mercredi 27 septembre 2023

CD : Bouleversant témoignage artistique posthume du violoncelliste Aleksandr Khramouchin avec son épouse Eliane Reyes


Quel son fabuleux, ce violoncelle ! Il est pourtant dit dans la pochette du disque que celui qui le suscite, Aleksander Khramouchin, ne joue pas sur un instrument d’exception, et ce n’était pas là la préoccupation première du musicien… Que serait-ce alors s’il en fût autrement, tant il en résulte un disque de grande beauté, bouleversant, d’une force troublante.

Né en 1979 à Minsk dans une famille de musiciens - c’est son père violoniste qui lui donna ses premières leçons de... violoncelle -, Aleksandr Khramouchin se présente tel un météore. A sa mort brutale survenue le 13 mai dernier à la suite d’un choc septique foudroyant, il n’avait que 43 ans. Titulaire de nombreux prix internationaux, finaliste du Concours Tchaïkovski de Moscou en 2002 - année sans premier prix -, il s’était installé en Belgique en 1992, où il étudiait au Conservatoire d’Anvers auprès de Hans Mannes avant d’être nommé à 19 ans violoncelle solo de l’orchestre Philharmonique du Luxembourg, poste qu’il occupe jusqu’en 2019, et d’enseigner à l’International Musica Mundi School de Waterloo jusqu’en 2021. Il était également un chambriste disputé, se produisant notamment au sein du Quatuor Aviv de 2010 à 2015, ainsi qu’avec des musiciens comme Emmanuel Ax, Christian Ivaldi, Pascal Devoyon, Marie-Josèphe Jude, Alexandra Soumm, et avec sa femme Eliane Reyes, qui signe dans la pochette du présent CD un texte-portrait-hommage bouleversant à son défunt mari.

Laissant une discographie de tout premier plan, avec des enregistrements de compositeurs aussi rares au disque que passionnants, comme Gabriel Pierné avec Christian Ivaldi, Jean Cras avec Alain Jacquon, Maurice Ohana avec Pascal Devoyon, et un programme de musique de chambre de Jean Huré, le tout pour le label Timpani, Aleksandr Khramouchin a également gravé avec sa femme Eliane Reyes un récital de sonates de Serge Rachmaninov et de César Franck paru chez Azur Classical.

C’est avec elle qu’Aleksandr Khramouchin lègue à la postérité son ultime témoignage discographique qui vient de paraître chez Etcetera Records, label néerlando-belge dont le catalogue est l’un des plus captivants et originaux dans le domaine classico-contemporain. Le programme, d’une intensité extrême, est le miroir du talent et de l’ampleur du répertoire du violoncelliste biélorusse, avec des compositeurs allant du XVIIIe siècle à nos jours d'œuvres d’Allemands, de Belges, de Français et de Russes, de Jean-Sébastien Bach - avec un trop court extrait de la seule Suite n° 3 pour violoncelle en ut majeur, une Sarabande singulièrement lyrique, qui éveille l’appétence d’écoute de la totalité du cycle - à Michel Lysight (né en 1958) - une transcription pour violoncelle et piano des Trois Croquis pour violon et piano -, en passant par Robert Schumann et une remarquable interprétation des trois Fantasiestücke Op. 73, l’arrangement évanescent du violoncelliste de la Ballade Op. 27/3 en fait la Sonate n° 3 pour violon d’Eugène Ysaÿe, celui de la Vocalise Op. 3/14 de Serge Rachmaninov et une vivifiante Sonate pour violoncelle seul en ut majeur Op. 119 de Serge Prokofiev, un poétique Après un rêve de Gabriel Fauré, une somptueuse lecture de la Sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy, pour conclure sur une déchirante conception de la mort du Cygne de Camille Saint-Saëns, dernière prise devant un micro du couple Aleksandr Khramouchin / Eliane Reyes réalisée le 29 avril 2023, soit deux semaines avant la mort du violoncelliste, qui saisit par une virtuosité au cordeau, des sonorités de braise, l’urgence des interprétations, l’intensité du jeu qui donnent des œuvres transcrites l’impression d’avoir été directement conçues pour le violoncelle par leurs auteurs respectifs. Dans les partitions pour violoncelle et piano, l’entente fusionnelle entre les deux artistes comble l’auditeur, tant l’entente y est totale, chacun s’avérant extraordinairement à l’écoute de l’autre, dialoguant en complices ou jouant volontiers en retrait, démontrant autant une communion spirituelle que musicale, le syncrétisme étant total.  

Bruno Serrou

1 CD Etcetera KTC 1802. Durée : 1h20’02. Enregistré « live » en 209, 2021, 2022 et 2023. DDD

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