mardi 7 janvier 2025

Pierre Boulez 100 : Ouverture émotion du centenaire Pierre Boulez avec les institutions dont il a été l’initiateur, l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Pierre Bleuse, l’IRCAM et la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 6 janvier 2025 

Pierre Boulez (1925-2016), Répons. Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier

Superbe et émouvante ouverture de l’année « Pierre Boulez 100 » à la Philharmonie de Paris qu’il a inspirée par l’Ensemble Intercontemporain qu’il avait fondé en 1976 dirigé par son directeur musical portant les mêmes prénom et initiales, Pierre Bleuse, premier chef à occuper cette fonction que le compositeur n’a pas nommé lui-même, dans un programme somptueux joué avec des solistes qui ont travaillé avec le maître au sein de l’EIC, Pierre-Laurent Aimard, Jean-Guihen Queyras,, Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle, Hidéki Nagano, Dimitri Vassiliakis, et des plus jeunes, Gilles Durot, Aurélien Gignoux, Valeria Kafelnikov dans Mémoriale (…explosante-fixe… Originel), Messagesquisse, la Sonatine pour flûte et piano mis en regard de En blanc et noir de l’un des maîtres de Boulez, Claude Debussy, et reflet de l’intérêt porté par le compositeur chef d’orchestre aux plus jeunes générations, la création mondiale de Nothing Ever Truly Ends pour ensemble de Charlotte Bray et surtout le grand œuvre du maître donné avec énergie et onirisme, Répons réalisé à l’IRCAM, magnifique de magie sonore et d’éclat

Pierre Boulez (1925-2016), Répons. Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier

Après une conférence de presse organisée dans l’après-midi au ministère de la Culture présidée par la ministre et présentée par son Commissaire général, Laurent Bayle, qui fut un proche collaborateur de Pierre Boulez en tant que directeur de l’IRCAM puis responsable du projet puis de la réalisation de la Philharmonie de Paris inaugurée le 11 janvier 2015, nombreux ont été les participants à la première manifestation « Pierre Boulez 100 », donnée par l’Ensemble Intercontemporain Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Il y aura dix ans le 11 juin prochain, le chef-d’œuvre de la musique avec informatique en temps réel qu’est Répons de Pierre Boulez faisait son entrée dans l’enceinte de la Philharmonie de Paris inaugurée cinq mois plus tôt, avec l’Ensemble Intercontemporain dirigé par son directeur musical de l’époque, le compositeur allemand Matthias Pintscher, cinq ans après que sa prédécesseur Susanna Mälkki l’eût dirigé en présence de Pierre Boulez à la Cité de la Musique. La genèse de Répons a commencé en 1979, avec l’arrivée dans les murs de l’IRCAM de la fameuse 4X, premier ordinateur conçu pour la musique avec transformation du son en temps réel. Ceux qui ont assisté aux premières exécutions de cette œuvre qui restera à jamais en l’état de « Work in Progress », se souviennent du gigantisme de ce premier ordinateur désormais installé dans le Musée de la Musique qui se déplaçait dans un énorme camion et qui demandait une quantité impressionnante d’heures de montage, tandis qu’aujourd’hui, un simple ordinateur portable suffit…

Pierre Boulez (1925-2016), Répons. Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemprain
Photo : (c) Quentin Chevrier

Le 15 avril 2010, à la Cité de la Musique, le compositeur assistait ce soir-là assis parmi le public à l’exécution de sa partition par son Ensemble Intercontemporain, pour lequel il avait composé cette somptueuse partition réalisée au tournant des années 1980 à l’IRCAM dont elle est devenue l’un des symboles qu’il avait dirigée à chaque étape de son évolution de « Work in progress » dont il disait n’être parvenu qu’à la moitié de sa durée envisagée, le plan initial prévoyant un développement global sur quatre vingt dix minutes. Susanna Mälkki était au pupitre. L’œuvre est entrée le 11 juin 2015 dans l’enceinte de la Philharmonie pour les quatre vingt dix ans de son auteur, en relation avec une exposition réalisée par Sarah Barbedette (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/remarquable-retrospective-pierre-boulez.html).  

Pierre Bleuse avec la partition de Répons, Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier

Répons est le fruit d’une commande de la Südwestfunk de Baden-Baden pour le Festival de Donaueschingen, où sa première mouture a été créée le 18 octobre 1981 sous la direction du compositeur. L’œuvre est dédiée à Alfred Schlee pour son quatre-vingtième anniversaire longtemps directeur des Editions Universal de Vienne, et contient un hommage au mécène Paul Sacher, dont Boulez utilise les lettres du nom comme partie du matériau sonore. Le titre fait référence au répons de la musique liturgique médiévale dont le compositeur reprend l'idée de prolifération à partir d'un élément simple, et de dialogue entre jeu individuel, les six instruments solistes (deux pianos, harpe, xylophone, vibraphone, cymbalum) répartis au-dessus du public et autour de l’ensemble et spatialisés par l’informatique en temps réel à travers six haut-parleurs, et jeu collectif, l’ensemble instrumental (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes et clarinette basse, deux bassons, deux cors, deux trompettes, deux trombones, un tuba, trois violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse), uniquement acoustique. Deux autres états de la partition ont suivi, une version élargie, créée à Londres en 1982, et une « deuxième version », créée à Turin en 1984. Répons reste inachevé, un inachèvement relatif cependant, car lorsqu’on parlait de la partition à son auteur, il évoquait la forme de la spirale, à la fois close et achevée, et toujours en évolution…

Pirre Boulez (1925-2016), Mémoriale. Emmanuelle Ophèle, Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier

Contrairement à ce que faisait souvent Pierre Boulez qui se plaisait à donner l’œuvre à deux reprises dans la même soirée séparées par un entracte afin que le public puisse changer de place pour en goûter les effets acoustiques variable selon l’endroit où l’on est assis, ce qui n’est pas possible dans une salle de plus de deux mille cinq cents fauteuils, cette partition d’une cinquantaine de minutes était précédées par trois œuvres de Pierre Boulez mises en perspective avec une pièce pour deux pianos de l’un de ses maîtres et une création d’une compositrice de la génération des années quatre-vingt rappelant combien le maître était aussi un pédagogue soucieux de l’avenir.

Pierre Boulez (1925-2016), Sonatine pour flûte et piano.Sophie Cherrier, Pierre-Laurent Aimard
Photo ! (c) Quentin Chevrier

Contrairement à la première expérience de Répons dans la grande salle de la Philharmonie, où j’avais éprouvé une certaine frustration en raison de mon placement derrière les enceintes acoustiques, m’empêchant d’écouter l’œuvre dans les conditions prévues par le compositeur, en tétraphonie (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2015/06/repons-de-pierre-boulez-fait-son-entree.html), cette fois j’ai pu goûter de façon quasi parfaite, en tout cas sans ressentir la moindre frustration si ce n’était le fait de ne voir que quatre (harpe, xylophone, piano, cymbalum) des six instruments solistes relayés par l’informatique en temps réel, entendant heureusement tourner sans problème le son du second piano et du vibraphone à travers le matériel de diffusion, ce dont je n’avais pas pu bénéficier en 2015, les haut-parleurs étant alors implantés devant moi et non pas derrière, comme cette fois. Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain jouent cette musique avec un plaisir évident et une aisance stupéfiante, semblant jouir des résonances sublimes et éclatantes de l’écriture boulézienne, respirant cette fois large dans les résonnances en raison d’une spatialisation quasi parfaite des claviers et cordes frottées et frappées, et de la virtuosité lumineuse des instruments acoustiques aux sonorités magnifiées par l’acoustique chaude et limpide de la Philharmonie qui exaltent une sensualité prodigieuse sous la direction à la fois énergique, précise, souple, claire de Pierre Bleuse, qui s’avère en osmose totale avec la musique scintillante et éclatante du fondateur de l’ensemble dont il est le directeur musical.

Pierre Boulez (1925-2016), Messagesquisse. Jean-Guihen Queyras, Membres de l'Ensemble Intercontemporain, Pierre Bleuse
Photo : (c) Quentin Chevrier

En première partie de concert, trois œuvres avec solistes de Pierre Boulez représentant quarante ans de création, de 1946 à 1985. C’est la plus récente de la trilogie que Pierre Bleuse a commencé le programme, une œuvre concertante de six minutes pour flûte et huit instruments (deux cors, trois violons, deux altos et violoncelle), Mémoriale (…explosante-fixe… Originel), élégie écrite à la mémoire du premier flûtiste de l’EIC de 1980 jusqu’à sa mort cinq ans plus tard, proche du compositeur, le Canadien Larry Beauregard (1956-1985). Mémorial, que Boulez a été intégré au cycle …explosante-fixe… qui devait subir quantité de métamorphoses à partir de la première version de 1972 en écho à la disparition d’Igor Stravinsky le 6 avril 1971, a été créé le 29 novembre 1985 Théâtre des Amandiers à Nanterre par Sophie Cherrier dialoguant avec ses collègues de l’Ensemble Intercontemporain sous la direction du compositeur. Mémoriel reprend le matériau d’Originel sous forme d’un bloc sonore de sept sons, la forme adoptant « le principe des interruptions alternatives issu entre autres des symphonies d’instruments à vent de Stravinsky, écrites à la mémoire de Debussy », comme le précise une notice de programme du Festival de Lucerne écrite en 2003 par Robert Piencikowski. Trente ans après sa création par Sophie Cherrier, c'est Emmanuelle Ophèle qui en a donné le 6 janvier une onirique interprétation, entourée de ses collègues qui pour la plupart n’avaient pas encore intégré l’EIC.

Claude Debussy (1862-1918), En blanc et noir. Pierre-Laurent Aimard, Hidéki Nagano
Photo : (c) Matthias Benguigui

Messagesquisse, sans doute l’une des œuvres les plus immédiatement accessibles de Pierre Boulez, du moins pour les auditeurs, répond à une commande de Mstislav Rostropovitch, qui renonça à jouer la partition, qui sera créée le 3 juillet 1977 dans le cadre du Festival de La Rochelle par Pierre Pénassou au pupitre soliste entouré de deux membres de l’Ensemble Intercontemporain (Philippe Muller et Ina Joost), deux violoncellistes de l’Orchestre de la Radio Hilversum et deux musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Lorraine. Dans cette œuvre de sept minutes subdivisée en trois sections d’une force expressive et d’une originalité singulière, la partie soliste est dupliquée de diverses  façons par les six autres violoncelles subordonnés au leader. Au début de la pièce, les tutti entrent « en escalier » tel un fugato, chaque nouvel intervenant imitant la partie principale en écho, puis tenant la note. La musique se décompose ainsi comme à travers un prisme. Boulez utilise le morse pour créer un rythme à partir des lettres du nom du mécène Paul Sacher. Ce rythme est d’abord présenté sur la seule note de mi bémol tel un canon rythmique. Le violoncelle solo présente des cellules dérivées une à une de Sacher, et les entrées du rythme du morse correspond au début de chaque nouvelle cellule. Chacune de ces dernières est décalée par une lettre du nom du dédicataire, jusqu’à ce que finalement, après avoir présenté toutes les cellules, le violoncelle solo reprenne le rythme de l’accompagnement des six violoncelles avec une partie supplémentaire tenant un mi bémol. La partie centrale est d’une énergie et d’un panache extraordinaires, à donner le tournis, demandant de la part de ses interprètes une maîtrise technique et une agilité extrêmes. Quarante ans après sa genèse, Messagesquisse reste une œuvre d’une originalité singulière, et s’impose toujours davantage comme un référent absolu. Ce que confirme amplement l’interprétation qu’en a faite Jean-Guihen Queyras, ex-membre de l’EIC, entouré des deux titulaires actuels, Eric-Maria Couturier et Renaud Déjardin, et de quatre musiciens supplémentaires, Cyprien Lengagne, Yi Zhou, Imane Mahroug et Angèle Siracusa, en a donné sous la direction de Pierre Bleuse une version brillamment chantante et précise, donnant à l’œuvre la dimension d’un classique.

Charlotte Bray (née en 1982), Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier

En écho aux pages de Mémoriel qui renvoient à Claude Debussy, Pierre-Laurent Aimard, qui fut pendant dix-huit ans, de sa création en 1976 à 1994, membre de l’Intercontemporain, s’est associé à Hidéki Nagano, l’un de ses successeurs à partir de 1995, pour jouer de concert la suite en trois volets constituant le recueil En blanc et noir que Debussy a composé pour deux pianos en 1915 que les deux pianistes ont inscrit dans sa modernité porteuse d’avenir toute en abstraction et en résonances polytonales. Aimard était rejoint par Emmanuelle Ophèle, autre pilier de l’Intercontemporain, pour la célèbre Sonatine pour flûte et piano que Pierre Boulez composa en 1946 à la suite d’une commande de Jean-Pierre Rampal et considérait comme sa première œuvre véritablement aboutie, précédant de peu sa Première Sonate, dans laquelle le compositeur rend hommage à la Symphonie de chambre op. 9 d’Arnold Schönberg avec son mouvement unique incluant les quatre parties de la symphonie classique enchaînés sans transition. Les deux interprètes en ont donné toutes les tensions et les sonorités heurtées qu’ils ont néanmoins adoucies pour en amoindrir l’agressivité, tout en rendant avec brio la diversité des intonations, la fusion ou les tensions entre les deux instruments.

Pierre Boulez (1925-2016), Répons. Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier

Autre facette marquante de la personnalité de Pierre Boulez, son intérêt et le soutien actif qui apporta aux jeunes générations de compositeurs qu’il développa dès les années 1950 dans son enseignement à Darmstadt puis à l’Académie de Bâle. Pour ce faire, l’Ensemble Intercontemporain a commandé une œuvre nouvelle à la compositrice britannique Charlotte Bray. Née en 1982 à High Wycombe dans le Buckinghamshire, violoncelliste de formation, disciple des compositeurs Mark Anthony Turnage au Royal College of Music de Londres, d’Oliver Knussen, Colin Matthiews et Magnus Lindberg, elle est actuellement compositeur en résidence à l’Orchestre de Chambre de Genève jusqu’à la fin de la saison 2025-2026, elle reçoit des commande de nombre d’institutions, notamment en France l’Orchestre de Paris, le Festival d’Aix-en-Provence et l’Ensemble Intercontemporain pour lequel elle a composé pour cette ouverture du centenaire de Pierre Boulez Nothing Ever Truly Ends pour grand ensemble (deux flûte, la première aussi flûte alto, la seconde aussi flûte piccolo, hautbois, aussi cor anglais, deux clarinettes, la seconde aussi clarinette basse, basson, aussi contrebasson, deux cors, trompette, trombone, tuba, trois percussionnistes, célesta, harpe, trois violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse). Très portée sur les problématiques contemporaines comme la condition des femmes et la terreur islamiste, la compositrice reprend le titre de cette œuvre d’une dizaine de minutes qui signifie en français Rien ne finit vraiment jamais au livre de l’écrivain irlandais Colum McCann (né en 1965), American Mother (2023), dans lequel la compositrice puise son opéra du même titre pour quatre chanteurs et orchestre dont la création est prévue le 31 mai 2025 à l’Opéra de Hagen, et qui conte l’histoire de Diane Foley et sa lutte désespérée pour son fils prisonnier du groupe terroriste Etat islamique. La pièce réalisée pour l’Ensemble Intercontemporain se présente comme une déploration d’où émerge des flashs de lumière émanant du célesta, du glockenspiel, du cymbalum et de cloches à main. Cette partition séduit dès l’abord mais finit rapidement par épuiser son énergie et son élan créatif au point de devenir statique et diffuse, malgré la réalisation irréprochable de l’Ensemble Intercontemporain magnétisé par Pierre Bleuse.

Pierre Boulez (1925-2016), Répons. Hidéki Nagano (piano), Gilles Durot, Samuel Favre (percussion), Aurélien Gignoux (cymbalum), Dimitri Vassilkiakis (piano), Valeria Kafelnikov (harpe), Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Bruno Serrou

Le centenaire Pierre Boulez se poursuit ce mardi soir au Théâtre des Champs-Elysées avec l’orchestre Les Siècles dirigé par Franck Ollu.

Bruno Serrou

 

 

 

 

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