Paris. Philharmonie, Cité de la Musique. Salle des Concerts. Vendredi 19 septembre 2025
Ouverture de saison ce vendredi soir pour l’Ensemble Intercontemporain et son directeur musical Pierre Bleuse à la Philharmonie de Paris/Cité de la Musique, avec un programme-générique pour l’année 2025-2026. Deux œuvres saisissantes autant que séduisantes et originales en première partie signées Tristan Murail puis Unsuk Chin, et une pièce roborative et marteau-piqueur de Steve Reich en seconde partie, interminable. Le thème, la ville mégapole et sa diversité. Du Français un somptueux Légendes urbaines chantant New York et sa richesse infinie de couleurs et d’ambiances avec une mise en espace de deux groupes de cuivres de chaque côté de la salle et un cor anglais au-dessus du plateau, magnétique. De la Coréenne, Graffiti qui illustre avec une diversité sonore des plus riches la peinture street art, enfin City Life du minimaliste new-yorkais avec bande magnétique au matériau repris jusqu’à l’overdose et après dix premières minutes prometteuses fait pénétrer dans l’ennui. Succès public néanmoins tant la méthode est calquée sur les Beatles et les Stones associés au Pink Floyd…
Le thème de ce premier concert de la saison 2025-2026 de l’ensemble créé par Pierre Boulez voilà un demi-siècle en décembre de l’année prochaine était des plus représentatifs de la création musicale contemporaine, fort ancrée dans la vie quotidienne et ses ambiances sonores et sociétales. Une semaine après l’Orchestre de Paris, qui, Salle Pierre Boulez, a donné avec son directeur musical Klaus Mäkelä Amériques du Français Edgard Varèse de Manhattan (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/09/lorchestre-de-paris-et-klaus-makela-ont.html) empli des effluves sonores de New York, l’Ensemble Intercontemporain célébrait à son tour la ville à la pomme par le biais un triptyque d’œuvres de trois compositeurs d’autant de nationalités différentes pour des formations de vingt à vingt-sept instrumentistes. Trois œuvres aux titres explicitement urbains, à commencer par la première œuvre inscrite au programme, signée du Français Tristan Murail (né en 1947), Légendes urbaines.
Composée en 2006 pour l’EIC, qui l’a créé Cité de la Musique le 21 novembre de cette même année sous la direction de Jonathan Nott, son directeur musical de l’époque, cette partition est le fruit du séjour de son auteur dans la ville et l’Etat de New York alors qu’il enseignait à l’Université de Columbia, de 1997 à 2011. Puisant souvent son inspiration dans son environnement immédiat, c’est tout naturellement que la ville dans ses tenants et aboutissant marque une partie de sa création. D’autant plus lorsque la commande qui lui est passée spécifie qu’il s’agit de célébrer la ville de New York. « J’ai une pièce qui a été inspirée par la ville, me disait-il en avril 2010, dont le titre est Légendes urbaines pour vingt-deux instruments, commande de l’Intercontemporain qui avait programmé un concert dont le thème - parce que maintenant il faut des thèmes - était New York. Il y avait effectivement une œuvre d’Eliot Carter, un Concerto pour clarinette assez étonnant, une page de Steve Reich, City Life, et une commande que l’Ensemble Intercontemporain m’a passée. J’ai donc essayé de relever le défi de la ville. Ma partition fonctionne plus ou moins comme les Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Tel est en tout cas le paradigme de la pièce, avec une distanciation parfois ironique par rapport au sujet. » Murail reconnaît donc clairement avoir pris pour modèle Les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski avec sa suite de vignettes sonores entrelacées de Promenades, avec des procédés de tuilages plutôt que de placages pour évoquer non pas des descriptions de places fréquentées par les touristes mais un ensemble de sensations suscitées par la fréquentation quotidienne d’une cité protéiforme, comme les ponts sur l’Hudson, ferries, joggers au crépuscule dans Central Park, frimas, ces différents formes et sens étant pour l’auteur l’occasion de tester toutes les combinaisons sonores imaginables. Ainsi, à l’instar du poème pour piano du membre du Groupe des Cinq, la pièce du co-fondateur du mouvement spectral compte douze parties dont quatre Promenades, une introductive, la dernière conclusive. Cette grande œuvre de trente minutes a particulièrement inspiré ses interprètes et dédicataires, qui ont démontré à satiété un plaisir du jeu instrumental particulièrement riche en timbres et en nuances, Pierre Bleuse dirigeant le tout tel un peintre disposant d’une palette d’une variété de couleurs infinies, emportant l’auditeur à travers paysages et ambiances tous plus raffinés et oniriques les uns que les autres, le tout enrichi par spatialisation judicieusement répartie, deux groupes de cuivres se faisant face au milieu du public dans les hauteurs à cours et à jardin, et un cor anglais aux sonorités onctueuses installé au-dessus de l’orchestre côté jardin.
La seconde pièce de cette première partie était signée Unsuk Chin (née en 1961). C’est avec une œuvre placée sous influence extra-musicale, Graffiti, que les particularités de la ville étaient dessinées par l’Ensemble Intercontemporain à travers la création de la compositrice coréenne, qui se réfère ici aux arts de la rue. L’on y sent les couleurs collées à grands traits par des bombes et des aérosols sur les murs, vitrines et carrosseries de véhicules terrestres, aériens et souterrains. Créé le 26 février 2013 au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles par le Los Angeles Philharmonic New Music Group dirigé par Gustavo Dudamel, Graffiti est une œuvre « multicouches » qui célèbre le street art, du plus primitif au plus raffiné, du plus labyrinthique au plus dépouillé, du plus libertaire au plus contraint. Cordes denses et trépidantes dans le mouvement initial, cascades de cloches et frétillements dans le mouvement lent central, Notturno urbano, sombre et mystérieux, accords de cuivres virtuoses au caractère varié et raffinés dans la passacaille finale d’une grande agilité qui fourmille en idées sonores sans cesse renouvelées, font la puissante originalité de cette partition captivante. Surtout avec les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain, dont la virtuosité individuelle et l’esprit collectif ont fait merveille se sont épanouies librement sous l’impulsion généreuse et le temps maîtrisé par la battue large et vive et chaleureuse de Pierre Bleuse.
Pour finir, c’est une œuvre emblématique du minimalisme états-unien que ce
concret liminaire de la saison nouvelle de l’Ensemble Intercontemporain s’est
conclu. Le New-Yorkais Steve Reich (né en 1936) a écrit City Life, son œuvre-phare, en 1994-1995 à la suite d’une triple
commande de l’Ensemble Modern de Francfort, du London Sinfonietta et de
l’Ensemble Intercontemporain, ce dernier en donnant la création à l’Arsenal de
Metz le 7 mars 1995 sous la direction de David Robertson. Le jeune corniste états-unien,
directeur musical de l’EIC depuis trois ans à l’époque (il restera en fonction
jusqu’en 1999), a été celui par qui les minimalistes répétitifs sont entrés au
répertoire de la formation instrumentale créée par Pierre Boulez, qui laissa
celui qu’il avait lui-même choisi comme successeur de Péter Eötvös, qui avait
néanmoins dirigé une pièce de Reich au Festival de Menton 1986, le vers entrer
dans le fruit, malgré les réticences qu’il n’avait pas manqué de formuler à
l’égard de cette école. Les fidèles auditeurs de l’EIC qui ont été témoins de
cette période se souviennent combien les membres de la formation ont manifesté
de désaccords, trainant des pieds et rouspétant auprès de ceux qui voulaient bien
les entendre… Dont j’étais, d’ailleurs,
je l’avoue. Mais à la différence des membres de l’EIC, qui ont aux neuf-dixième
changé, et qui jouent désormais cette musique sans maugréer et en se donnant à
fond, je n’arrive toujours pas à entrer dans ces musique marteau-piqueurs,
malgré mes efforts constants pour en pénétrer les arcanes, comme fut le cas en
février 2024 dans le cadre du festival Présence de Radio France centré sur
Steve Reich, aujourd’hui considéré comme le « pape des
minimalistes », où j’ai craint de devenir fou au point de renoncer au
troisième concert… La capacité relevée par Reich dès 1986 des musiciens
de l’EIC à s’adapter à n’importe quelle exigence, leur aptitude à jouer un
nombre incroyable de notes, ne cesse de se confirmer, et le niveau de jeu et
d’interprétation suscite l’admiration. « Dans City Life, me déclarait
Reich en mars 1995, j’ai synchronisé des échantillons avec l’exécution de
l’œuvre. Mais l’électronique scientifique ne m’intéresse pas. Je n’aurais
jamais pensé que la musique informatique irait jusqu’à devenir un jargon pour
le monde musical. Le rock utilise les ordinateurs de façon intéressante » (voir
http://brunoserrou.blogspot.com/2018/07/steve-reich-entretien.html)
– A ce propos il serait intéressant de recueillir son avis sur l’intelligence
artificielle (IA) et son influence sir la musique… Elaborée autour des bruits urbains
de la ville de New York, l’œuvre, qui compte cinq patries précisément
chronométrées se fonde sur des bruits préenregistrés, échantillonnés et joués
en direct par le biais d’un clavier électronique à partir de sons collectés par
le compositeur dans les rues de Manhattan et du Bronx, klaxons, freins de
voitures, alarmes, sirènes de pompiers et de police, slogans de manifestations,
sons du port, échanges radio de secouristes lors de l’attentat du World Trade
Center de 1993, les sons échantillonnés étant couplés à des instruments
acoustiques comme les bois pour les klaxons ou les cymbales pour les freins,
tandis que les voix sont doublées par plusieurs instruments. Pour planter le
climat de New York, je porte pour ma part mon choix sur le génie créateur du
compositeur parisien Edgar Varèse exilé l’écriture inventive et constamment
renouvelée des vingt-quatre minutes d’Amériques
composées quatre-vingts ans plus tôt (1917-1921), plus riches, infiniment
plus denses, plus variées, plus inventives et renouvelées que les
vingt-quatre minutes terre-à-terre et atones de City Life du new-yorkais qui
n’a de vivant que le titre, cela en dépit de l’éblouissant talent des musiciens
de l’Intercontemporain et de l’énergie de la battue de Pierre Bleuse…
Bruno Serrou
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