Bordeaux. Opéra national de Bordeaux. Jeudi 14 novembre 2024
Assister à une création lyrique est toujours une vraie fête. Hélas, jeudi à
l’Opéra national de Bordeaux, soir de la
dernière représentation de l’opéra en création Les Sentinelles
(1) de Clara Olivares, j’ai très vite
déchanté, l’idée-même de chant étant exclue en faveur du seul récitatif, ce qui
se faisait d’autant plus remarquer que le texte de Chloé Lechat est sans
attrait, dans une production féminine (compositrice, livret, trois chanteuses,
une comédienne, cheffe d’orchestre, mise en scène, scénographie, costumes), le
tout ouvertement revendiqué « zéro achat »
C’est avec plaisir que je retrouvais
la superbe bonbonnière aux harmonies raffinées de l’un des plus avril beaux théâtres d’Opéra du monde, le
Grand Théâtre de Bordeaux, conçu par l’architecte Victor Louis (1731-1800),
construit entre 1773 et 1780, et financé par les négociants francs-maçons
bordelais inauguré le 7 avril 1780 avec une représentation de la tragédie Athalie de Jean Racine, les deux
derniers spectacles bordelais auxquels j’avais assistés s’étant déroulés dans
le nouvel Auditorium Dutilleux attribué à l’Orchestre National
Bordeaux-Aquitaine. Aussi étonnant que cela puisse paraître, après Salomé de Richard Strauss puis Don Carlo de Giuseppe Verdi donnés dans
l’auditorium, c’est dans l’enceinte du Grand-Théâtre qu’était donnée en ce mois
de novembre une création mondiale d’une œuvre contemporaine. Il faut convenir
sans attendre que les proportions modestes de l’ouvrage concordent avec les
dimensions de la salle historique. Un ouvrage conçu par des femmes pour des femmes,
dont seuls l’orchestre et le public se devaient d’être mixtes, auteurs, chanteurs,
staff scénique (à l’exception de l’éclairagiste et du vidéaste) étant
exclusivement féminin.
Pour son deuxième opéra sept ans
après le monodrame Mary pour soprano,
marionnette, clarinette, saxophone, violon, violoncelle et dispositif électronique
en temps réel, Clara Olivares, compositrice franco-espagnole née à Strasbourg
en 1993, formée à l’aune de Mark Andre, Philippe Manoury, Daniel D’Adamo,
Thierry Blondeau, Philippe Schoeller et Alberto Posadas, s’est associée pour le
livret à la librettiste metteuse en scène franco-suisse disciple de Stéphane
Braunschweig au TNS de Strasbourg et vivant désormais à Berlin Chloé Lechat
(née en 1984), tandis que dans la fosse officie la cheffe lilloise Lucie
Leguay, ex-assistante de Mikko Franck à l’Orchestre Philharmonique de Radio
France et de Matthias Pintscher à l’Ensemble Intercontemporain. Cette fois, ces
trois femmes sont rassemblées pour un opéra à quatre protagonistes - deux
sopranos, une mezzo-soprano et une comédienne -, et un orchestre de trente-deux
musiciens (bois et cors par deux, trompette, trombone, harpe, timbales, deux
percussionnistes, violons I et II par trois, altos, violoncelles et
contrebasses par quatre). A noter que dans l’équipe artistique figure une « coordinatrice
d’intimité » (sic). Cet opéra en deux actes de neuf scènes chacun d’une
durée totale de quatre vingt dix minutes sans ressort dramatique véritable conte
une banale histoire de femmes définies par une lettre de l’alphabet au fond
plutôt banal, un couple parental, une mère (A, soprano) et sa fille surdouée (E,
comédienne), et un couple d’amoureuses en crise (B, mezzo-soprano, et C,
soprano) aux destins tragiques où il est question de rencontres, de relations
amoureuses, de disputes, de drogue, avec la mort de l’enfant au bout. « Une
histoire d’adultes, qui se mentent sous prétexte de vouloir se protéger ou qui
ne se disent pas la vérité de crainte d’être mal compris », précise Chloé
Lechat. Le propos trop réaliste s’avère finalement d’une banalité si quotidienne
que la musique, après un début prometteur, devient vite sans relief ni dynamique,
ni lyrisme véritable, chaque ligne vocale étant doublée à l’orchestre, le
chant s’avérant en outre quasi inexistant, les phrases musicales se concluant quasi
systématiquement en parler, réduit au recitativo
plus ou moins cantando. Dans cette
production « zéro achat » (est-ce une mission du spectacle vivant de communiquer
sur cette particularité ?), la scénographie de Céleste Langrée est réduite
à sa plus simple expression, ainsi que les costumes lambda de Sylvie Brunet-Grupposo,
situe l’action entre des murs grisâtres et un mobilier sans âme (lit, commode,
table, canapé, chaises) différent dans chaque acte suite à un déménagement, le
tout issu de recyclages, tandis qu’une vidéo d’Anatole Levilain-Clément qui
accompagne les séances chez le psy symbolise la notion d’enfermement dans
lequel se fond peu à peu l’intrigue.
Cette carence rédhibitoire lorsqu’il
s’agit d’un opéra, est d’autant plus regrettable que la distribution est
parfaite pour le beau chant et la performance dramatique. En tête d’affiche, la
somptueuse A d’Anne-Catherine Gillet, amoureuse frémissante et mère
attentionnée s’égayant avec félicité avec sa fille E, campée avec une
spontanéité confondante par la comédienne Noémie Develay-Ressiguier, tandis que
la soprano Camille Schnoor est une A valeureuse au chant épanoui formant un
couple judicieux avec Sylvie Brunet-Grupposo en B désenchanté. Les musiciens de
l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine ont remarquablement servi la partition
sous la direction nuancée et élancée de Lucie Leguay, attentive à soutenir les
cantatrices par de délicates doublures des pupitres solistes.
Bruno Serrou
1) Cette production de Les Sentinelles est reprise à l’Opéra de
Limoges les 22 et 24 janvier 2025, puis à Paris à l’Opéra-Comique du 10 au 13
avril 2025
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