 de l'opéra Orgia entouré de l'équipe artistique. Photho : DR

B. S. : Comment abordez-vous les questions de sensibilisation des publics à des formes musicales globalement assez complexes ?

P.B. : L’écoute demande du temps. Or, nous vivons une ère de l’immédiateté et de la communication souvent vidée de son sens. Je lutte contre cela, car c’est un grand danger pour la société. Un certain nombre d’artistes que j’adore font de très belles carrières mais qui, pour déjouer la crise de la musique classique, versent à mon sens trop dans ce « marketing » de l’instantané et des formats courts. Je pense que nous devons au contraire retrouver le temps long, seule façon d’appréhender l’art dans toute sa profondeur, sa complexité et sa richesse. Mon premier acte  en tant que directeur musical de l’EIC est clair : j’ai passé une commande d’une œuvre de soixante-quinze minutes au compositeur écossais James Dillon. J’ai eu un véritable coup de foudre pour son fantastique univers musical quand j’ai dirigé son cycle Pharmakeia en 2021 à la Cité de la musique. Cet acte nous conduit à réfléchir ensemble pour pénétrer le langage d’un créateur, avec le temps nécessaire. Quand j’ouvre une partition, je travaille, j’observe, je passe du temps dessus. Nous avons besoin de ce temps long. Ce n’est pas pour rien que Leonard Bernstein, à l’époque, jouait deux fois les créations, au début et à la fin du concert, pour que les gens puissent mieux les appréhender. Pour la création de Dillon, nous avons voulu embarquer les musiciens comme le public dans une expérimentation inédite. Nous avons donc installé une scène tournante au centre de la salle afin d’éviter une frontalité pour que, où que l’on se situe dans la salle, on ait une expérience sonore égale. 

Pierre Bleuse et la compositrice Liza Lim. Photo : (c) EIC

B. S. : Que souhaitez-vous faire par rapport à vos prédécesseurs ? Quelles seront les particularités de votre politique artistique ?

P. B. : Ma volonté n’est pas de changer tout ce qui a été fait avant moi. Mon idée est que chaque concert soit réfléchi comme un petit bijou, en portant une extrême attention à la qualité de ce que nous produisons. Je tiens à développer plusieurs types de productions. Dans le résultat artistique en premier lieu, le sens venant derrière. Je tiens à développer plusieurs desseins. Nous avons commencé avec Orgia d’Hèctor Parra des créations d’opéras, forme scénique essentielle à développer à l’avenir. Nous avons aussi cette toute première édition d’EIC and Friends en novembre de cette année. Il s’agit d’un mini-festival avec deux concerts, l’un à la suite de l’autre. Pour lancer ce nouveau projet, j’ai invité la violoniste Patricia Kopachinskaja. Le concept est de disposer dans la saison d’un temps à part pour inviter des artistes extérieurs à l’Ensemble Intercontemporain pour stimuler notre imagination et nos pratiques. Les artistes ont besoin d’échanger, de découvrir ce qui se passe ailleurs, de partager. Ce premier EIC&Friends aura pour fil d’Ariane l’Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach. Initialement, je souhaitais que nous nous concentrions sur les admirables Fantaisies de Henry Purcell parce qu’elles sont d’une modernité hallucinante, mais la date concordait avec le week-end Bach de la Philharmonie de Paris. Nous nous sommes donc tournés vers l’Offrande musicale avec de larges extraits de l’œuvre mis en regard avec des créations en forme de « miniatures » de quatre jeunes compositeurs et compositrices. Ce premier concert, chambriste, dans lequel jouera déjà Patricia [Kopachinskaja] sera suivi du second, cette fois dirigé, qui poursuivra ce dialogue amical par-delà les siècles entre Bach et le répertoire, du XXe siècle à aujourd’hui. La version d’Anton Webern du Ricercar fera le lien entre les deux concerts de la soirée. Le thème de l’Offrande musicale est d’une telle modernité que j’ai trouvé qu’il faisait sens avec l’EIC.

Pierre Bleuse et James Dillon durant les répétitions de la création de Polyptich: Mnemosyne... Photo : (c) EIC

B. S. : Avez-vous invité d’autres ensembles à travailler avec vous, allemands, autrichiens, belges, portugais ?...

P. B. : Pour l’instant ce n’est pas arrivé dans les tuyaux. Mais pourquoi pas ? Mes premiers défis à relever sont d’un autre ordre. L’Ensemble Intercontemporain, à l’origine, comptait trente et un musiciens solistes. Ce qui n’est plus le cas depuis quelques années. Trois postes ont été gelés, alors que nous jouons quantité de pièces avec des supplémentaires. Mon premier objectif est de revenir à trente et un solistes. Je travaille ardemment dans ce sens avec le ministère de la Culture. Nous sommes en train de recevoir des signaux qui nous font plaisir. L’idée est d’aborder 2025, année du centenaire du fondateur de l’EIC, Pierre Boulez, en n’étant plus bancals, avec la totalité de nos effectifs. Ce qui veut dire aussi avoir des commandes en conséquence, et la pièce de Dillon abonde dans le sens du grand effectif. Parce que nous sommes uniques. Si nous demandons trente et un solistes à l’Etat et que nous jouons toujours à seize ou à vingt, les pouvoirs publics vont nous dire à quoi bon trente et un ? Il nous faut donc élaborer un répertoire en conséquence, à la fois le construire et l’enrichir. Autre projet très importants, un retour dans les Régions, ce qui nous était impossible parce que nous étions trop chers.


B. S. : Quelle va être votre politique de chefs invités ?

P. B. : Je souhaite une plus grande diversité dans le choix des chefs invités. Cette année, nous avons un projet avec Esa-Pekka Salonen, nous recevrons aussi Péter Eötvös, Jonathan Nott. Je souhaite également faire revenir David Robertson, François-Xavier Roth, et inviter des chefs comme Thierry Fischer qui sont aussi des passionnés ayant de magnifiques carrières.

Recueilli par Bruno Serrou

Cité de la Musique/Philharmonie de Paris, mardi 29 août 2023

1) Pierre Boulez est allé jusqu’à enregistrer Haendel à l’époque où il était directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de New York pour la Columbia (CBS/Sony Classical) voir http://brunoserrou.blogspot.com/2014/12/cd-pour-les-90-ans-de-pierre-boulezsony.html



 

L’Orchestre de Paris et Paavo Järvi entre brûlante luminosité d’un Richard Strauss méconnu et énergique obscurité d’un César Franck ressassé

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Jeudi 28 septembre 2023 

Paavo Järvi. Photo : DR

Cette semaine, l’Orchestre de Paris retrouvait l’un de ses anciens directeurs musicaux (2010-2016), l’Estonien Paavo Järvi, actuel chef titulaire de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich et de la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême. 

Paavo Järvi, Orchestre de Paris. Phot : (c) Bruno Serrou

Au programme, une première partie fort originale, une seconde plus routinière. Deux œuvres très rares tout d’abord. Bien que signée de Richard Strauss, il reste encore du compositeur bavarois tout un pan de la création fort peu courue des salles de concerts. C’est précisément sur cette part d’ombre du catalogue straussien que l’Orchestre de Paris a judicieusement porté son dévolu. Dans l’ordre chronologique plutôt que dans celui du concert, le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 8 composé en 1880-1882 par un jeune homme de 16-17 ans empli d’admiration pour Beethoven et Mendelssohn qu’il jouait en famille et qu’il dirigeait à la tête de l’orchestre de jeunes fondé pas son père, le corniste virtuose Franz Strauss - l’œuvre est dédiée à son cousin maternel et professeur de violon Benno Walter, kapellmeister de l’Orchestre du Théâtre de la Cour de Bavière, avec qui Richard Strauss la créa au piano à Vienne le 12 mai 1882, la création avec orchestre -, saturé de difficultés techniques mais déjà empli de sensualité et de lumière qui n’avait pas été donné par l’Orchestre de Paris depuis vingt ans, par le même soliste alors âgé de vingt-sept ans dirigé par un Wolfgang Sawallisch, éminent chef straussien qui célébrait ses quatre-vingts ans. Renaud Capuçon. Le violoniste star médiatique et populaire s’est avéré attentif et concentré, malgré des accrocs de justesse dans l’Allegro initial il est vrai extrêmement délicat à réaliser tant il s’y trouve de pièges techniques, ce qui a conduit à une interprétation glaciale. Plus lyrique et comme libéré, le soliste a su faire chanter son instrument sans traîner dans le Lento, ma non troppo central, et s’est fait plus serein dans un Rondo : Presto final bien en place. Restant judicieusement dans le répertoire straussien, Renaud Capuçon a offert en bis une pièce solo fort rare lui aussi, de l’ultime période de Strauss, âgé de plus de 80 ans, une merveilleuse miniature d’une minute, Daphné Étude en sol majeur op. 141 sur le thème de la métamorphose de la nymphe en laurier tiré du finale de l’opéra Daphné op. 82 (1936-1938) conçue en 1945.

Paavo Järvi, Renaud Capuçon, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Mais avant le concerto, le concert avait été ouvert avec une œuvre tout aussi rarement programmée de Richard Strauss, la suite de la musique du ballet Josephs Legende (La Légende de Joseph) composée pour les Ballets Russes, qui en ont donné la création avec succès dans une chorégraphie de Vaslav Nijinski et Mikhaïl Fokine à l’Opéra de Paris le 14 mai 1914, soit deux mois et deux semaines avant le déclenchement du Premier Conflit mondial qui fit que les auteurs ne reçurent jamais ni honoraires ni  droits d’auteur. L’œuvre est le fruit de la quatrième collaboration du compositeur bavarois avec le poète-librettiste autrichien Hugo von Hofmannsthal, après Elektra, Der Rosenkavalier et Ariadne auf Naxos et avant Die Fau ohne Schatten, la genèse de ce dernier s’échelonnant sur la durée de la Première Guerre mondiale qui mit un terme brutal à la carrière de l’œuvre. Il s’agit ici d’une adaptation d’un épisode de l’Ancien Testament tiré du Livre de la Genèse qui conte les mésaventures du berger Joseph, fils de Jacob, vendu comme esclave à Putiphar dont la femme s’éprend du jeune homme, qui se refuse à elle. Face à ses échecs, elle le condamne à mort, mais il est sauvé par un ange, ce qui conduit la séductrice au suicide… Certes, le chaste Joseph n’avait guère de quoi séduire à son tour Richard Strauss, qui rencontra moult difficultés pour mener à son terme la rédaction de la partition. Pourtant, en 1947, à la demande de son éditeur qui entendait réveiller l’intérêt des organisateurs de concerts et de spectacles, en composa une réduction d’une vingtaine de minutes tout en en étoffant l’orchestration qui est créée en mars 1949 à Cincinnati sous la direction de Fritz Reiner. C’est cette version qui a été choisie par l’Orchestre de Paris, qui,  dirigé avec énergie par Paavo Järvi, en a donné une interprétation tendue et chamarrée, mais parfois confuse, la polyphonie foisonnante - avec en outre l’appoint d’un orgue symphonique - mais très serrée et contrastée au risque de paraître confuse, tout en mettant en valeur l’ensemble des pupitres solistes qui ont largement de quoi s’y exprimer.

Au point que l’on n’a pu que regretter le fait que l’Orchestre de Paris eût été mieux inspiré s’il eût choisi l’intégralité de la musique du ballet, plutôt qu’une énième exécution de la monolithique et cyclique Symphonie en ré mineur de César Franck, dans une interprétation au demeurant fort dynamique et virtuose.

Bruno Serrou 


 

jeudi 28 septembre 2023

Visions apocalyptiques d’Elsa d’un Lohengrin chef de guerre à l’Opéra de Paris

Paris. Opéra Bastille. Mercredi 27 septembre 2023

Richard Wagner (1813-1883), Lohengrin dans la mise en scène de Kirill Serebrennikov. Photo : (c) Charles Duprat / OnP

Huit saisons après l’anti-héros peint par Claus Guth (http://brunoserrou.blogspot.com/2017/01/lohengrin-heros-craintif-aux-pieds.html), l’Opéra de Paris Bastille retrouve Lohengrin en chef de guerre vu par le cerveau dérangé d’Elsa, porteuse non pas de la conception de Richard Wagner mais de celle du metteur en scène, Kirill Serebrennikov 

Richard Wagner (1813-1883), Lohengrin. Johanni van Oostrum (Elsa), Piotr Beczaia (Lohengrin). Photo : (c) Charles Duprat / OnP

Le metteur en scène et cinéaste russe rendu célèbre par son film L’Etudiant primé au Festival de Cannes 2016, avant d’être victime de la répression politique du régime de Poutine à l’automne 2017, la justice russe saisissant tous ses biens et le condamnant en juin 2020 à trois ans de prison avec sursis pour « détournement de fonds », désormais installé en Allemagne, est clairement concerné, jusqu’à l’obsession, par l’invasion de l’Ukraine par ses compatriotes sous le joug de Poutine et par les exactions que ses troupes y commettent. C’est en effet en pleine guerre contemporaine qu’il situe l’action de l’opéra de Richard Wagner, et son héros adopte plus ou moins la physionomie, les attitudes et les vêtements du président ukrainien Volodymyr Zelensky…

Richars Wagner (113-1883), Lohengrin. Johanni van Oostrum (Elsa), Piotr Beczala (Lohengrin). Photo : (c) Charles Duprat / OnP

Kirill Serebrennikov conte donc une histoire qui n’a rien à voir avec celle du compositeur-librettiste-dramaturge-metteur en scène Richard Wagner, et il est recommandé de lire attentivement l’intrigue figurant dans le programme de salle avant le lever de rideau si l’on tient à ne pas trop se perdre. Le dramaturge réalise « un spectacle qui aborde le drame du point de vue d’Elsa, y est-il en effet précisé, une jeune femme sensible et clairvoyante, hantée par la perte de son frère à la guerre. Généralement opposés à la figure politique et obscure d’Ortrud, l’héroïne et ses contours permettent ici d’envisager l’œuvre au-delà du manichéisme qui la caractérise souvent ». Ainsi, le monde apparaît-il inversé, avec un couple infernal Ortrud/Telramund devenant positif, tandis que l’univers du roi Henri l’Oiseleur plonge dans l’oppression. L’action se déroule tel un rêve d’Elsa, placée dans un hôpital psychiatrique régi par Ortrud et Telramund. Une vision apocalyptique et psychiatrique qui tient la route, même si elle n’a rien à voir avec le sujet conçu par Wagner, à l’exception du texte et de la musique. Elsa est décrite comme une « jeune femme », Lohengrin comme « la vision d’Elsa et son Protecteur », Ortrud comme une « »psychiatre et directrice de la clinique psychiatrique », Friedrich von Telramund comme l’« époux d’Ortrud avec qui il dirige la clinique, et psychiatre militaire », le roi Henri comme « Souverain » et le héraut son « porte-parole », tandis que les trois actes sont respectivement intitulés « Le Délire », « La Réalité » subdivisée en deux parties (la clinique psychiatrique, l’hôpital) et « La Guerre ». Saturé de visions infernales, dont un cimetière et une morgue, le plateau, qui s’ouvre de plus en plus au fur et à mesure des actes, les vidéos, les graffitis et les mots qui y sont projetés représentent le monde intérieur névrosé d’Elsa dont l’esprit est troublé depuis la disparition de son frère au combat et à qui elle avait fait de déchirants adieux au moment de son départ, images que le metteur en scène a fait tourner en noir et blanc par Alan Mandelshtam et qu’il déploie sur le décor durant le prélude du premier acte. Ainsi, le chevalier au cygne n’est plus qu’une chimère d’Elsa, dont l’esprit est miné par la culpabilité d’être en vie, et qui se voit danser éperdue à travers deux jeunes femmes qui lui ressemblent, traversant une suite de pièces hantée par tout ce qui la tourmente. Chef de guerre, Lohengrin tuera le psychiatre Telramund, vétéran mutilé que Kirill Serebrennikov rend finalement sympathique puisqu’il en fait le seul personnage à tenter de s’opposer à la folie conflictuelle généralisée. En lieu et place de la cérémonie nuptiale du début du troisième acte, Serebrennikov réunit des soldats qui épousent tristement et rapidement leurs fiancées à la chaîne avant de partir guerroyer, tandis que la nuit de noces de Lohengrin et Elsa se déroule près d’un lit d’hôpital entouré de soldats, de blessés et de morts, alignés et brûlés dans la pièce voisine. Lohengrin fera ses adieux à Elsa en lui remettant sa plaque d’identité militaire et en lui rendant son frère, avant de partir rejoindre Montsalvat et sa troupe d’élite de chevaliers gardiens du saint Graal…

Richard Wagner (1813-1883), Lohengrin. Wolfgang Koch (Friedrich von Telramund), Nina Stemme (Ortrud). Photo : (c) Charles Duprat / OnP

Soutenue par la direction d’acteurs au cordeau de Kirill Serebrennikov, la distribution est sans faiblesse. Piotr Beczala est un Lohengrin exceptionnel. Le vigoureux ténor polonais a la voix puissante, solide, sure, colorée, au nuancier infini, au timbre vaillant et onctueux, et à la ligne de chant d’une grande élasticité, ce qui le conduit à un récit du Graal bouleversant. Il incarne plus qu’il joue ce personnage belliqueux et implacable mais capable de tendresse et de compassion. Tout aussi magnifique, la soprano sud-africaine Johanni van Oostrum qui fait de saisissants débuts à l’Opéra de Paris dans un rôle qui lui sied particulièrement. La voix malléable et brulante, le timbre clair et brillant, il émane de sa personne à la fois ardeur et émotion, tragique et éclat, ce qui lui permet d’entrer pleinement dans la vision terriblement complexe du metteur en scène russe. Nina Stemme est une Ortrud-psychiatre terrifiante de noirceur et de violence, sa voix souvent criarde et au vibrato prononcé la rend effrayante, son personnage n’étant que cris et imprécations. A ses côtés, un Telramund tout aussi sombre mais plus alambiqué et vulnérable campé à la perfection par Wolfgang Koch. Malgré son humble corpulence, Kwangchul Youn, voix puissante et droite, est un Henri l’Oiseleur à la noble stature, tandis que le baryton-basse chinois Shenyang est un Héros un rien trop discret.

Richard Wagner (1813-1883), Lohengrin. Johanni van Oostrum (Elsa). Photo : (c) Charles Duprat / OnP

Il convient de saluer également la remarquable performance du Chœur de l’Opéra de Paris, qui, sous la direction de sa chef de chœur taïwanaise Ching-Lien Wu (voir son interview http://brunoserrou.blogspot.com/2021/05/ching-lien-wu-portrait-et-entretien-de.html), s’avère d’une constance, d’une précision et d’une homogénéité impressionnantes. A l’instar de l’Orchestre de l’Opéra, qui, sous la direction énergique, contrastée, passionnée, valeureuse du chef britannique Alexander Soddy remplaçant ici Gustavo Dudamel, directeur musical démissionnaire, brille de tous ses feux, plus particulièrement dans cette œuvre les cuivres, qui, disséminés autour de la salle, tournoient et se répondent dextrement en échos triomphants proprement époustouflants, mais aussi bois et cordes aux intonations et aux carnations d’une saisissante beauté et aux couleurs somptueuses.

Bruno Serrou 


mercredi 27 septembre 2023

CD : Bouleversant témoignage artistique posthume du violoncelliste Aleksandr Khramouchin avec son épouse Eliane Reyes


Quel son fabuleux, ce violoncelle ! Il est pourtant dit dans la pochette du disque que celui qui le suscite, Aleksander Khramouchin, ne joue pas sur un instrument d’exception, et ce n’était pas là la préoccupation première du musicien… Que serait-ce alors s’il en fût autrement, tant il en résulte un disque de grande beauté, bouleversant, d’une force troublante.

Né en 1979 à Minsk dans une famille de musiciens - c’est son père violoniste qui lui donna ses premières leçons de... violoncelle -, Aleksandr Khramouchin se présente tel un météore. A sa mort brutale survenue le 13 mai dernier à la suite d’un choc septique foudroyant, il n’avait que 43 ans. Titulaire de nombreux prix internationaux, finaliste du Concours Tchaïkovski de Moscou en 2002 - année sans premier prix -, il s’était installé en Belgique en 1992, où il étudiait au Conservatoire d’Anvers auprès de Hans Mannes avant d’être nommé à 19 ans violoncelle solo de l’orchestre Philharmonique du Luxembourg, poste qu’il occupe jusqu’en 2019, et d’enseigner à l’International Musica Mundi School de Waterloo jusqu’en 2021. Il était également un chambriste disputé, se produisant notamment au sein du Quatuor Aviv de 2010 à 2015, ainsi qu’avec des musiciens comme Emmanuel Ax, Christian Ivaldi, Pascal Devoyon, Marie-Josèphe Jude, Alexandra Soumm, et avec sa femme Eliane Reyes, qui signe dans la pochette du présent CD un texte-portrait-hommage bouleversant à son défunt mari.

Laissant une discographie de tout premier plan, avec des enregistrements de compositeurs aussi rares au disque que passionnants, comme Gabriel Pierné avec Christian Ivaldi, Jean Cras avec Alain Jacquon, Maurice Ohana avec Pascal Devoyon, et un programme de musique de chambre de Jean Huré, le tout pour le label Timpani, Aleksandr Khramouchin a également gravé avec sa femme Eliane Reyes un récital de sonates de Serge Rachmaninov et de César Franck paru chez Azur Classical.

C’est avec elle qu’Aleksandr Khramouchin lègue à la postérité son ultime témoignage discographique qui vient de paraître chez Etcetera Records, label néerlando-belge dont le catalogue est l’un des plus captivants et originaux dans le domaine classico-contemporain. Le programme, d’une intensité extrême, est le miroir du talent et de l’ampleur du répertoire du violoncelliste biélorusse, avec des compositeurs allant du XVIIIe siècle à nos jours d'œuvres d’Allemands, de Belges, de Français et de Russes, de Jean-Sébastien Bach - avec un trop court extrait de la seule Suite n° 3 pour violoncelle en ut majeur, une Sarabande singulièrement lyrique, qui éveille l’appétence d’écoute de la totalité du cycle - à Michel Lysight (né en 1958) - une transcription pour violoncelle et piano des Trois Croquis pour violon et piano -, en passant par Robert Schumann et une remarquable interprétation des trois Fantasiestücke Op. 73, l’arrangement évanescent du violoncelliste de la Ballade Op. 27/3 en fait la Sonate n° 3 pour violon d’Eugène Ysaÿe, celui de la Vocalise Op. 3/14 de Serge Rachmaninov et une vivifiante Sonate pour violoncelle seul en ut majeur Op. 119 de Serge Prokofiev, un poétique Après un rêve de Gabriel Fauré, une somptueuse lecture de la Sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy, pour conclure sur une déchirante conception de la mort du Cygne de Camille Saint-Saëns, dernière prise devant un micro du couple Aleksandr Khramouchin / Eliane Reyes réalisée le 29 avril 2023, soit deux semaines avant la mort du violoncelliste, qui saisit par une virtuosité au cordeau, des sonorités de braise, l’urgence des interprétations, l’intensité du jeu qui donnent des œuvres transcrites l’impression d’avoir été directement conçues pour le violoncelle par leurs auteurs respectifs. Dans les partitions pour violoncelle et piano, l’entente fusionnelle entre les deux artistes comble l’auditeur, tant l’entente y est totale, chacun s’avérant extraordinairement à l’écoute de l’autre, dialoguant en complices ou jouant volontiers en retrait, démontrant autant une communion spirituelle que musicale, le syncrétisme étant total.  

Bruno Serrou

1 CD Etcetera KTC 1802. Durée : 1h20’02. Enregistré « live » en 209, 2021, 2022 et 2023. DDD

dimanche 24 septembre 2023

Angoisses climatiques pour l’Orchestre Philharmonique de Radio France et Mikko Franck

Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 22 septembre 2023 

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

L’air du large, les frimas marins, de la Norvège à l’Espagne en passant par la France, tels ont été les fils conducteurs du deuxième concert de la saison de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et de son directeur musical, le Finlandais Mikko Franck, avec en soliste la pianiste allemande Alice Sara Ott, hôte de Radio France qui l’a mise en résidence cette saison.

Alice Sara Ott, Mikko Franck, Orchdestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Un programme qui se situe dans la tradition des concerts symphoniques depuis leur codification au début du XIXe siècle : une ouverture, un concerto, un bis du soliste, une création, ce qui est l’une des missions de la Radio, et une page symphonique, qui n’ont pas obligation de liens ou d’esthétiques, si ce n’est ici les lumières hivernales, paradoxales en cette veillée de début de l’automne…

Alice Sara Ott, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est avec une page non inscrite au programme que Mikko Franck a ouvert le programme en prélude du concerto de Grieg qui devait à l’origine occuper seul la première partie du concert. Le chef finlandais a ainsi préludé à cette œuvre phare du répertoire concertant pour piano par une pièce célèbre de son auteur, la Chanson de Solveig extraite de la musique de scène (troisième acte) qu’Edward Grieg composa en 1867-1875 pour le drame en cinq actes Peer Gynt de son ami et compatriote Henrik Ibsen qu’il introduisit dans la seconde Suite d’où le compositeur a exclu la voix qui, dans la pièce, chante notamment « les feuilles d’automne et les fruits de l’été, tout peut passer »… Après une interprétation de cette mélodie sans parole d’autant plus nostalgique et touchante que le chef finlandais l’a défaite de tout pathos, Alice Sara Ott a rejoint le Steinway installé au centre du plateau pour déployer le célébrissime Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 16 de Grieg composé en 1868 si souvent comparé et associé à celui de Robert Schumann de la même durée et de la même tonalité entendu deux jours plus tôt à la Philharmonie de Paris sous les doigts de Yefim Bronfman, avec le Bayrerisches Staatsorchester dirigé par Vladimir Jurowski (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/le-bayerisches-staatsorchester-celebre.html). La conception de la pianiste allemande pour le concerto du compositeur norvégien a à la fois souffert et bénéficié de caractéristiques d’interprétation comparables à celles de son confrère israélien dans la partition du compositeur allemand, une conception techniquement au cordeau, solide et sûre, mais un jeu sec et plane, une lecture froide et distante malgré les élans déterminés et insistants de Mikko Franck, particulièrement dans le mouvement initial, avec des saillies un peu trop tranchantes mais au demeurant restés sans effets. Alice Sara Ott s’est d’ailleurs contentée d’un seul bis d’une grande simplicité, la première Gymnopédie d’Erik Satie.

Camille Pépin (née en 1990), Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du concert débutait par la création mondiale d’une pièce pour grand orchestre d’une compositrice qui a actuellement le vent en poupe du côté des organisateurs de concerts, des institutions musicales et d’interprètes, Camille Pépin, élève entre autres de Thierry Escaich et de Guillaume Connesson. Cette fois, il s’est agi cette fois d’une commande de Radio France pour l’Orchestre Philharmonique, Inlandsis. Œuvre de moins d’un quart d’heure d’inspiration écologiste avec pour préoccupation centrale la fonte des glaces due au réchauffement climatique - sujet fort en vogue en ce moment, moins de deux semaines après la création mondiale Théâtre de La Monnaie de Bruxelles de l’excellent opéra à la même problématique Cassandra de Bernard Foccroulle (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/grande-reussite-de-cassandra-drame-de.html) -, dont la compositrice se propose de « faire entendre » la fonte des glaciers. Elle cherche à y restituet les craquements, la liquéfaction de la glace, la formation des crevasses, l’effondrement de la matière solide dans l’océan, la formation des icebergs, le tout à l’aide de grands accords en blocs plus ou moins figés par de longues tenues de cors et de cordes graves, et des formules et des modes de jeux répétés à foison toute la pièce durant suggérant l’immobilité relative des moraines qui se dissolvent peu ou prou...

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

La Trilogie des Nocturnes pour orchestre de Claude Debussy clôturait le programme de la soirée. Profitant de la présence du chœur professionnel permanent de Radio France, les orchestres de la maison ronde sont quasi les seuls à donner régulièrement la totalité du cycle, la majeure partie des formations symphoniques se limitant généralement des deux premiers volets du triptyque composé en 1897-1899, Nuages et Fêtes, faisant donc abstraction de Sirènes. Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio France ont brillé par l’aisance du jeu et la souplesse des textures, ne craignant pas néanmoins de prendre le risque du brouillage dans les passages les plus puissants des deux premiers volets, mais se faisant poétiques dans les pages oniriques, particulièrement dans le finale aux effets malheureusement affaiblis par un chœur de femmes manquant d’homogénéité et au nuancier invariablement situé au-delà de forte

Bruno Serrou

vendredi 22 septembre 2023

Le Bayerisches Staatsorchester célèbre son demi-millénaire avec Vladimir Jurowski, son directeur musical, dans une tournée qui les aura conduits Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Jeudi 21 septembre 2023 

Bayerisches Staatsorchester, Elsa Dreisig, Vladimir Jurowski. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour son demi-millénaire, le Bayerisches Staatsorchester (Orchestre de l’Opéra d’Etat de Bavière) a donné à Paris, dans le cadre d’une tournée européenne dirigée par son directeur musical Vladimir Jurowski, chef russe vivant en Allemagne, non pas un opéra ou un assortiment de pages lyriques, mais un vrai programme d’orchestre symphonique, rappelant ainsi que les phalanges de théâtres d’opéras germaniques sont depuis toujours voués à tous les répertoires, à l’instar des Wiener Philharmoniker, des Dresdner et Berliner Staatskapelle, du Gürzenich de Cologne pour n’en citer que quelques-uns…

Valdimir Jurowski. Photo : DR

Disposé à l’allemande (premiers et seconds violons se faisant face, entourant violoncelles et altos, contrebasses derrière les premiers violons), les Bayerisches Staatsorchester ont néanmoins ouvert la soirée avec une œuvre qui fait partie intrinsèque de leur ADN, puisqu’il s’est agi du Prélude du premier acte de Tristan und Isolde, opéra de Richard Wagner que l’orchestre a créé le 1 juin 1865 dans la fosse de l’Opéra de la Cour de Munich dirigé par Hans von Bülow en présence du roi Louis II de Bavière. Un Prélude d’une puissante théâtralité aux sonorités enchanteresses, emportant par ses déchirants élans l’auditeur dans les abysses de l’âme des amants au point que l’interruption abrupte de la magie de ces dix minutes s’est avérée frustrante tant il est apparu certain que le voyage jusqu’au château de Karéol eût été somptueux…

Yefim Bronfman, Bayerisches Staatsorchester. Photo : (c) Bruno Serrou

Mais pour démontrer qu’il est bel et bien un orchestre de salles de concerts, le Bayerisches Staatsorchester s’est tourné vers une œuvre concertante. Plutôt que de rester dans des œuvres « munichoises », en retenant par exemple la Burleske de l’enfant du pays Richard Strauss, programmé il est vrai ailleurs dans le cadre de la tournée du jubilée, la phalange bavaroise a porté pour Paris son dévolu sur une véritable scie du répertoire concertant, le (magnifique il est vrai) Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 54 du Rhénan Robert Schumann, avec en soliste le pianiste israélien d’origine ouzbek Yefim Bronfman. Interprétation austère et sans élan mais d’une séduisante beauté plastique, grâce au toucher aérien du soliste, à la clarté de son jeu, mais le discours sans ressort fait que le soliste de pris le risque de perdre l’auditeur dans le développement de l’œuvre. Le bis choisi, un Nocturne de Frédéric Chopin, froid et distant, n’a fait que conforter l’impression de détachement de cet artiste, qui compte pourtant parmi les plus acclamés de notre temps. 

Vladimir Jurowski, Elsa Dreisig, Bayerisches Staatsorchester. Photo : (c) Bruno Serrou

Avec Gustav Mahler, l’Orchestre de l’Opéra d’Etat de Bavière retournait à ses fondamentaux. L’on sait en effet que le nom du compositeur est attaché à la ville de Munich et à cette formation, qui y a créé non seulement la Symphonie n° 8 en mi bémol majeur « des Mille » le 12 septembre 1910, l’œuvre aux effectifs les plus fournis du compositeur autrichien, mais aussi, neuf ans plus tôt, la Symphonie n° 4 en sol majeur le 25 novembre 1901 sous la direction du compositeur. Dans cette symphonie, la plus courte et à l’orchestration la plus légère de Mahler, Mahler s’attache à l’enfance et à l’innocence, concluant sa partition sur un lied tiré du Cor merveilleux de l’Enfant (Des Knaben Wunderhorn) chantant les joies de la vie céleste. Malgré de légers cafouillages dans la justesse d’attaques de cuivres et dans la précision de la polyphonie parfois un rien confuse, l’interprétation s’est avérée solaire, poétique, avec un Ruhevoll contrasté, d’une rayonnante intensité sans aucune tentation tragique, contrairement à ce qui se pratique souvent, trop de chef négligeant le fait que Ruhevoll signifie simplement Tranquille et qu’avant l’indication Adagio se trouve la précision Poco, ouvrant par une explosion étincelante de tout l’orchestre sur un finale, Das himmlische Leben : Sehr behaglich (La vie céleste : Très à l’aise) plus humain que désincarné, avec la voix chaleureuse et luxuriante de l’excellente soprano française Elsa Dreisig. Le tout dirigé par un Vladimir Jurowski respirant large, économe en gestes mais extrêmement précis, laissant les musiciens bavarois s’exprimer librement, tout en les tenant fermement.

Bruno Serrou

lundi 18 septembre 2023

Délicieuses « schubertiades » de Maria João Pires et ses amis à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Dimanche 17 septembre 2023 

Maria João Pires. Photo : (c) Philharmonie de Paris 

Après avoir dû annuler sa venue la saison dernière pour des raisons de santé, Maria João Pires vient d’enchanter tout un week-end durant, en ce début de saison, la Philharmonie de Paris et son public venu nombreux écouter l’une des plus grandes pianistes contemporaines entourée d’excellents musiciens dans des programmes denses, variés et dans lesquels son art s’exprime pleinement. 

Schubertiades. Photo : DR

C’est une authentique Schubertiade, telle que le compositeur viennois en organisait de son vivant, qui a été proposé dimanche après-midi à la Philharmonie de Paris sous la houlette de Maria João Pires, qui, à l’instar de Martha Argerich & Friends, s’est produite avec quelques-uns de ses amis. Au nombre de treize cette fois, auxquels s’est ajouté un ange protecteur qui se contentait de veiller sur le spectacle, stoïque, dans une scénographie d’esprit africain du sud Maghreb réalisée par Judite da Silva Gameiro, avec la chanteuse mozambicaine Selma Uamusse dans un Ave Maria a capella au thème fondateur dérivé de celui de Schubert précédemment chanté par Thomas Humphreys - avec Maria João Pires au piano -, entonné d’une voix puissante et incantatoire suivi, après l’entracte, d’une brillante improvisation jazz sur le lied de Schubert Die Forelle (La Truite) avec cette fois le pianiste Thomas Enhco, petit-fils du chef d’orchestre percussionniste Jean-Claude Casadesus, qui assistait à cette matinée.

Schubertiades Maria João Pires à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

En effet, Maria João Pires, qui a ouvert la schubertiade en duo avec Ignasi Cambra dans l’Allegro en la mineur « Lebensstürme » D 947 et alterné par la suite avec deux autres pianistes, Lilit Grigoryan et Thomas Enhco, qui se sont produits soit en solo soit en compagnie de leur hôtesse, qui, pour sa part, a magnifiquement accompagné l’excellent baryton écossais Thomas Humphreys, ponctuant ensemble le concert avec émotion dans cinq lieder schubertiens (Erstarrung extrait du Winterreise, Ave Maria, Litanei auf das Fest Aller Seelen, Du bist die Ruh, concluant le programme avec Meeres Stille D 216). La pianiste portugaise a interprété en solo le seul Impromptu n° 3 en si bémol majeur « Rosamunde » D 935, tandis que sa consœur arménienne Lilit Grigoryan d’oniriques Moments musicaux D 780.


Schubertiades Maria João Pires à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Mais le moment attendu de ce concert a été le Quintette pour piano et cordes en la majeur D 667 « La Truite », joué avec une grâce, une poésie, un lustre, une simplicité lumineuse extraordinaires, avec, autour de la pianiste portugaise, le violoniste hongrois Gyula Stuller, l’altiste franco-taïwanaise Lu Yung-Hsin Chang, le violoncelliste brésilien Antonio Meneses et le contrebassiste français Ulysse Vigreux. Avant cette grande et célébrissime page de musique de chambre de Schubert, le même quatuor de cordes associé cette fois à la pianiste Lilit Grigoryan, avaient interprété le court quintette avec piano de la compositrice sud-africaine Bongani Ndodana-Breen (née en 1975), Intlanzi Yase Mzantsi (Le Poisson du Sud) conça en 2006 dont le matériau est puisé dans le Quintette « La Truite » de Schubert.

Bruno Serrou

dimanche 17 septembre 2023

Ouverture de saison virtuose de l’Orchestre Philharmonique de Radio France exalté par la fougue conquérante de Mikko Franck, son directeur musical

Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 15 septembre 2023 

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique et Maîtrise de Radio France. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Le premier concert de L’Orchestre Philharmonique de Radio France et de son directeur musical Mikko Franck de la saison 2023-2024 dans sa salle de l’Auditorium de Radio France, a attiré quantité de happy few. Io faut dire que le programme à la fois alléchant et valorisant pour l’orchestre et son chef, avec une création d’un compositeur régulièrement invité par le « Philhar », l’ultime et émouvant cycle de lieder de Richard Strauss confié à une cantatrice qui a le vent en poupe, et une symphonie d’un compositeur russe au pathos exacerbé qui fait toujours son effet.

Mikko Franck, Sofi Jeannin, Benjamin Attahir, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

La première partie du programme n’a pas toujours convaincu. Le concert s’est ouvert sur la création du Stabat Mater écrite à la suite d’une commande de la Maîtrise de Radio France par Benjamin Attahir (né en 1989), Grand Prix Sacem 2022. Le compositeur toulousain a choisi de ne mettre en musique que les quatre premiers versets de la fameuse séquence latine médiévale attribuée au poète franciscain ombrien Jacopone da Todi (1236-1306). Annoncée joyeuse et sérielle par le présentateur de France Musique venu introduire le concert sur le plateau, la partition s’est en fait révélée retenue, ce qui est au demeurant plus logique pour une séquence célébrant la Mère douloureuse (Mater dolorosa), et sonnant atonal, avec une orchestration richement colorée fort bien servie par l’OPRF, détonnant violemment avec l’écriture chorale plane et inexpressive chantée sans conviction par la Maîtrise de Radio France.

Asmik Grigorian, Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Les crépusculaires Vier letzte Lieder (Quatre dernier Lieder) que Richard Strauss (1864-1949) composa durant son exil suisse en 1946-1948 ont été confiés à la soprano lituanienne au succès enviable Asmik Grigorian. L’interprétation, autant celle de l’orchestre, trop puissant et au nuancier trop étroit, se sont avérés excessivement puissants et dramatiques, annihilant ainsi les élans nostalgiques et introspectifs, plus attachés au printemps de Salomé qu’à l’automne du finale de Capriccio, Asmik Grigorian, voix de bronze mais au vibrato trop large, s’approchant davantage de la Chrysothémis d’Elektra que de la comtesse Madeleine, ne suscitant guère l’émotion.

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

En revanche, en seconde partie, la Symphonie n° 6 en si mineur op. 74 « Pathétique » de Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893) vertigineuse et fébrile, s’est imposée par ses tensions tragiques, le chef finlandais, qui de toute évidence fait cette œuvre sienne, ne craignant pas le pathos par ses brûlures exacerbées, sous la direction fougueuses et énergiques du dirigée avec une fougue et une énergie par Mikko Franck à qui les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France ont répondu avec un enthousiasme communicatif, servant la partition en véritables virtuoses.

Bruno Serrou