Jessye Norman (1945-2019). Photo : DR
La cantatrice américaine Jessye
Norman, l’une des grandes cantatrices du dernier demi-siècle est morte lundi 30
septembre à New York des suites d’une septicémie consécutive à une opération de
la colonne vertébrale quatre ans plus tôt. Elle avait 74 ans. Extraordinairement
populaire, voire adulée, elle a porté l’art lyrique jusque dans les milieux les
plus défavorisés, là où la musique n’avait pas droit de cité.
Véritable icône du chant, soprano
dramatique, Jessye Norman avait une voix phénoménale. Charnue, voluptueuse, d’un
ambitus extrêmement large, le timbre sombre et pulpeux, elle pouvait tout
chanter, de Purcell et Rameau à Wagner et Schönberg. Au-delà de sa voix, sa
présence, son expressivité exceptionnelle, son charisme faisaient de chacune de
ses apparitions un moment d’exception. Au point que les standing ovations de publics enthousiastes étaient légions.
Née le 15 septembre 1945 à
Augusta dans l’Etat de Géorgie, dans une famille très pieuse de militants pour
les droits des noirs de musiciens amateurs du Sud ségrégationniste des
Etats-Unis, Jessye Norman s’est très tôt initiée au chant dans les églises. Elle
découvre l’opéra à l’écoute des retransmissions radiodiffusées du Metropolitan
Opera où elle entend notamment Rosa Ponselle et surtout Marian Anderson,
première chanteuse noire à se produire sur la scène new-yorkaise.
Après ses études de musique à l’université
de Howard créée dans l’Etat de Washington pour accueillir des étudiants noirs
en pleine ségrégation et d’où elle sort diplômée en 1967, elle passe l’été au
conservatoire de Baltimore, puis achève un master à l’université du Michigan où
elle travaille avec le baryton français Pierre Barnac, ami de Francis Poulenc.
Elle se rend ensuite en Europe où elle remporte le Concours de l’ARD à Munich
en 1968. L’année suivante, elle est engagée au Deutsche Oper de Berlin. A 23
ans, elle y chante Elisabeth de Tannhäuser,
avant de se produire dans le monde entier. Dans Aïda de Verdi à la Scala de Milan, Hyppolyte et Aricie de Rameau au Festival d’Aix-en-Provence, Didon et Enée de Purcell à l’Opéra
Comique de Paris, Les Troyens de
Berlioz au Metropolitan Opera de New York, devenant rapidement une véritable
icône de l’art lyrique. Engagée par plusieurs théâtres allemands et italiens, elle
fait ses débuts à Florence en 1970 dans Deborah
de Haendel, puis dans l’Africaine de
Meyerbeer, et on peut l’entendre notamment à Rome dans Idomeneo, les Noces de Figaro à Berlin. En 1971, après une
audition, elle est la Comtesse de l’enregistrement des Noces de Figaro avec l’Orchestre
Symphonique de la BBC dirigé par Colin Davis. En 1972 elle est Aïda à Berlin,
au Hollywood Bowl et au Wolf Trap à Washington DC, et donne un récital Wagner
au Festival de Tanglewood avant de triompher dans le rôle de Cassandre dans Les Troyens à Covent Garden, puis elle
est invitée au Festival d’Edimbourg.
Elle décide alors d’interrompre sa
carrière à l’opéra pour se consacrer au concert, à l’élargissement de son
répertoire et au déploiement de sa tessiture. Elle retrouve la scène en 1980
dans Ariane à Naxos à Hambourg, et
elle enregistre à Dresde le rôle de Sieglinde dans La Walkyrie avec Marek Janowski. En 1983, elle fait ses débuts au
Metropolitan, où elle retrouve le personnage de Cassandre des Troyens. La même année, elle est Phèdre
dans Hyppolyte et Aricie à
Aix-en-Provence sous la direction de John Eliot Gardiner. En 1985, elle est Elsa
dans Lohengrin de Wagner dans l’enregistrement
de Sir Georg Solti.
Les succès s’accumulent, et les
ovations du public se font interminables. Elle triomphe dans les Quatre derniers lieder de Richard
Strauss, et dans la Mort d’Isolde de
Richard Wagner. Page qu’elle interprète en 1987 à Salzbourg sous la direction d’Herbert
von Karajan. En 1988, au Metropolitan
Opera elle est La Voix humaine de
Poulenc et Ariane à Naxos, en 1989 la
Femme dans Erwartung de Schönberg et le Château
de Barbe-Bleue de Bartok, en 1990 Sieglinde dans La Walkyrie, en 1991 Kundry dans Parsifal. En 1992, elle est Jocaste dans OEdipus rex de Stravinski avec Seiji Ozawa Judith dans le Château de Barbe-Bleue avec Laszlo Polgar et Pierre Boulez, en 1996 Emilia
Marty dans l’Affaire Makropoulos de
Janacek…
Parallèlement, elle poursuit sa
carrière de concertiste dans les répertoires allemand et français, de Beethoven
à Berg, de Berlioz à Poulenc, mais aussi le jazz et le negro-spiritual. Elle multiplie
par ailleurs les apparitions dans les cérémonies officielles, chantant lors des
investitures des présidents américains Ronald Reagan et Bill Clinton. En 1986,
elle chante à Londres pour les soixante ans de la reine Elizabeth II d’Angleterre.
Et s’il reste une image d’elle que le monde entier partage aujourd’hui, c’est
sa prestation lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution
française, le 14 juillet 1989, où elle chante la Marseillaise sur un
char parti de la place de la Concorde vers le haut des Champs-Elysées, drapée
dans un immense voile tricolore conçu par le styliste Azzedine Alaïa.
Parlant un français limpide, elle
était très appréciée du public parisien qui l’adulait. Elle a été l’invitée régulière
de l’Orchestre de Paris, du Festival d’Aix-en-Provence en 1983 et 1985, de l’Opéra
Comique en 1984, du Théâtre du Châtelet en 1983 et dans les années 2000.
Attachée aux causes humanitaires,
engagée contre la pauvreté et le racisme, Jessye Norman a fondé dans sa ville
natale d’Augusta la Jessye Norman School of Arts dont l’objet est le soutien des
jeunes artistes socialement défavorisés. Elle a publié ses mémoires en 2014
sous le titre Stand Up Straight and Sing ! où
elle raconte les femmes qui l’ont marquée et le racisme auquel elle a été
confrontée sa vie durant.
Bruno Serrou
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