Paris, Philharmonie, lundi 14 septembre 2015
San Francisco Symphony Orchestra filant le Concerto n° 4 de Beethoven à la Philharmonie. Photo : (c) San Francisco Symphony
En mars 2014, ils avaient enchanté la Salle Pleyel avec
une Troisième Symphonie de Gustav
Mahler d’une force et d’une beauté sonore à couper le souffle (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/03/michael-tilson-thomas-et-le-san.html).
Un an et demi plus tard, le San Francisco Symphony Orchestra et Michael Tilson
Thomas, son directeur musical depuis tout juste vingt ans, se sont produits
hier pour la toute première fois à la Philharmonie de Paris, toujours avec
Mahler à leur programme. Avant le concert, la formation californienne ne cachait
pas son plaisir de se produire dans cette salle qu’elle découvrait, publiant
sur sa page Facebook deux heures avant le concert le message suivant « First
chance to check the new Philharmonie de Paris. In the words of Yves Montand, "C’est si bon" »
Davies Symphony Hall, la salle de concerts du San Francisco Symphony Orchestra. Photo : (c) Sans Francisco Symphony
C’est donc en toute hâte que je me suis rendu à la
Philharmonie, hier. Et je n’ai pas à le regretter. Le San Francisco Symphony
Orchestra est en effet bel et bien une machine extraordinairement huilée aux
sonorités moelleuses et charnues, une phalange d’une homogénéité et d’une
virtuosité sans limite qui lui permet une assurance phénoménale, répondant sans
faillir aux moindres intentions de son directeur musical, fort économe en
gestes mais toujours précis et élégant.
Yuja Wang (piano) jouant l'un de ses deux bis devant les musiciens du SFSO. Photo : (c) Bruno Serrou
Dans le Concerto n°
4 pour piano et orchestre en sol majeur op. 58 de Beethoven, qui a occupé
toute la première partie du concert, Michael Tilson Thomas a assuré seul la
dynamique et le lyrisme du discours de cette œuvre esquissée en 1804,
composée en 1806, l’année de la Sonate
« Appassionata », de la Quatrième
Symphonie et du Concerto pour violon
e orchestre en ré majeur, créée le 22 décembre 1808, le même soir que les Cinquième et Sixième Symphonies, cette partition est la plus novatrice de œuvres
concertantes de Beethoven. Elle inaugure en effet un genre qui ira s’épanouissant
avec Johannes Brahms entre autres, la symphonie avec instrument soliste obligé,
que Beethoven portera dans un premier accomplissement avec le concerto suivant.
C’est le piano qui ouvre l’œuvre, avec quatre accords qui sont immédiatement
repris par l’orchestre, les deux entités dialoguant et se fondant l’un à
l’autre avec une fluidité harmonique, rythmique et formelle exceptionnelle,
supérieurement mise en évidence par Michael Tilson Thomas, qui a porté à bout
de bras sa soliste, Yuja Wang. L’on a connu la pianiste chinoise plus inspirée,
dans Prokofiev (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/yuja-wang-fascinante-dans-prokofiev-et.html)
ou dans Chostakovitch (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/yuri-temirkanov-celebre-la-russie-avec.html)
ou encore dans Rachmaninov. A 27 ans, toujours frêle, menue et toute en muscles,
cette fois dans une longue robe blanche, le charme cette fois n’a pas opéré. En
effet, sa puissance de jeu sied moins à Beethoven, car elle n’a pas su
solliciter le riche nuancier beethovenien et ses sonorités linéaires n’ont pas
donné la pareille à l’onctuosité du SFSO. Même l’Andante con moto central, court mais dense et bouleversant, est
resté neutre, et c’est là encore, malgré ses brèves interventions, l’orchestre
qui a donné l’élan requis à ce passage qui devrait chanter tel une aria d’opéra. Pour le reste, Yuja Wang n’a
pas réussi à donner le change aux bois et cuivres solistes de l’orchestre en
répons. Pour conclure sa prestation en réponse aux ovations du public de toute
évidence ravi de ce qu’il venait d’entendre, Yuja Wang a offert deux bis qui
lui sont coutumiers, un pastiche du pastiche qu’est la Marche turque de la Sonate n°
11 pour piano de Mozart, et l’aria
d’Orfeo ed Euridice de Gluck par Giovanni
Sgambati (1841-1914).
Michael Tison Thomas et le San Francisco Symphony Orchestra. Photo : (c) San Francisco Symphony
Dix-huit mois après la
panthéiste et gigantesque Symphonie n° 3 de Gustav Mahler, le SFSO et Michael
Tilson Thomas ont offert la Symphonie n° 1 en ré majeur dite « Titan »
du même compositeur. Une œuvre qui, dans les années 1960, aurait valu un refus
des organisateurs de concert français à Herbert von Karajan et son Orchestre
Philharmonique de Berlin tant ils auraient craint une salle vide, mais qui, aujourd’hui,
est archi-rabâchée, au point de ne plus même créer l’événement. Du moins le
croyais-je avant de l’écouter hier. Mais dès le premier accord, Michael Tilson
Thomas a scotché l’auditeur sur son fauteuil, d’où il a eu le plus grand mal à
s’extraire à l’issue de cette inoubliable soirée. Cette œuvre d’une extrême
virtuosité a été supérieurement servie par le San Francisco Symphony Orchestra.
Il est de toute évidence à l’aise dans cette musique complexe à mettre en place
tant les structures sont alambiquées, faisant à la fois ressortir les lignes de
force, l’architecture, l’unité à travers la diversité, les plans apparaissant
évidents et limpides, tout en soulignant l’abondance de l’inspiration, à la
fois populaire, foraine, militaire, noble et grave, les brutalités, les saillies,
la nostalgie. Unité et altérité dans la conduite de l’œuvre, la rythmique,
le phrasé, les respirations étant extraordinairement en place, le chef américain
a en outre évité le pathos et les effets trop appuyés, tout en magnifiant une intense
expressivité, submergeant la salle entière dans un élan souvent bouleversant.
Michael Tilson Thomas. Photo : (c) San Francisco Symphony
Le SFSO répond avec empressement à son chef, qu'il suit avec une aisance stupéfiante jusqu’aux
limites de la virtuosité tout en gardant une cohésion exceptionnelle. Les cordes,
très fournies (seize premiers et seize seconds violons, treize altos, dix
violoncelles, neuf contrebasses) sont extraordinaires d’élasticité fruitée -
remarquables premier violon d’Alexander Barantchik, contrebasse solo de Scott
Pingel, qui a attaqué chaque note de l’introduction du troisième mouvement avec
une précision exemplaire et des sonorités de grande beauté, merveilleux tutti d’altos, cordes disposées selon la formule premiers violons,
violoncelles, altos, seconds violons et contrebasses dans le prolongement des
premiers et des violoncelles -, les bois sont incroyablement colorés et nuancés
(magnifique hautbois, mais aussi flûtes, bassons, clarinettes), une première
trompette (à pistons) vaillante de Mark Inouye, trombones, tuba et timbales au
diapason. Et que dire des huit cors, Robert Ward en tête, si ce n'est qu'ils sont d’une sûreté et de
couleurs aux riches et souples pigmentations, et d’un aplomb phénoménal - impressionnant alignement des huit cors sur la
largeur du plateau devant la percussion. Le plus stupéfiant est la
façon apparemment débonnaire avec laquelle les musiciens de la phalange
américaine jouent, sans effort, et obtiennent des résultats qui tiennent littéralement
du prodige, tout paraissant évident. Sonnant fier et onctueux, toujours
d’une singulière homogénéité, autant dans l’ensemble du groupe que côté
pupitres solistes, avec de remarquables individualités, le San Francisco
Symphony démontre s’il en était encore besoin après vingt ans de vie commune combien
l’entente avec Michael Tilson Thomas est totale. Le chef américain a en outre
pris la mesure des particularités sonores de la Philharmonie, jouant avec un
plaisir évident et communicatif des impressionnantes capacités de résonance des
murs de la salle, laissant le son se propager à travers l’espace jusqu’à ce qu’il
s’éteigne complètement, enveloppant l’auditeur comme en apesanteur… Une « Titan »
de Mahler à tomber à genoux !
Bruno Serrou
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