lundi 18 novembre 2024

Vivifiante «Ariadne auf Naxos» de Richard Strauss brillamment dirigée par Ben Glassberg et mise en scène par le collectif > Le Lab à l’Opéra de Rouen

Rouen. Opéra de Rouen Normandie. Théâtre des Arts. Vendredi 15 novembre 2024 

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Production très fine et judicieuse née à l’Opéra de Limoges en mai 2022 du chef-d’œuvre de Strauss/Hofmannsthal Ariadne auf Naxos reprise ce mois-ci par l’Opéra de Rouen Normandie mis en scène inventive de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil > Le Lab et dirigée au cordeau par Ben Glassberg à la tête d’un orchestre de l’Opéra normand remarquable, avec une distribution d’une grande homogénéité, dont l’Ariane toute en séduction de Sally Matthews et le Bacchus triomphant de John Findon, la brillante Zerbinette de Caroline Wettergreen, et un Compositeur à la voix flottante de Paula Murriby

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Tribut au XVIIe siècle français à travers Molière et à Lully - il est à noter que Richard Strauss, en temps de guerre mondiale s'attachait dans ses opéras à des sujets d'inspiration française des XVIIe et XVIIIe siècles, puisque Capriccio a pour cadre le temps de Louis XV -, Ariadne auf Naxos de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal est idéalement ajusté à l’acoustique peu réverbérante du Théâtre des Arts dont la fosse est à la mesure de cet ouvrage mi buffa mi seria, et son directeur musical, Ben Glassberg, en a pris l’exacte mesure, autant dans le prologue conçu durant la révision de 1916 en lieu et place de la pièce Le Bourgeois Gentilhomme de Molière dans une adaptation en allemand qui présente la genèse du spectacle qui va suivre, que dans l’acte d’Ariane, qui conte la relative solitude d’Ariane, fille de Minos et de Pasiphaé, abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos d’où elle sera finalement libérée par Bacchus, dirigeant les deux versants de la partition avec l’allant et dans les justes tempi, avec un sens de la narration et des équilibres patent. Ecouter cet ouvrage-là dans ces conditions est un plaisir sans partage, les infinis détails infimes de la partition et la jouissance sonore qu’exalte Richard Strauss se font suprêmement audibles. Le plaisir est d’autant plus grand que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie fait un sans-faute, exaltant des sonorités de braise dans cette partition d’une transparence et d’une fulgurance inouïe, sonnant fier, avec des timbres moelleux, charnels et chatoyants.

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Cette nouvelle production de l’opéra hybride, théâtre sur le théâtre mêlant intimement comique et tragique, opera buffa et opera seria, a été judicieusement confiée pour la mise en scène, la scénographie et les costumes bariolés à deux membres du collectif Le Lab, Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qui, après un diptyque Debussy réunissant deux opéras inachevés d’après Edgar Alan Poe La chute de la maison Usher, Le diable dans le beffroi) Amphithéâtre de l’Opéra-Bastille en février 2012, ont proposé dans un décor unique en constante évolution une subtile et jubilatoire trilogie Mozart/Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles en février 2020 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2020/02/a-bruxelles-le-theatre-de-la-monnaie.html). Cette fois encore, > Le Lab situe l’action dans un décor unique dont l’élément central est une longue table sur tréteaux qui occupe la quasi-totalité du plateau dans sa largeur autour et sur laquelle se déploient les protagonistes dans le prologue et l’acte d’Ariane. Après un premier prologue qui donne à voir et à entendre le premier dialogue du Bourgeois gentilhomme entre les maîtres de musique et à danser, le prologue en tant que tel fait dialoguer deux groupes attablés, l’un sur le plateau constitué d’artistes en plein travail découvrant l’opéra en création qu’ils s’apprêtent à jouer, l’autre sur une vidéo présentant des convives huppés hôtes du riche mécène commanditaire du spectacle sont assis autour d’un fastueux repas qui précède la représentation. Monsieur Jourdain, campé par le comédien Fabien Leriche qui se fait entendre uniquement par téléphone et par le biais de haut-parleurs, semble prendre plaisir à se faire passer pour son propre majordome tout en président le banquet qu’il offre à ses invités, avant de finir ligoté et bâillonné par les artistes lassés de sa morgue et de son indifférence à leur égard, tandis que le compositeur ne quittera pas le plateau jusqu’à la fin du spectacle, sur lequel il veillera avec la plus vigilante attention.

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Selon le principe de l’anamorphose, l’opéra qui suit l’entracte transporte l’action sur l’île de Naxos que le décor déconstruit puis reconstruit évoque sans pour autant annihiler l’impression de fiction, la scénographie évoluant à l’instar des protagonistes qui associent personnages mythologiques et baladins de la commedia dell’arte, pour répondre aux impératifs fixés par le mécène. Ce mouvement constant va jusque dans la fosse, où les musiciens sont en vêtements civils durant le prologue, soulignant ainsi qu’il s’agit bel et bien d’une répétition, puis en habits et robes noirs durant l’opéra.

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Ainsi, l’équipe du collectif Le Lab signe une production alerte et judicieusement inventive du plus raffiné des opéras du compositeur bavarois, qui, à l’instar de son incomparable librettiste Hugo von Hofmannsthal, aura éprouvé tant de difficultés à trouver le juste équilibre de cette œuvre commencée en 1911, l’acte d’Ariane auf Naxos étant alors associé à la pièce de Molière, le Bourgeois gentilhomme adaptée en allemand par Hofmannsthal sous le titre Der Burger als Edelmann, et qui n’atteignit sa forme définitive qu’en 1916, les deux auteurs substituant le prologue à la place de la pièce, après que Strauss sous l’influence d’Hofmannsthal eût donné son autonomie à la comédie de Molière, développant et ajoutant des numéros à sa musique de scène avant d’en tirer une suite de concert... S’égayant sur le plateau avec justesse grâce à une direction d’acteur particulièrement efficiente, la distribution est d’une parfaite cohésion. A sa tête, la soprano britannique Sally Matthews brosse de sa voix charnelle et sûre une subtile Ariane, noble, fragile, déterminée, Prima donna capricieuse. Voix héroïque et constante au timbre radieux, son compatriote John Findon est un impressionnant Bacchus tant il émane de son interprétation un naturel confondant. La soprano colorature norvégienne Caroline Wettergreen est une Zerbinette toute en séduction et en émotion de sa voix au timbre de braise et d’une agilité souveraine, qui joue la comédie avec un naturel confondant. La mezzo-soprano irlandaise Paula Murrihy est un Compositeur à l’ardeur et au timbre chaud qui conviennent parfaitement au rôle mais l’on relève une ligne de chant au vibrato trop large. Les personnages de la commedia dell’arte sont tous parfaitement tenu, avec le Scaramouche/un officier du ténor gallois Robert Lewis, l’Arlequin/un perruquier du baryton croate Leon Košavić, le Truffaldino/un laquais du baryton français François Lis, le maître de musique du baryton britannique William Dazeley. Quant aux indispensables nymphes Naïade, Dryade et Echo, elles sont remarquablement campées par le trio Yerang Park (soprano), Aliénor Feix (mezzo-soprano) et Clara Guillon (soprano).

Bruno Serrou


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