vendredi 24 septembre 2021

Œdipe de Georges Enesco fait enfin son retour à l’Opéra de Paris 85 ans après sa dernière représentation à Garnier

Paris. Opéra de Paris-Bastille. Jeudi 23 septembre 2021
 

Photo : (c) Elisa Haberer / OnP

C’est un authentique événement qu’offre Alexander Neef au public parisien pour sa prise de fonction de directeur général de l’Opéra de Paris en ouverture de saison avec une production nouvelle d’Œdipe de Georges Enesco, quatre vingt cinq ans après sa création à Garnier le 10 mars 1936.


Pour son arrivée à la tête de l’Opéra de Paris, Alexander Neef a choisi cet ouvrage passionnant mais rare, comme l’atteste le fait que la première de cette nouvelle production n’était que la onzième représentation à Paris depuis 1936, tandis que la dernière en France date d’octobre 2008, au Théâtre du Capitole de Toulouse mis en scène par Nicolas Joël - en octobre 2011, le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles en a proposé une production qui a fait date, mise en scène par La Fura dels Baus. Malgré le succès de sa création, Œdipe disparut rapidement de la scène pour ne réapparaître qu’après la mort de son auteur.


Il s’agit pourtant d’un pur joyau que les jeunes compositeurs se doivent de connaître, car, en matière de mise en musique de la langue française, il s’y trouve une voie autre que la déclamation de Debussy dans Pelléas. Georges Enesco (1881-1955), son auteur qui s’était fait connaître à Vienne (où il fut le protégé de Brahms) à 11 ans comme violoniste virtuose, s’installa à Paris en 1894, où il devint le disciple de Jules Massenet et Gabriel Fauré. Lui-même pédagogue de renom (Menuhin est de ses élèves), il reste comme le fondateur de l’école roumaine. Son style très lyrique, son goût des polyphonies complexes le rattachent à l’Allemagne plutôt qu’à la France, même si l’on trouve parfois des accents debussystes, notamment dans l’acte IV d’Œdipe. Chef-d’œuvre inexplicablement négligé comme trop d’opéras français du tournant des XIXe et XXe siècles, d’une force extraordinaire, difficile de prime abord, pour le public comme pour les chanteurs et pour l’orchestre, Enesco use de la diversité de l’expression vocale, du parlé au chanté, et y crée des sonorités inusitées, grâce notamment à l’emploi du micro-intervalle (scène de la Sphinge, où l’on songe au réveil d’Erda dans le Ring de Wagner), au traitement instrumental novateur (la scène où Œdipe tue son père empreinte de mystère, le tonnerre hurlant tandis que se fait entendre le chant plaintif de la flûte d’un berger ; le saxophone lorsqu’Œdipe se crève les yeux ; l’usage intensif du hautbois ; l’orchestre d’une richesse de timbre prodigieuse, moteur du drame), et à la somptueuse partie de chœur qui puise aux sources de la tragédie grecque. Le texte, versifié, réunit les deux tragédies de Sophocle, Œdipe-roi et Œdipe à Colone, ce qui fait de cette tragédie lyrique la seule partition scénique à conter l’histoire du roi de Thèbes, de sa naissance à sa mort. L’omniprésence du personnage central, la complexité du rôle, la difficulté d’exécution, tant vocale qu’instrumentale, la place essentielle du chœur, expliquent en partie la rareté de cette immense partition à la scène. 


Les quatre actes et six scènes de la tragédie lyrique sur un livret d’Edmond Fleg, qui couvrent donc tout l’itinéraire d’Œdipe, mettent en relation le temps mythique (Kronos de la tragédie grecque) et le temps historique (temps linéaire), l’éternité d’Œdipe parle de l’actualité de la tragédie jusqu’à nos jours.

La Mise en scène de Wajdi Mouawad au sein d’une scénographie d’Emmanuel Clolus opportunément classique sert bien l’action, avec une bonne direction d’acteurs mais qui ne sait que faire des chœurs qui errent sans but précis. Tous ont le chef couvert d’une coiffe herbicole, idée onirique. La direction musicale est d’une tension et d’une puissance saisissante impulsée par un chef qui excelle dans tous les répertoires et tous les genres, plus particulièrement des XXe et XXIe siècles, Ingo Metzmacher. L’impressionnant Œdipe de Christopher Maltman, baryton d’airain à la diction française parfaite, survole de sa présence éblouissante une distribution où se distinguent le Laïos de Yann Beuron, le Créon de Brian Mulligan, la Jocaste d’Ekaterina Gubanova et la Sphinge de Clémentine Margaine. Deux grands chanteurs qui ont fait les grands jours de l’art lyrique ces dernières années, Anne Sofie von Otter dans le rôle de Mérope, et Laurent Naouri en Grand Prêtre.

Bruno Serrou

Opéra-Bastille, jusqu’au 14 octobre 2021. Rens. : 08.92.89.90.90. www.operadeparis.fr. A noter les 8e Rencontres Musicales Georges Enesco à Paris du 1er au 15/10, Automobile Club de France (6, place de la Concorde. Rens. : 06.60.40.21.91)

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