Beauvais (Oise). Grange de la Maladrerie Saint-Lazare ; Auditorium Rostropovitch ; Théâtre du Beauvaisis. Samedi 14, dimanche 15 octobre 2023
Voilà dix-sept ans, les édiles de la ville de Beauvais, préfecture du département de l'Oise, contactaient la grande pianiste hélas
disparue beaucoup trop tôt, Brigitte Engerer (1952-2012), pour lui proposer la
création d’un rendez-vous annuel dont elle serait la directrice artistique et
la programmatrice. Ce que la musicienne accepta volontiers, en association avec Olivier Delamare. La première édition
se tint en octobre 2006, le temps d’un week-end d’octobre à raison de trois
concerts par jour, rythme et durée qui perdurent aujourd’hui encore.
Depuis la mort de Brigitte Engerer en juin 2012, c’est son directeur technique de l’époque, Pascal Morand, qui supervise le festival dont il confie la direction artistique à un artiste différent chaque année. Ainsi, toute édition a son caractère et ses spécificités qui lui sont propres, reflets des personnalités qui se succèdent. L’édition 2023, qui s’est tenue le week-end dernier, a été confiée au jeune pianiste polymorphe Thomas Enhco, qui, à 35 ans, s’exprime autant comme pianiste classique et jazz qu’en tant que compositeur improvisateur. Petit-fils du chef d’orchestre fondateur de l’Orchestre national de Lille Jean-Claude Casadesus, Thomas Enhco a élaboré un programme essentiellement pianistique, avec beaucoup de jazz, d’improvisations et des œuvres de musique classique, du récital au concert avec orchestre.
Ouvert vendredi sur un duo marimba et piano associant le directeur artistique de l’édition et la percussionniste Vassilena Serafimova autour de Jean-Sébastien Bach, le Festival Pianoscope de Beauvais 2023 s’est essentiellement déployé sur deux journées, samedi et dimanche, à raison de trois concerts par jour mêlés de conférences et de rendez-vous pédagogiques. Le premier concert était un « récital découverte » offert à un jeune pianiste « compositeur », Jean Saint Loubert Bié, dont la teneur et les circonvolutions étaient malheureusement fort convenues, en décalage avec un âge bien vert comparativement à ce que le jeune homme a donné à entendre. Le moment attendu de la journée n’a au contrairement nullement déçu, bien au contraire. Il s’agissait en effet d’un programme de trios pour violon, violoncelle et piano de grande qualité qualifiés de « Romantiques » réunissant trois excellents musiciens, Sarah Nemtanu, premier violon solo de l’Orchestre National de France, Grégoire Korniluk, violoncelle solo de l’Orchestre de la NDR de Hambourg, et le pianiste Jean-Frédéric Neuburger, compositeur de grand talent, dans un puissant et condensé Trio Élégiaque n° 1 en sol mineur (1892) d’un Serge Rachmaninov âgé de dix-huit ans, et une remarquable interprétation du Trio avec piano n° 5 en ré majeur op. 70/1 « Les Esprits » (1807-1808) de Ludwig van Beethoven dont l’atmosphère lugubre du mouvement lent était chaudement éclairé de l’intérieur, tandis qu’un peu convainquant Trio n° 1 op. 7 (1922/1925) de Boris Lyatoshynsky (1895-1968), peu significatif bien que défendu avec conviction, aura permis de rendre hommage à la culture ukrainienne. La journée s’est terminée sur un concert de jazz de grande classe proposé par le brillant duo constitué de Thomas Enhco au piano et Stéphane Kerecki à la contrebasse.
La journée de dimanche a commencé par un concert de onze heures confié à un jeune jazzman, Noé Huchard fondant en un véritable melting-pot rythmes afro-américains et blues. Le récital de l’après-midi, intitulé « Piano impromptu », était confié au jeune et élégant pianiste de talent Ismaël Margain, artiste associé à la Fondation Singer Polignac, co-fondateur de la plateforme de streaming RecitHall, qui a publié un excellent CD Chopin/Fauré chez Naïve en février dernier. Subtilement organisé en binômes d’œuvres aux caractères contrastants ou concordants, le programme constant et onirique était introduit par trois pièces de Mozart, la Fantaisie KV. 475, le Rondo KV. 494 et l’Adagio KV. 540, et avait pour fil conducteur trois Impromptus de Chopin dont la Fantaisie - Impromptu op. 66 auxquels faisaient écho deux Impromptus de Gabriel Fauré (n° 2 et n¨6), l’Elégie op. 3/1 et le Prélude op. 3/2 de Serge Rachmaninov.
Le concert de clôture était donné dans la grande salle du théâtre Beauvaisis provisoire (le véritable théâtre, reconstruit et immédiatement détruit par les flammes peu avant son inauguration tardant à ouvrir), où pas un siège n’était libre. Il s’agissait en effet de l’unique concert avec orchestre du week-end, avec pour formation invitée l’Orchestre de Picardie dirigé par sa directrice musicale, la cheffe rhénane Johanna Malangré, également cheffe assistante de l’Orchestre contemporain du Festival de Lucerne et directrice musicale du Festival Hidalgo pour la jeune musique classique à Munich depuis 2019. Le soliste du concert était le directeur artistique de l’édition 2023 du Festival Pianoscope, Thomas Enhco, qui devant une salle comble et devant son père, et la fratrie Casadesus, son grand-père Jean-Claude Casadesus, son grand-oncle Dominique Probst et sa grand-tante Béatrice Casadesus. Au programme, une œuvre charmante et sans hardiesse du pianiste, Murmure des Oiseaux, en fait un vol d’étourneaux, pour violon et piano joué avec allant en duo avec Sarah Nemtanu, qui a précédé un fluide et aérien Concerto en sol de Maurice Ravel dont le finale jazzy a fort bien convenu au soliste à l’aise dans tous les styles. Cherchant ouvertement à retenir le temps, Thomas Enhco a donné un long bis consacré à un song de George Gershwin… Tant et si bien que je n’ai pu entendre la Symphonie n° 9 « La Grande » de Schubert…
Annoncée pour le deuxième week-end d’octobre 2024, la programmation de la
prochaine édition a été confiée à la pianiste Anne Queffélec.
Bruno Serrou
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