Lyon. Opéra National de Lyon. Samedi 20 janvier 2018
Alexandre Zeminsky (1871-1942), le Cercle de craie. Photo : 'c) Brunel/Opéra National de Lyon
Comme il l’a fait pour Une tragédie florentine, l’Opéra de Lyon révèle au public français un second opéra d’Alexandre
Zemlinsky, Le Cercle de craie
Maître d’Arnold Schönberg et
d’Alma Mahler, disciple de Johannes Brahms, protégé de Gustav Mahler, proche
d’Alban Berg et d’Anton Webern, compositeur, chef d’orchestre, directeur
d’institutions comme le Volksoper de Vienne, du Théâtre allemand de Prague puis
adjoint d’Otto Klemperer au Krolloper de Berlin, Alexandre Zemlinsky fut l’un
des musiciens les plus influents de son temps, jusqu’à ce que le nazisme le
contraigne à l’exil aux Etats-Unis, où il est mort dans la misère en 1942.
A l’instar de Richard Strauss et
de Franz Schreker, Zemlinsky est un grand lyrique. Comme eux, il restera à la
frange de la Seconde Ecole de Vienne, ne franchissant pas l’étape de
l’expressionnisme. Auteur de neuf opéras, le dernier étant resté inachevé (Circé) tandis que l’orchestration du
précédent est incomplète (le Roi Candaule
d’après Jean Genet). Pourtant, après son décès dans l’anonymat, il a fallu
attendre la toute fin des années 2000 pour qu’un premier ouvrage fasse son
apparition sur une scène française, Der
Zwerg (le Nain) à l’Opéra de
Paris en 1998, suivi de le Roi Candaule
à l’Opéra de Nancy en 2006 puis d’Une
tragédie florentine à l’Opéra de Lyon en 2007.
Le Cercle de craie est donc le quatrième ouvrage scénique de Zemlinsky
programmé en France, quatre vingt quatre ans après sa création à l’Opéra de
Zurich, cette dernière scène l’ayant accueilli après que l’Opéra de Berlin fut
contraint de le retirer de l’affiche sur ordre de Goebbels. Le livret, adapté
par le compositeur de la pièce éponyme allemande de Klabund dont Bertolt Brecht
tirera à son tour son Cercle de craie
caucasien, est le reflet de l’humanité et du pacifisme du compositeur. La
pièce s’inspire d’une autre pièce, cette fois chinoise, de l’ère Yuan, qui
reprend l’épisode biblique du Jugement de Salomon. Ici, l'opposition du bien (les
pauvres) et du mal (les riches) tient du conte de fées. Cette fusion de
l’utopie féerique, de la critique sociale et de l’intériorité des âmes est
magnifiée par la musique qui combine des colorations chinoises, le jazz (un
saxophone est mis en exergue dans les scènes de bordel, idée que reprendra Alban
Berg peu après dans Lulu, les
allusions à Igor Stravinski et à Richard Strauss, les dialogues parlés qui
s’enchaînent avec naturel avec le chant, les tensions paroxysmiques et charnelles
propres à Zemlinsky confinent le Cercle
de craie au rang de chef-d’œuvre.
D’autant que la distribution est
d’une grande cohésion. Autour de la rayonnante Ilse Eerens, Tchang-Haïtang, seconde
épouse du mandarin qui l’a sortie d’une maison close, bouleversante de
spontanéité et d’engagement, Martin Winkler est un Mandarin Ma en constante
évolution, passant de l’arrogance la plus insupportable à la bonté la plus
touchante, Lauri Vassar, frère d’Haïtang, est un révolutionnaire au grand
chœur. Nicola Beller Carbone est sans avoir besoin de surcharger le trait la
cruelle Yü-Pei, qui empoisonne son mari, porte de fausses accusations, corrompt
juge et témoins, entraîne son amant dans son crime, Stephan Rügamer est un Prince
puissant et généreux. La scénographie évolutive d’Anouk Dell’Alera permet de
changer à vue les scènes qui, ainsi que les costumes de Benjamin Moreau, situent
l’action dans les années 2000, tandis que Richard Brunel signe une direction
d’acteur d’une grande efficacité. Dans la fosse, Lothar Koenigs dirige avec
allant une partition qu’il apprécie de toute évidence.
Bruno Serrou
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