Luis de Pablo (1930-2021). Photo : DR
Compositeur basque espagnol citoyen du monde entretenant des relations privilégiées avec l’Allemagne et avec la France, Luis de Pablo est mort. Il avait 91 ans. Authentique humaniste, s’entretenir avec lui était parcourir la vie, le monde et la création dans son infinie diversité.
Né à Bilbao le 28 janvier 1930, Luis de Pablo est avec
le Castillan Cristobal Halffter le plus célèbre représentant de sa génération,
celle du grand tournant de la musique espagnole au milieu du XXe
siècle. Ce Basque d’Espagne était autant poète et savant érudit que compositeur,
pédagogue, organisateur. Sa musique est étroitement liée à l’ensemble des
disciplines artistiques, plus particulièrement le cinéma, l’architecture, la
peinture, la littérature, à laquelle il a envisagé de se consacrer avant
d’opter pour la musique, la linguistique. Ses poètes favoris appartiennent à la
génération dite des « ’51 », et son épouse était la peintre espagnole
Maria Cardenas. Il doit le caractère protéiforme, versatile et désinhibé de sa
musique à une éducation sortant des sentiers battus et rehaussée par des études
à la faculté de lettres.
Au cours de ces années de formation, qu’il poursuit tout en exerçant le métier d’assureur dans la grande compagnie d’aviation nationale espagnole, ses recherches dans le domaine musical sont associées à des rencontres avec les intellectuels les plus marquants de son temps et à l’étude des sciences humaines, notamment de l’anthropologie et de l’ethnomusicologie. Pourtant, alors même que peu d’artistes possèdent une vision aussi riche et éclectique que la sienne, Luis de Pablo n’a suivi aucun cursus officiel d’éducation musicale. Il faut dire que s’il a eu pour unique professeur Max Deutsch, lui-même disciple d’Arnold Schönberg, autre autodidacte notable qui eut pour seul maître son ami Alexandre Zemlinsky, il a été formé à bonne école grâce à de longs échanges de points de vue avec son maître et à l’étude minutieuse des œuvres de ses aînés, notamment à Darmstadt. Pas de phase de création chez lui, toujours en quête d’un langage spécifique, dont la constance est la volonté d’élargir ses domaines d’expression. « Je me suis rendu à Darmstadt pour y trouver ma propre identité. Je ne me voyais pas dans l’héritage de l'école nationale espagnole qui avait été remarquablement portée par Manuel de Falla et d’autres. J’ai en revanche perçu qu’il me serait possible de puiser dans l’enseignement de Darmstadt ma propre identité. Mais s’il se trouvait un musicologue qui, analysant mes œuvres dès ma première période, repérait une trace de technique sérielle de stricte obédience, je lui offrirais une excellente bouteille de très vieux Xeres. » Avec Pablo, il est tout au plus possible de dessiner une trajectoire partant d’un sérialisme empreint d’éléments aléatoires jusqu’à une synthèse personnelle dans laquelle fusionnent consonance, micro-intervalles, forme libre, métrique complexe et musiques extra européennes.
La musique de Luis de Pablo, autant que ses
innombrables lectures et ses écrits tout aussi abondants que sa création
musicale, impose sa connaissance encyclopédique des cultures du monde à travers
les âges. Tant et si bien que cet autodidacte s’est très tôt tourné vers la
pédagogie, et son enseignement a été toujours plus recherché jusqu’à sa mort, du
Conservatoire de Madrid jusqu’à Buffalo et Ottawa, et ses textes reçoivent toujours
un large écho, particulièrement le fameux Aproximation
a una estética de la musica contemporanea publié en 1968 où il présente et
analyse la diversité de son propre langage.
Artiste humble et généreux, Luis de Pablo aimait à partager avec l’humour et la joie de vivre qui le rendaient si précieux ses engagements de compositeur dans la cité, d’homme libre face à la dictature franquiste, ses passions pour l’ethnologie, la littérature et les arts plastiques, ses responsabilités d’animateur de la vie musicale espagnole et internationale, d’organisateur d’institutions et de festivals, que ce soit dans les conditions les plus délicates, où il lui aura fallu faire avec une autocratie qui l’avait inscrit sur une liste noire, ou les plus ouvertes, comme le Festival de Lille dans les années 1980.
Compositeur fécond - son catalogue compte plus de cent soixante dix partitions -, Pablo s’illustre dans tous les genres, de la musique soliste jusqu’à l’opéra, en passant par la musique de chambre, pour chœurs, pour ensembles, pour orchestre, vocale et concertante. Depuis quelques années, il se plaisait aussi à reprendre les œuvres de sa période aléatoire, système qui « pose des problèmes d’écriture assez sérieux ». « Ce n’est pas une perte de temps, dit-il. Cela m'aide au contraire à mieux comprendre ce que je fais, et j’estime avoir une responsabilité vis-à-vis de mon œuvre et de ses publics. C’est pourquoi je souhaite la laisser dans l’état le plus parfait possible. »
Luis de Pablo est mort à Madrid dimanche 10 octobre 2021.
Bruno Serrou
Pour (presque) tout savoir de Luis de Pablo, rien ne vaut son propre témoignage, que l’on peut retrouver en suivant ce lien : https://entretiens.ina.fr/musiques-memoires/Pablo/luis-de-pablo/video?fbclid=IwAR059lb97-wxrC9BZNl7jvku3O5Co2iDYVDigrd4t_uAVaFhYCHpj--9k_I
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