mardi 25 février 2020

A Bruxelles, le Théâtre de La Monnaie réussit la gageure d’une trilogie Mozart-da Ponte d’une foisonnante humanité… post #MeToo


Bruxelles(Belgique). Théâtre de La Monnaie. Mardi 18, jeudi 20 et samedi 22 février 2020

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Cosi fan tutte. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles présente en six jours les trois opéras de Wolfgang Amadeus Mozart sur des livrets de Lorenzo da Ponte, offrant ainsi une immersion totale de bonheur musical, un délice pour les oreilles, les yeux, l’esprit.


Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Le Nozze di Figaro. Simona Saturova (le Comtesse Almaviva), Björn Bürger (le Compte Almaviva), Sophia Burgos (Susanna). Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles


Les trois opéras nés de la collaboration de Mozart avec l’abbé da Ponte n’ont pas été envisagés comme une trilogie mais en œuvres indépendantes sur le thème de l’amour et de la glorification de la femme. Néanmoins, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles a choisi de les réunir en trois épisodes d’une même histoire de vingt-quatre heures sur le modèle du théâtre classique et sa règle des trois unités, chaque œuvre étant associée à une couleur, le bleu pour les Noces de Figaro, le jaune pour Cosi fan tutte, le rouge pour Don Giovanni.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Le Nozze di Figaro. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Si chaque ouvrage reste autonome, l’ensemble est conçu comme une entité par deux membres du collectif Le Lab, Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qui confrontent le public aux paradoxes des sentiments amoureux et le questionnent sur ses implications, notamment politiques, et sur le tourbillon de la vie, les luttes de classes et les jeux de la séduction contemporains. Rassemblés dans un même immeuble bruxellois pivotant sur lui-même dans une vision d’ensemble qui renvoie à La vie mode d’emploi de Georges Pérec, les personnages qui évoluent dans un espace unique en voisins de paliers sont le reflet des thématiques soulevées par la mise en scène. Ainsi, Les Noces de Figaro s’inspire du mouvement #MeToo, les clichés liés au genre s’incarnent dans Cosi fan tutte tandis que la fin de l’amour-passion constitue le fonds de Don Giovanni

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Le Nozze di Figaro. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Chaque personnage exerce une profession dans la vie active active bruxelloise, le compte Almaviva est ambassadeur d'Espagne à Bruxelles, Donna Anna, fille du Commaneur, est une claveciniste concertiste de renom professeur au Conservatoire Royal de Bruxelles, Donna Elvira ophtalmologue ayant notamment pour patient Don Giovanni, lui-meme tenancier d'une boîte de nuit, Ottavio architecte, Ferrando et Guglielmo soldats du feu, Cherubino est le fils de Donna Elvira et de Don Giovanni et le filleul de la Comtesse, le Commandeur est à la tête d'un grosse étude notariale, Fiordiligi et sa soeur Dorabella d'influentes protagonistes des réseaux sociaux, le philosophe Alfonso tient une bibliothèque de rue au pied de l'immeuble, Despina est gérante d'une élégante boutique de vêtements jouxtant la bibliothèque, Zerlina, jeune femme d'origine arabe, est fiancée au tatoueur Masetto... 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Cosi fan tutte. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Côté musique, l’enjeu est la mise en avant des correspondances thématiques qui lient les trois œuvres, ces dernières étant agencées à la façon du Ring de Wagner à Bayreuth, avec deux jours d’intervalle entre chaque ouvrage, une unité d’autant plus claire que des airs sont partagés entre les protagonistes, artifice qui s’impose avec naturel. Libertés prises par les animateurs de cette trilogie jusque dans les contextes qui se synthétisent dans la scène du dernier repas de Don Giovanni, où l’on voit Leporello complice du Commandeur et qui feint la terreur pour se jouer de son maître… D’ailleurs, le cycle entier conduit au chef-d’œuvre de Mozart, puisque dès le lever de rideau de la première soirée, Les Noces de Figaro, le public assiste à la scène initiale de Don Giovanni

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Cosi fan tutte. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Sous la direction énergique, fluide, d’une sensualité toute mozartienne d’Antonello Manacorda qui connaît Mozart à la perfection, ces trois soirées extraordinaires d’intelligence, de musicalité, de chant sont animées par un Orchestre de La Monnaie scintillant et charnel qui soutient avec acuité un plateau de très grande classe, tant vocalement que théâtralement et physiquement, constitué d’une seule distribution commune aux trois opéras. 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Coté femmes, Sophia Burgos est exquise de spontanéité en Susanna/Zerlina, Lenneke Ruiten est une Fiordiligi/Elvira sensuelle et touchante, Ginger Costa-Jackson Cherubino/Dorabella déterminée et désarmante (sa voix au large ambitus lui permet d’atteindre des graves abyssaux dans Les Noces de Figaro), Simona Saturova est successivement Comtesse et Donna Anna d’une noblesse éperdue, Caterina Di Ronno est une Barberina/Despina énergique et volubile. 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Simona Saturova (Donna Anna), Juan Francisco Gatell (Don Ottavio). Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Pour ce qui concerne les hommes, remplaçant au pied levé Robert Gleadow blessé, Allessio Arduini s’impose en Figaro/Leporello par son lyrisme, sa solidité vocale et sa prestance physique, Björn Bürger est un sombre et complexe Almaviva et surtout un Giovanni d’une densité stupéfiante qu’une cécité rend à la fois plus odieux que nature et très fragile, Juan Francisco Gattel est un Ferrando/Ottavio brûlant et vigoureux, Jurii Samoilov un Guglielmo/Masetto rétif… 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Scène des masques. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

L’on a également plaisir à retrouver le solide Alexander Roslavets en Bartolo/Commandatore, l’excellente Caterina di Tonno en Barberina/Despina, Riccardo Novaro en deus ex machina dans les rôles de Don Alfonso et Antonio, ainsi que Rinat Shaham en Marcellina, et Yves Saelens en Don Basilio/Don Curzio… Avec les Chœurs de La Monnaie, tous forment une société d’une diversité et d’une humanité confondantes.

Bruno Serrou

Jusqu’au 28 mars 2020. Rés. : (+32 2) 229.12.00. www.lamonnaie.be. 

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