La Côte-Saint-André (Isère), Chapiteau de la Cour du Château Louis XI,
mercredi 26 août 2015
Nicolas Chaslin. Photo : DR
A défaut de Berlioz, la présence
de Nicholas Angelich, l’un des grands pianistes de la génération des années
1970, a attiré la foule des grands soirs, mercredi à la Côte-Saint-André. Néanmoins,
le sujet central du concert était Napoléon Bonaparte et les relations complexes
de Beethoven face à celui que le Titan de la musique entretenait avec son
contemporain, qu’il considéra d’abord comme un humaniste libérateur avant de le
vouer aux gémonies devant ses velléités de despote conquérant sanguinaire. Deux
œuvres du « Grand Sourd » entouraient le cinquième des concertos pour
piano de l’un de ses lointains disciples, Camille Saint-Saëns dont la partie
soliste était confiée à Angelich.
La Bataille de Vitoria, le 21 juin 1813. Tableau de Charles et Frederick Christian Lewis. Photo : DR
Après que le traditionnel tir de
canon eut retenti, signal pour les musiciens de prendre place sur le plateau du
chapiteau de la Cour du Château Louis XI, l’Orchestre des Pays de Savoie et
son directeur musical Nicolas Chalvin ont entonné la Victoire de Wellington ou la Bataille de Vitoria op. 91, œuvre mineure
de Beethoven, qui la qualifiait lui-même de « stupidité ». Le
compositeur, qui répond ainsi en octobre 1813 à une commande de Johann Nepomuk
Mälzel, l’inventeur du métronome, célèbre la victoire du duc de Wellington sur
les troupes napoléoniennes à Vitoria, en Espagne, le 21 juin 1813. Lors de la
création de l’œuvre le 8 décembre suivant, le même soir que la Septième Symphonie, Beethoven était au
pupitre du chef, tandis que ses confrères Salieri, Hummel et Meyerbeer se
trouvaient dans l’orchestre. L’accueil de Wellington
Sieg op. 91 fut triomphal. Comprenant deux parties, La bataille et La symphonie de
Victoire, chacune subdivisée en plusieurs sections (I - Introduction, La bataille, La charge.
II - Intrada, Les réjouissances, God save the
King, Finale fugué), cette œuvre site
deux thèmes populaires, Marlbrough s’en va-t’en
guerre pour symboliser la France et Rule
Britannia pour l’Angleterre, ainsi que et le God save the King. Cent quatre vingt treize coups de canon peuvent
être également entendus dans le cours de l’exécution de l’œuvre. Si Beethoven
préféra citer Marlbrough plutôt que la Marseillaise pour représenter les
troupes de Napoléon, c’est parce qu’il ne reconnaît plus la France des Droits
de l’Homme et des libertés dans l’Empire sanguinaire, belliqueux et
expansionniste de Napoléon Bonaparte qui s’est accaparé la Marseillaise comme
chant de bataille.
Napoléon franchissant le col du Grand Saint-Bernard en mai 1800. Tableau de Jacques Louis David. Photo : DR
Considérant les musiciens
complémentaires nécessaires à l’exécution de Wellington Sieg pour une formation
comme l’Orchestre des Pays de Savoie, Nicolas Chalvin n’a pas usé des fusils
et canons envisagés par Beethoven, mais a bel et bien fait appel aux quatre
cors, six trompettes, trois trombones, trois percussionnistes et à un
contingent plus large de cordes, ici neuf premiers violons, sept seconds, cinq
altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses, effectif d’archets qu’il gardera
tout au long de la soirée. Le chef français et ses musiciens ont fait tout leur
possible pour donner de ces pages peu convaincantes une certaine consistance, l’attention
de l’auditeur étant soutenue en outre par la rareté de ces pages au concert.
Nicolas Chalvin et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou
Grandiose en revanche est la
sublime Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 55
« Eroica » du même Beethoven. Chacun de nous connaît la genèse de cette
œuvre à la fois rigoureusement construite et d’une grande profondeur
émotionnelle qui ouvre non seulement la période médiane de son auteur mais
aussi sans doute romantisme musical, ainsi que l’histoire de la dédicace
originellement destinée à Napoléon Bonaparte en qui il voyait l’incarnation des
idéaux démocratiques et antimonarchiques de Liberté, Egalité, Fraternité de la
Révolution française. Mais entre le début de la conception de l’œuvre au
début de l’année 1802 et sa finalisation à la fin du printemps 1804, le
Premier-Consul de France s’était lui-même couronné Empereur le 14 mai 1804, ce
qui suscita la fureur du compositeur qui biffa avec rage sa dédicace, pour la
dédier finalement à son mécène, le prince Franz Maximilian Lobkowitz, tandis que
la première édition de la partition en 1806 portera la mention « à la
mémoire d’un grand homme ». Lorsque
Beethoven apprit la mort de Napoléon survenue le 5 mai 1821, il déclara : « J’ai
écrit la musique de ce triste événement voilà dix-sept ans », se référant
à la Marche funèbre du deuxième mouvement Adagio
assai. Avec un effectif de quarante-quatre musiciens jouant comparable à
celui dont disposait Beethoven à la création de cette œuvre à Vienne au Theater
an der Wien le 7 avril 1805 (bois par deux, trois cors, deux trompettes à
palettes, timbales, neuf premiers et sept seconds violons, cinq altos et
violoncelles, quatre contrebasses) jouant sur instruments modernes, Nicolas
Chalvin a donné une interprétation fébrile,
chaleureuse, d’une force mâle, mais jamais lourde ni relâchée, pour se conclure
dans la lumière et l’allégresse, laissant une heureuse sensation
d’accomplissement. La Marche funèbre
pouvait sembler manquer de tragique et de gravité, mais le chef français a
judicieusement opté pour une conception plus mélancolique que douloureuse et mordante.
Les pupitres solistes de l’Orchestre des Pays de Savoie (particulièrement le
troisième cor et les bois) s’en sont donné à cœur joie, brillant de tous leurs
feux, répondant aux moindres sollicitations de leur directeur musical, qui a
tiré le maximum de sa formation devenue l’espace de cette belle soirée de fin d’août
l’un des grands orchestres de formation Mannheim. Seul regret dans cette
interprétation brûlante d’une unité et d’un élan éblouissant, un manque d’effectifs
du côté des cordes graves, que l’on aurait aimé plus grondantes.
Nicolas Chalvin et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou
Entre les deux œuvres de Beethoven, l’Orchestre de
Chambre de Savoie a serti un tissu à la fois moelleux et aérien au piano de
Nicholas Angelich dans le Concerto pour
piano et orchestre n° 5 en fa majeur op. 103 dit « l’Egyptien » de Camille Saint-Saëns, non pas parce qu'il s'agit de célébrer ici le séjour de Bonaparte en Egypte mais parce qu'il a été composé à
Louxor en 1896 avant que le compositeur en donne lui-même la création le 2 juin de la même
année. Il s’agit de l’un des concertos les plus populaires du répertoire.
De ses mains de bûcheron virevoltant avec une légèreté et une grâce inouïe sur le clavier. Le pianiste américain Nicholas, geste majestueux et jeu étincelant, a suscité un son plein et charnel, une noblesse de ton et une puissance impressionnante transcendées par un nuancier fabuleux, du pianississimo le plus évanescent au fortissimo le plus vigoureux, le tout sans le moindre effort apparent. Toucher aérien exaltant des sonorités de braise, extraordinairement concentré et d’une aisance impressionnante une fois assis devant son Steinway, défait de sa timidité maladive, Angelich a brossé un concerto de Saint-Saëns onirique, dense et profond, donnant l’impulsion de son autorité naturelle à l’ensemble de l’architectonique de l’œuvre, imposant les tempi du mouvement lent, Nicolas Chalvin s’effaçant devant l’assurance de son partenaire qu’il n’a jamais couvert tout en tendant à faire de cette œuvre une symphonie concertante proche de l’esprit de Brahms, malgré les effectifs limités de l’Orchestre des Pays de Savoie.
Nicholas Angelich n'a pas hésité à offrir de pages de Chopin en bis, aà la grande satisfaction du public, ébahi par la performance du pianiste américain vivant en France.
Nicholas Angelich, Nicolas Chalvin et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou
De ses mains de bûcheron virevoltant avec une légèreté et une grâce inouïe sur le clavier. Le pianiste américain Nicholas, geste majestueux et jeu étincelant, a suscité un son plein et charnel, une noblesse de ton et une puissance impressionnante transcendées par un nuancier fabuleux, du pianississimo le plus évanescent au fortissimo le plus vigoureux, le tout sans le moindre effort apparent. Toucher aérien exaltant des sonorités de braise, extraordinairement concentré et d’une aisance impressionnante une fois assis devant son Steinway, défait de sa timidité maladive, Angelich a brossé un concerto de Saint-Saëns onirique, dense et profond, donnant l’impulsion de son autorité naturelle à l’ensemble de l’architectonique de l’œuvre, imposant les tempi du mouvement lent, Nicolas Chalvin s’effaçant devant l’assurance de son partenaire qu’il n’a jamais couvert tout en tendant à faire de cette œuvre une symphonie concertante proche de l’esprit de Brahms, malgré les effectifs limités de l’Orchestre des Pays de Savoie.
Nicholas Angelich et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou
Nicholas Angelich n'a pas hésité à offrir de pages de Chopin en bis, aà la grande satisfaction du public, ébahi par la performance du pianiste américain vivant en France.
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Deux concerts ce jeudi 27 août, le premier en l’église
Saint-André à 17h, avec l’altiste Pierre Lenert et la pianiste Ariane Jacob, le
second au Château Louis XI, à 21h, pour une création de A. Filetta, Nabulio, par l’Orchestre
Poitou-Charentes dirigé par Jean-François Heisser avec le comédien Didier
Sandre en récitant.
Bruno Serrou
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