Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet
« Je suis et je serai tout
le temps, immortellement et éternellement, un enfant » disait de lui-même Claude
Vivier, sans doute le compositeur canadien phare du XXe siècle. Né
à Montréal le 14 avril 1948 de parents inconnus, adopté à deux ans par le
couple Jeanne et Armand Vivier, le jeune Claude ne parlera pas avant l’âge de six ans. Son
enfance, qu’il décrira « d’un commerce très rude, musclé », et qui se
déroule dans un quartier ouvrier, violé à huit ans par un oncle, il sauve sa
vie par le rêve et le merveilleux. Il se destine dans un premier temps à la
prêtrise, jusqu’à ce qu’il découvre la musique au juvénat de
Saint-Vincent-de-Paul au cours d’une messe de minuit. Les thèmes religieux traverseront son œuvre,
emplie de rituels et d’une croyance éperdue en la pérennité de l’âme. Son
mysticisme se teintera rapidement d’une foi chrétienne mêlée de préceptes hindous,
d’un art tentant de faire « comme les dieux », de l’assimilation de la musique
à la prière, sous l’égide du choral et du psaume, jusqu’à la purification
mystérieuse et incantatoire. Mais, exclu du séminaire en raison de son
tempérament jugé trop sensible et nerveux, il entre en 1967 au Conservatoire de
Montréal, où, dit-il, au contact de son maître Gilles Tremblay, il naît une
seconde fois à la musique.
Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet
Henri Dutilleux me disait de lui,
lorsque je l’interviewais en 1995 : « Claude Vivier ? Il y a de
tout là-dedans, mais il y a aussi quelque chose. Il a terminé sa vie de façon dramatique, assassiné à Paris. Si je pense que sa musique est très inégale, je
trouve aussi que sa création bouillonne. Il y a une pièce pour voix de femme
uniquement, qui s’appelle “Chants”.
Elle est très caractéristique, comme d’autres pages pour piano. C’est vrai,
c’est inégal, mais c’est aussi un tempérament. Je suis intéressé par ce genre
de choses, parce que c’est très loin de moi. »
Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet
L’éternité de l’âme habitera
Claude Vivier jusqu’à son œuvre ultime, Crois-tu
en l’immortalité de l’âme ? (Glaubst
du an die Unterblichkeit der Seele?) dont la partition à peine achevée est
retrouvée sur sa table de travail le 8 mars 1983 tandis que son corps
ensanglanté git sur le seuil de la porte de son appartement parisien. Il avait
entrepris cette œuvre sous le coup d’une première agression le soir du 25
janvier précédent, en commençant par les mots « Il faisait nuit, et j’avais
peur », qui achève violemment une vie riche en épisodes glauques.
Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet
Kopernikus,
un rituel de mort, opéra de soixante-dix minutes pour sept chanteurs, sept
instrumentistes et bande a été composé en 1979 sur un livret du compositeur. Le
personnage central est Agni (mezzo-soprano), dieu-déesse du feu hindou. Il croise Lewis Carroll, Merlin l’Enchanteur, Mozart et la Reine de la nuit, Tristan et
Isolde, un moine, Copernic et sa mère. Le titre emprunte à l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543) en tant
que chercheur cosmique qui, en percevant le fonctionnement du système solaire, a
commencé à voir plus loin que la Terre. Dans cette « féerie mystique »,
Vivier dit qu’il ne s’y trouve pas à proprement parler d’histoire, mais une
suite de scènes qui font évoluer Agni vers la purification totale jusqu’à ce qu'il atteigne l’état de pur esprit ». La poétique de Kopernikus tient à
la fois de la vive sensibilité du compositeur, de son rapport à son enfance et
des différents niveaux d’articulation de ces éléments oniriques. L’œuvre est ainsi
une méditation plus ou moins distanciée sur divers états poétiques, culturels
et cultuels.
Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet
Cet opéra autobiographique a en effet le poids d’un
rituel sacré christiano-hindou autour de la vie et de la mort. Peter Sellars
donne à ce cérémonial une émouvante authenticité avec des mouvements simples et
d’une grande efficacité autour d’un personnage (le danseur chorégraphe Michael Schumacher) reposant mains croisées sur une
couche, entouré des chanteurs, tandis que les instrumentistes - à l’exception
du trompettiste positionné derrière le public - les dominent dans l’ombre sur
un praticable. Tous les protagonistes sont vêtus de blanc. Sur un écran de
télévision - l’étrange lucarne si chère au metteur en scène américain depuis Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen au Festival de Salzbourg -, le
beau visage froid d’une récitante. Sans direction autre que la mise en scène,
l’Ensemble vocal Roomful of Teeth, venu des Etats-Unis, est d’un engagement
total, à l’instar de l’Ensemble L’Instant Donné, qui joue avec une précision
d’orfèvre, notamment le violon plein de panache de Naaman Sluchin.
Bruno Serrou
Festival d’Automne à Paris. Rés. :
01.53.45.17.00. www.festival-automne.com.
Théâtre de La Ville-Espace Cardin jusqu’au 8 décembre. Théâtre du Capitole de Toulouse/Théâtre
Garonne 11-13 décembre. Rés. : 05.62.48.54.77. www.theatregaronne.com. Nouveau
Théâtre de Montreuil/Festival Mesure pour Mesure 17-19 décembre. Rés. :
01.48.70.48.90. www.nouveau-theatre-montreuil.com.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire