Strasbourg, Musica 2015, Théâtre de Hautepierre,
samedi 19 septembre 2015
Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Lionel Peintre (Giordano Bruno) et Guilhem Terrail (Clément VIII). Photo : (c) T&M+
« Finito ogni gesto pour flûte,
clarinette, cor, violon, violoncelle et percussion de l’Italien Francesco
Filidei est [l’œuvre] la plus théâtrale, avec gestes instrumentaux et grands
effets dramatiques, et un traitement particulier dicté aux interprètes
(corniste et flûtistes jouant aussi du tuyau, appeaux, crécelles pour tous,
ballons éclatés pour le percussionniste, etc.) » écrivais-je au soir d’un
concert en l’abbaye de Royaumont mi-septembre 2010 après avoir découvert ce
compositeur italien vivant en France. Deux ans plus tard, je lui consacrais une
page entière dans le quotidien La Croix (4 janvier 2012) lui prédisant le plus bel avenir de
créateur. Comme je le pressentais alors
(voir ce blog http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/01/portrait-de-francesco-filidei.html),
Francesco Filidei est bel et bien aujourd’hui l’un des compositeurs majeurs de
sa génération. Avec son premier opéra, Giordano
Bruno découvert voilà tout juste une semaine à Strasbourg dans le cadre du
Festival Musica, il atteste d’une inspiration, d’un lyrisme, d’un savoir-faire
impressionnant.
Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Lionel Peintre (Giordano Bruno) affronte les quatre éléments. Photo : (c) T&M+
Car, avec
Giordano Bruno de Francesco Filidei
(né en 1973), voilà enfin un opéra qui chante, se fait protéiforme, d’une magistrale
efficacité dramatique. Une œuvre qui ne lâche pas un instant le public. Nous
sommes ici incontestablement en présence d’un maître de l’opéra en devenir, un
futur Péter Eötvös ou Philippe Boesmans. Mais, contrairement au second, le
compositeur organiste italien vivant à Paris, ex-pensionnaire de la Villa
Médicis à Rome, évite le collage pur et simple d’éléments extérieurs à sa
propre inspiration, même s’il emprunte ici ouvertement à la musique Renaissance,
particulièrement au madrigal. Avec un orchestre de chambre riche en percussion
et en sonorités flottantes, un chœur de douze voix solistes et quatre chanteurs,
Filidei s’avère brillant coloriste, à l’instar d’un Monteverdi ou, plus encore,
d’un Gesualdo, pour mieux rappeler l’ancrage de son héros en son temps et en
souligner son intemporalité, tant la modernité de Giordano Bruno (1548-1600), éternel
contestataire-jouisseur-apostât en rébellion ouverte contre l’intolérance
religieuse, est prégnante.
Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Photo : (c) T&M+
« Une
musique comme la mienne ne peut naître que dans un contexte chrétien », me
disait Filidei en 2012. Et de fait, son Giordano Bruno se présente telle une passion. Opéra en deux parties et en douze
scènes fondées chacune sur une note pivot de la gamme chromatique (partant de fa # pour y retourner), l’acte unique de
quatre vingt quinze minutes composé sur un livret en italien de Stefano
Busellato se déroule en deux lieux distincts : Venise, où le dominicain
philosophe est dénoncé à l’Inquisition par son employeur, Giovanni Mocenigo, et
Rome, où se déroule un procès de huit ans jusqu’à la condamnation et le bûcher au
Campo de’ Fiori ou se trouve depuis 1889 la statue de bronze du moine hérétique
à deux pas du palais de la Chancellerie qui abrite les services juridiques et
administratifs du Vatican.
Francesco Filidei (né en 1973), Giordano Bruno. Lionel Peintre (Giordano Bruno). Photo : (c) T&M+
Dans Giordano Bruno, le chœur de douze voix
solistes représente le peuple qui soutient ou condamne le philosophe. Trois
autres rôles solistes font face à Bruno (baryton), deux inquisiteurs (ténor,
basse) et le pape Clément VIII (contre-ténor). Au sein de cette brillante
partition, trois scènes sont plus particulièrement saisissantes, la virulente
joute verbale entre Bruno et le second Inquisiteur où les mots sont lancés
comme des balles de ping-pong sur une volée vocale et instrumentale sur le mode
répétitif à l’impact saisissant ; le Carnaval, qui fait penser à la scène
du Veau d’Or du Moïse et Aron de
Schönberg ; le bûcher. Pour cette première française de Giordano Bruno dont la création a été
donnée le 12 septembre à Porto, le héros de la soirée a été Lionel Peintre. Remarquablement
entouré par Jeff Martin (premier inquisiteur), Ivan Ludlow (second inquisiteur)
et Guilhem Terrail (Clément VIII), à qui il faut associer les douze voix
solistes, le baryton français réalise une performance stupéfiante. Surplombée
par énorme un demi-globe, la mise en scène d’Antoine Gindt est mue par une
direction d’acteur qui instille à chacun des quinze personnages une consistance
dramatique prégnante. Derrière le désormais classique voile de tulle cher à
Gindt, dirigé avec un sens aigu du contraste et
de l’évocation par le chef allemand Peter Rundel, le Remix
Ensemble Casa da Musica de Porto est coloré et virtuose.
Bruno
Serrou
Giordano Bruno sera repris à Milan le 7 novembre, au Théâtre de Gennevilliers du 14 au 21 avril 2016 et au Théâtre de Caen le 26 avril 2016.
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