Bruxelles(Belgique). Théâtre de La Monnaie. Mardi 18, jeudi 20 et
samedi 22 février 2020
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Cosi fan tutte. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles présente en six jours les trois opéras
de Wolfgang Amadeus Mozart sur des livrets de Lorenzo da Ponte, offrant ainsi une immersion totale de bonheur
musical, un délice pour les oreilles, les yeux, l’esprit.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Le Nozze di Figaro. Simona Saturova (le Comtesse Almaviva), Björn Bürger (le Compte Almaviva), Sophia Burgos (Susanna). Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Les trois opéras nés de la
collaboration de Mozart avec l’abbé da Ponte n’ont pas été envisagés comme une
trilogie mais en œuvres indépendantes sur le thème de l’amour et de la glorification
de la femme. Néanmoins, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles a choisi de les
réunir en trois épisodes d’une même histoire de vingt-quatre heures sur le
modèle du théâtre classique et sa règle des trois unités, chaque œuvre étant
associée à une couleur, le bleu pour les Noces
de Figaro, le jaune pour Cosi fan
tutte, le rouge pour Don Giovanni.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Le Nozze di Figaro. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Si chaque ouvrage reste autonome,
l’ensemble est conçu comme une entité par deux membres du collectif Le Lab,
Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qui confrontent le public aux paradoxes
des sentiments amoureux et le questionnent sur ses implications, notamment
politiques, et sur le tourbillon de la vie, les luttes de classes et les jeux
de la séduction contemporains. Rassemblés dans un même immeuble bruxellois
pivotant sur lui-même dans une vision d’ensemble qui renvoie à La vie mode d’emploi de Georges Pérec, les personnages qui évoluent dans
un espace unique en voisins de paliers sont le reflet des thématiques soulevées
par la mise en scène. Ainsi, Les Noces de
Figaro s’inspire du mouvement #MeToo,
les clichés liés au genre s’incarnent dans Cosi
fan tutte tandis que la fin de l’amour-passion constitue le fonds de Don Giovanni.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Le Nozze di Figaro. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Chaque personnage exerce une profession dans la vie active active bruxelloise, le compte Almaviva est ambassadeur d'Espagne à Bruxelles, Donna Anna, fille du Commaneur, est une claveciniste concertiste de renom professeur au Conservatoire Royal de Bruxelles, Donna Elvira ophtalmologue ayant notamment pour patient Don Giovanni, lui-meme tenancier d'une boîte de nuit, Ottavio architecte, Ferrando et Guglielmo soldats du feu, Cherubino est le fils de Donna Elvira et de Don Giovanni et le filleul de la Comtesse, le Commandeur est à la tête d'un grosse étude notariale, Fiordiligi et sa soeur Dorabella d'influentes protagonistes des réseaux sociaux, le philosophe Alfonso tient une bibliothèque de rue au pied de l'immeuble, Despina est gérante d'une élégante boutique de vêtements jouxtant la bibliothèque, Zerlina, jeune femme d'origine arabe, est fiancée au tatoueur Masetto...
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Cosi fan tutte. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Côté musique, l’enjeu est
la mise en avant des correspondances thématiques qui lient les trois œuvres,
ces dernières étant agencées à la façon du Ring
de Wagner à Bayreuth, avec deux jours d’intervalle entre chaque ouvrage, une
unité d’autant plus claire que des airs sont partagés entre les protagonistes,
artifice qui s’impose avec naturel. Libertés prises par les animateurs de cette
trilogie jusque dans les contextes qui se synthétisent dans la scène du dernier
repas de Don Giovanni, où l’on voit Leporello complice du Commandeur et qui
feint la terreur pour se jouer de son maître… D’ailleurs, le cycle entier
conduit au chef-d’œuvre de Mozart, puisque dès le lever de rideau de la
première soirée, Les Noces de Figaro, le public
assiste à la scène initiale de Don Giovanni…
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Cosi fan tutte. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Sous la direction énergique,
fluide, d’une sensualité toute mozartienne d’Antonello Manacorda qui connaît
Mozart à la perfection, ces trois soirées extraordinaires d’intelligence, de
musicalité, de chant sont animées par un Orchestre de La Monnaie scintillant et
charnel qui soutient avec acuité un plateau de très grande classe, tant
vocalement que théâtralement et physiquement, constitué d’une seule
distribution commune aux trois opéras.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Coté femmes, Sophia Burgos est exquise
de spontanéité en Susanna/Zerlina, Lenneke Ruiten est une Fiordiligi/Elvira
sensuelle et touchante, Ginger Costa-Jackson Cherubino/Dorabella déterminée et désarmante
(sa voix au large ambitus lui permet d’atteindre des graves abyssaux dans Les Noces
de Figaro), Simona Saturova est successivement Comtesse et Donna Anna d’une
noblesse éperdue, Caterina Di Ronno est une Barberina/Despina énergique et
volubile.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Simona Saturova (Donna Anna), Juan Francisco Gatell (Don Ottavio). Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
Pour ce qui concerne les hommes, remplaçant au pied levé Robert Gleadow blessé,
Allessio Arduini s’impose en Figaro/Leporello par son lyrisme, sa solidité vocale
et sa prestance physique, Björn Bürger est un sombre et complexe Almaviva et
surtout un Giovanni d’une densité stupéfiante qu’une cécité rend à la fois plus
odieux que nature et très fragile, Juan Francisco Gattel est un Ferrando/Ottavio
brûlant et vigoureux, Jurii Samoilov un Guglielmo/Masetto rétif…
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Scène des masques. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
L’on a également plaisir à retrouver le solide Alexander Roslavets en Bartolo/Commandatore, l’excellente
Caterina di Tonno en Barberina/Despina, Riccardo Novaro en deus ex machina dans les rôles de Don Alfonso et
Antonio, ainsi que Rinat Shaham en Marcellina, et Yves Saelens en Don
Basilio/Don Curzio… Avec les Chœurs de La Monnaie, tous forment une société d’une
diversité et d’une humanité confondantes.
Bruno Serrou
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