Rouen. Opéra de Rouen Normandie. Théâtre des Arts. Vendredi 15 novembre 2024
Production très fine et judicieuse née à l’Opéra de Limoges en mai 2022 du
chef-d’œuvre de Strauss/Hofmannsthal Ariadne auf Naxos reprise ce mois-ci par
l’Opéra de Rouen Normandie mis en scène inventive de Jean-Philippe Clarac et Olivier
Deloeuil > Le Lab et dirigée au cordeau par Ben Glassberg à la tête d’un
orchestre de l’Opéra normand remarquable, avec une distribution d’une grande
homogénéité, dont l’Ariane toute en séduction de Sally Matthews et le Bacchus
triomphant de John Findon, la brillante Zerbinette de Caroline Wettergreen, et
un Compositeur à la voix flottante de Paula Murriby
Tribut au XVIIe siècle français à travers Molière et à
Lully - il est à noter que Richard Strauss, en temps de guerre mondiale s'attachait dans ses opéras à des sujets d'inspiration française des XVIIe et XVIIIe siècles, puisque Capriccio a pour cadre le temps de Louis XV -, Ariadne auf Naxos de Richard
Strauss et Hugo von Hofmannsthal est idéalement ajusté à l’acoustique peu
réverbérante du Théâtre des Arts dont la fosse est à la mesure de cet ouvrage
mi buffa mi seria, et son directeur musical, Ben Glassberg, en a pris l’exacte
mesure, autant dans le prologue conçu durant la révision de 1916 en lieu et
place de la pièce Le Bourgeois Gentilhomme de Molière dans une adaptation
en allemand qui présente la genèse du spectacle qui va suivre, que dans l’acte
d’Ariane, qui conte la relative
solitude d’Ariane, fille de Minos et de Pasiphaé, abandonnée par Thésée sur
l’île de Naxos d’où elle sera finalement libérée par Bacchus, dirigeant les
deux versants de la partition avec l’allant et dans les justes tempi, avec un sens de la narration et
des équilibres patent. Ecouter cet ouvrage-là dans ces conditions est un
plaisir sans partage, les infinis détails infimes de la partition et la
jouissance sonore qu’exalte Richard Strauss se font suprêmement audibles. Le
plaisir est d’autant plus grand que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
fait un sans-faute, exaltant des sonorités de braise dans cette partition d’une
transparence et d’une fulgurance inouïe, sonnant fier, avec des timbres moelleux,
charnels et chatoyants.
Cette nouvelle production de l’opéra
hybride, théâtre sur le théâtre mêlant intimement comique et tragique, opera buffa et opera seria, a été judicieusement confiée pour
la mise en scène, la scénographie et les costumes bariolés à deux membres du
collectif Le Lab, Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qui, après un
diptyque Debussy réunissant deux opéras inachevés d’après Edgar Alan Poe La chute de la maison Usher, Le diable dans le beffroi) Amphithéâtre
de l’Opéra-Bastille en février 2012, ont proposé dans un décor unique en
constante évolution une subtile et jubilatoire trilogie Mozart/Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles en février 2020
(voir http://brunoserrou.blogspot.com/2020/02/a-bruxelles-le-theatre-de-la-monnaie.html).
Cette fois encore, > Le Lab situe l’action dans un décor unique dont l’élément
central est une longue table sur tréteaux qui occupe la quasi-totalité du
plateau dans sa largeur autour et sur laquelle se déploient les protagonistes
dans le prologue et l’acte d’Ariane. Après un premier prologue qui donne à voir
et à entendre le premier dialogue du Bourgeois
gentilhomme entre les maîtres de musique et à danser, le prologue en tant
que tel fait dialoguer deux groupes attablés, l’un sur le plateau constitué d’artistes
en plein travail découvrant l’opéra en création qu’ils s’apprêtent à jouer, l’autre
sur une vidéo présentant des convives huppés hôtes du riche mécène commanditaire
du spectacle sont assis autour d’un fastueux repas qui précède la
représentation. Monsieur Jourdain, campé par le comédien Fabien Leriche qui se
fait entendre uniquement par téléphone et par le biais de haut-parleurs, semble
prendre plaisir à se faire passer pour son propre majordome tout en président
le banquet qu’il offre à ses invités, avant de finir ligoté et bâillonné par
les artistes lassés de sa morgue et de son indifférence à leur égard, tandis
que le compositeur ne quittera pas le plateau jusqu’à la fin du spectacle, sur
lequel il veillera avec la plus vigilante attention.
Selon le principe de l’anamorphose, l’opéra qui suit l’entracte transporte l’action sur l’île de Naxos que le décor déconstruit puis reconstruit évoque sans pour autant annihiler l’impression de fiction, la scénographie évoluant à l’instar des protagonistes qui associent personnages mythologiques et baladins de la commedia dell’arte, pour répondre aux impératifs fixés par le mécène. Ce mouvement constant va jusque dans la fosse, où les musiciens sont en vêtements civils durant le prologue, soulignant ainsi qu’il s’agit bel et bien d’une répétition, puis en habits et robes noirs durant l’opéra.
Ainsi, l’équipe du collectif Le
Lab signe une production alerte et judicieusement inventive du plus raffiné des
opéras du compositeur bavarois, qui, à l’instar de son incomparable librettiste
Hugo von Hofmannsthal, aura éprouvé tant de difficultés à trouver le juste
équilibre de cette œuvre commencée en 1911, l’acte d’Ariane auf Naxos étant alors associé à la pièce de
Molière, le Bourgeois gentilhomme adaptée en allemand par
Hofmannsthal sous le titre Der Burger als
Edelmann, et qui n’atteignit sa forme définitive qu’en 1916, les deux
auteurs substituant le prologue à la place de la pièce, après que Strauss sous
l’influence d’Hofmannsthal eût donné son autonomie à la comédie de Molière,
développant et ajoutant des numéros à sa musique de scène avant d’en tirer une
suite de concert... S’égayant sur le plateau avec justesse grâce à une
direction d’acteur particulièrement efficiente, la distribution est d’une
parfaite cohésion. A sa tête, la soprano britannique Sally Matthews brosse de
sa voix charnelle et sûre une subtile Ariane, noble, fragile, déterminée, Prima
donna capricieuse. Voix héroïque et constante au timbre radieux, son
compatriote John Findon est un impressionnant Bacchus tant il émane de son
interprétation un naturel confondant. La soprano colorature norvégienne Caroline
Wettergreen est une Zerbinette toute en séduction et en émotion de sa voix au
timbre de braise et d’une agilité souveraine, qui joue la comédie avec un
naturel confondant. La mezzo-soprano irlandaise Paula Murrihy est un
Compositeur à l’ardeur et au timbre chaud qui conviennent parfaitement au rôle
mais l’on relève une ligne de chant au vibrato trop large. Les personnages de
la commedia dell’arte sont tous
parfaitement tenu, avec le Scaramouche/un officier du ténor gallois Robert
Lewis, l’Arlequin/un perruquier du baryton croate Leon Košavić, le Truffaldino/un laquais du baryton français
François Lis, le maître de musique du baryton britannique William Dazeley.
Quant aux indispensables nymphes Naïade, Dryade et Echo, elles sont
remarquablement campées par le trio Yerang Park (soprano), Aliénor Feix (mezzo-soprano)
et Clara Guillon (soprano).
Bruno Serrou
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