Paris. Opéra-Comique. Salle Favart. Vendredi 21 juin 2024
Vingt-quatre heures après un L’Olimpiade d’Antonio Vivaldi convenu défendu par une palanquée de travestis et de vocalistes sportifs de tous crins au Théâtre des Champs-Elysées (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/06/lolympiade-de-roucoulades-vivaldiennes.html), c’est avec grand plaisir que je découvrais une œuvre admirable de beauté, autant musicale et vocale que plastique, à l’Opéra-Comique, qui, deux ans après celui du chevalier Gluck, présente avec une même équipe l’Armide de Jean-Baptiste Lully servi par une équipe de chanteurs séduisants et à la vocalité rayonnante, menée avec onirisme et allant par un Christophe Rousset magicien du son et du rythme à la tête de ses remarquables Les Talens lyriques, avec l’ardente Armide d’Ambroisine Bré et le brillant Renaud de Cyrille Dubois dans une mise en scène de Lilo Baur
Armide est la douzième et dernière tragédie en musique en cinq actes avec prologue achevée par Jean-Baptiste Lully (1632-1687) en collaboration avec son librettiste privilégié Philippe Quinault (1635-1688) depuis la création de Cadmus et Hermione en 1673. Après, le second renoncera au théâtre et le premier disparaîtra un an plus tard des suites de la gangrène sans avoir achevé sa dernière tragédie lyrique, Achille et Polyxène sur un livret du Toulousain Jean Galbert de Campistron (1656-1723). Il s’agit donc ici, avec Armide, d’un véritable accomplissement. Intrigue ramassée défaite de toute digression soumise à quelque action secondaire que ce soit, récitatifs tenant de l’arioso, orchestre acquérant un caractère fortement dramatique et une place centrale à égalité avec le chant qu’il annonce, soutient et commente.
Dès sa création le 15 février 1686 Théâtre du Palais Royal à Paris, le monologue de son héroïne « Enfin, il est en ma puissance » connaît un succès foudroyant et devient instantanément l’une des pages les plus fameuses de l’histoire de l’opéra français. « De toutes les tragédies que j’ai mises en musique, écrira Lully par la suite, voici celle dont le public a témoigné être le plus satisfait : c’est un spectacle où l’on court en foule, et jusqu’ici on n’en a point vu qui ait reçu plus d’applaudissements… » Armide sera même le premier opéra français représenté en Italie, à Rome en 1690, dans une traduction de Silvio Stampiglia (1664-1725), membre fondateur de l’Accademia dell’Arcadia (Académie de l’Arcadie). Le succès ne se démentira pas, au point d’être soixante-cinq ans après sa création le référent du Genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) lors de la fameuse Querelle des Bouffons (1752-1754), fervent défenseur du goût italien aux dépens de la musique française personnifiée alors par Jean-Philippe Rameau (1683-1764) dans sa Lettre sur la musique française publiée en novembre 1753.
Le sujet choisi par le roi Louis XIV en personne est l’un des plus souvent mis en musique, le programme de salle de l’Opéra-Comique en recensant une trentaine, et sera notamment repris quasi tel quel en 1777 par Christoph Willibald Gluck (1714-1787). Adapté du roman de chevalerie la Jérusalem délivrée (Gerusalemme liberata, 1580) du poète italien Il Tasso (1544-1595), le livret conte les amours malheureuses de la magicienne Armide pour le chevalier Renaud. Captivante magicienne, Armide est une princesse musulmane de Damas chargée par son oncle Hidraot, roi de la ville, de combattre l’armée Croisée chrétienne de Godefroy de Bouillon qui tente de conquérir Jérusalem et dont elle en séduit quantité de chevaliers qu’elle tue ou fait prisonniers.
Pour cette production, la metteuse en scène suisse Lilo Baur adapte celle qu’elle a précédemment signée pour l’Armide de Gluck présentée sur cette même scène de la salle Favart en novembre 2022, le prologue absent de l’opéra de Gluck en sus, tandis que l’action se déploie dans sa continuité à l’ombre d’un immense arbre mort, élément central du décorateur Bruno de Lavenère sobrement éclairé par Laurent Castaingt autour duquel Armide et ses suivantes sont des amazones remuantes cherchant à en découdre, tandis que les paysages enchanteurs et la destruction du palais sont totalement occultés. La direction d’acteurs est en revanche réglée au cordeau, et les ballets mis conçus par la danseuse chorClaudia de Serpa Soares ne nuisent pas à la continuité de l’intrigue.
Côté fosse, la direction dynamique et contrastée de Christophe Rousset donne une impulsion communicative à l’œuvre, qui chante et s’épanouit à satiété, sollicitant à tout instant l’attention du public cinq actes durant. Les Talens lyriques sont parfaits de cohésion et de virtuosité, donnant une vision tendue et dramatique de l’œuvre, particulièrement dans la passacaille où fusionnent remarquablement danse et rigueur tragique. Sur le plateau, le chœur de chambre toulousain Les Eléments chante dans son jardin, précis, homogène, acteur engagé à l’élocution limpide. Ainsi que les chanteurs solistes, tous compréhensibles, l’élocution française s’avérant constamment pure et intelligible, la totalité de la troupe s’exprimant dans un français sans tâches, ce qui permet de goûter le très beau texte de Quinault. Ambroisine Bré est une Armide combative et sans doute un peu trop solide et agressive tant elle apparaît sans faiblesse ni fragilité, mais la ligne de chant est chaleureuse, les aigus rayonnants. Malgré quelques duretés vocales, Cyrille Dubois est un Renaud tout en délicatesse
à la voix féline et à la projection souveraine. Le roi de Damas Hidraot est campé par un Edwin Crossley-Mercer majestueux, à l’instar de Lysandre Châlon dans les rôles d’Aronte et d’Ubalde au timbre éclatant, alors qu’Anas Séguin campe la Haine avec aplomb et atteste d’un humour communicatif, Enguerrand de Hys étant pour sa part un Artémidore aux graves un brin contraints, tandis que le ténor Abel Zamora, membre de l’Académie de l’Opéra-Comique, s’impose dans le personnage secondaire de l’Amant fortuné. Enfin, Florie Valiquette (Gloire/Sidonie/lucinde/la Bergère) et Apolline Raï-Westphal (Sagesse/Phénice/Mélisse/la Nymphe) brillent dans la diversité de leurs personnages.
Bruno Serrou
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