La Côte-Saint-André (Isère), Chapiteau de la Cour du Château Louis XI,
mardi 25 août 2015
Napoléon Ier et son armée durant la retraire de Russie, en 1812. Photo : DR
Plus couru que celui de la veille,
le concert de ce mardi était focalisé sur la seule figure de Napoléon
Bonaparte, réduisant Hector Berlioz au rang d’auditeur. Après le coup de canon
désormais traditionnel cette année, l’Orchestre National de Lyon, qui est comme
chez lui à La Côte-Saint-André où il se produit tous les ans dans le cadre du
Festival Berlioz, a choisi pour thématique avec Bruno Messina les exploits et
surtout les défaites du premier des deux empereurs français vus de l’étranger, exclusivement
par des compositeurs d’Europe orientale, mis en résonance avec une œuvre française
du temps de Napoléon Ier, qui ne l’aimait guère, à cause d'une histoire de femme, bien qu’il l’engageât
à la tête de son orchestre privé…
Fabien Gabel et l''Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Empereur raillé
La première œuvre du programme
était aussi la plus intéressante. Il s’est agi de la Suite symphonique « Háry
János »
du Hongrois Zoltán Kodály (1882-1967). La fable lyrique
en quatre acte pour dix-huit personnages (dont onze rôles parlés) et chœur dont
elle est tirée, composée en 1925-1926 sur un livret de Béla Paulini (1881-1945)
et Zsolt Harsányi (1887-1943) en langue magyare d’après l’épopée comique
le Vétéran (Az Obsitos) de János Garay (1812-1853), adopte la forme du singspiel
allemand sur le modèle de l’Enlèvement au
sérail ou de la Flûte enchantée
de Mozart mais en beaucoup plus bavard, les chansons d’essence populaire pour
la plupart alternant avec de très nombreux et longs dialogues parlés. L’histoire
est celle du vétéran Háry János, ex-hussard de l’armée
autrichienne qui raconte dans une taverne de village ses aventures et exploits
durant les guerres napoléoniennes. Il prétend entre autres
qu'il a conquis le cœur de Marie-Louise d’Autriche, l’épouse de Napoléon. Il aurait ensuite défait à lui seul l’armée de son rival. Il dit avoir
néanmoins renoncé à toutes ses richesses pour rentrer dans son village avec sa
fiancée. La suite d’orchestre que Kodály a tirée des vingt-deux
numéros musicaux de son opéra est des œuvres les plus populaires de la musique
hongroise. A l’instar de l’opéra, cette partition en six mouvements (I - Prélude.
Le conte de fée commence [n° 1 et 2 de l’opéra]. II - L’Horloge musicale
viennoise [n° 9 de l’opéra]. III - Chanson. IV - Bataille et défaite de
Napoléon [n° 13 de l’opéra]. V - Intermezzo [n° 7 de l’opéra]. VI - Entrée de l’Empereur
et de sa Cour [n° 18 de l’opéra]) s’ouvre sur un éternuement, ce qui, selon le
compositeur, est conforme à la tradition hongroise qui veut que « si une
affirmation est suivie de l’éternuement de l’un des auditeurs, elle est considérée
comme avérée ». L’orchestre convoqué par Kodály est fourni (bois par
trois plus saxophone, quatre cors, quatre trompettes, deux cornets à pistons,
trois trombones, tuba, cymbalum, célesta, piano, percussions, timbales, seize
premiers violons, quatorze seconds, douze altos, dix violoncelles et huit
contrebasses), mais il reste constamment transparent, fluide, grondant et
richement coloré, l’expression festive et ludique, la richesse de timbres titillant
continuellement l’oreille, l’Orchestre National de Lyon s’avérant rutilant et précis
sous la direction discrète mais efficace du chef français Fabien Gabel, disciple
de David Zinman et de Kurt Masur, et actuel directeur musical de l’Orchestre
Symphonique de Québec.
Giusepina Grassini (1773-1850) dans le rôle-titre de Zaïra de Peter von Winter en 1805. Tableau de Louise-Elisabeth Vigée-Le-Brun. Photo : DR
Cette Suite de Kodály
a résonné opportunément pour l’Orchestre National de Lyon sous le chapiteau du
Château Louis XI, remplie à ras bord, car la phalange symphonique était réduite
au service minimum dans l’œuvre suivante, le septième de ses treize Concertos pour violon et orchestre de
Pierre Rode (1774-1830). Bruno Messina, le directeur du Festival Berlioz qui
souhaitait inscrire une œuvre française du temps de Napoléon dans ce programme
évoquant a posteriori les défaites de l’Empereur des Français, a sollicité Tedi
Papavrami, qui, à sa grande surprise, connaissait l’existence de ce Bordelais
qui fut l’élève favori de Giovanni Battista Viotti (1755-1824) et de ses œuvres
exclusivement dédiées au violon.
Tedi Papavrami (violon), Fabien Gabel et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou
Le violoniste franco-albanais avait en effet travaillé
ces œuvres lorsqu’il était élève au Conservatoire de Tirana, sans néanmoins avoir
eu l’opportunité de les jouer en concert. C’est donc avec plaisir que Tedi Papavrami
a relevé le défi lancé par Bruno Messina, pour donner du concerto retenu une
interprétation de tout premier plan à une œuvre bien faite mais sans grand
attrait ni personnalité affirmée, l’interprète exaltant des sonorités de braise
en toute simplicité et avec une tenue d’archet et d’instrument incroyablement souple
et naturelle. Tedi Papavrami est indubitablement l’un des grands violonistes de
notre temps, et l’un des rares à savoir préserver un jeu brillant et aérien sans
fioriture ni ostentation. Il faut son prodigieux talent pour susciter l’intérêt
dans l’écoute de cette œuvre certes virtuose mais dont la musicalité n’existe
que par celle de son soliste, l’orchestre peu coloré (flûte, deux hautbois,
deux bassons, deux cors, cordes [12-10-8-6-4], le timbalier n’intervenant que
fort occasionnellement) étant réduit au rôle de tapis de sons.
Tedi Papavrami (violon) et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou
Le seul intérêt
historique quoiqu’anecdotique de cette partition est la légende qui veut que
son auteur ait profité de sa situation de violon solo de la musique du
Premier-Consul Bonaparte pour « piquer » la maîtresse de ce dernier,
la cantatrice Giusepina Grassini - épisode qu’Abel Gance a intégré à son film Napoléon - avec qui il finit par fuir le
courroux du Premier-Consul cocu à Saint-Pétersbourg… En bis, Tedi Papavrami a
donné le deuxième des vingt-quatre Caprices
op. 1 de Niccolò Paganini (1782-1840),
celui en si mineur marqué Moderato qui sollicite les doubles
cordes et adopte la forme question-réponse.
Fabien Gabel et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou
Moscou, octobre 1812
La seconde partie du concert
était consacrée à l’année 1812 et la débâcle de Napoléon en Russie. A l’issue
de l’entracte, l’Orchestre National de Lyon au complet a donné une suite
symphonique réalisée par le compositeur-arrangeur-biographe états-unien Christopher
Palmer (1946-1995) de l’opéra Guerre et
Paix op. 91 en deux parties et treize scènes d’une durée totale de plus de
quatre heures qui occupa onze années (1941-1952) de la vie de Serge Prokofiev
(1891-1953), qui en tira le livret avec sa femme Mira Mendelssohn du roman
éponyme de Léon Tolstoï (1828-1910). Dans cet opéra, qui requiert la
participation de soixante-six chanteurs solistes et d’une énorme masse chorale,
Prokofiev a cherché à établir les rapports entre la Seconde Guerre mondiale et
la résistance russe contre l’envahisseur étranger, que ce soient les armées
nazies ou celles de Napoléon. Les passages du roman retenus par le compositeur
avec le concours de sa femme ont été réalisés avec la certitude que les auditeurs
potentiel de l’ouvrage connaissent parfaitement le roman qui l’a inspiré, et qu’à
partir des fragments retenus ils seraient capables de reconstituer la totalité
du drame en se souvenant des événements à peine efflorés dans l’opéra. Les
épisodes s’enchaînent sans former une trame rigoureuse mais les tableaux sont
élaborés selon la technique du montage cinématographique, tandis que les
conflits personnels sont toujours en relation avec les conflits politiques. La
suite que Palmer a tirée de l’opéra de Prokofiev est en trois partie : Le bal (Fanfare, Polonaise, Valse, Mazurka), Intermezzo (Nuit de mai) et Finale (Tempête de neige,
Bataille, Victoire). Très rarement programmée en France - une seule production
de l’opéra, celle de l’Opéra de Paris mise en scène par Francesca Zambello
créée en 2000 et reprise en 2005 et 2010 -, dans sa forme originale comme dans
forme de suite, la sélection opérée par Palmer ne donne pas la mesure de l’œuvre
de Prokofiev, qui est plus diverse et contrastée que ce que donne à entendre la
suite, qui s’avère trop tonitruante et monochrome. Surtout en regard de l’œuvre
qui l’a suivie, l’Ouverture solennelle 1812
que Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) composa entre septembre et novembre
1880 pour commémorer la victoire russe face aux armées de Napoléon.
L'Orchestre National de Lyon et l'Ensemble à Vent de l'Isère côté cour. Photo : (c) Bruno Serrou
Tchaïkovski commence son
ouverture avec le chant militaire russe Dieu,
sauve ton peuple exposé d’entrée par quatre des dix violoncelles et deux
des douze altos qui annonce l’entrée en guerre de la Russie contre la France. Suit
le thème des armées en marche énoncé par les quatre cors, puis la victoire
française à la bataille de la Moskova et la prise de Moscou évoquées par la Marseillaise dont les expositions se
terminent chaque fois sur des glissandi
prémisses de la défaite française confortés
par l’exposition de chants populaires russes avertissant des revers à
venir de Napoléon. A commencer par la retraite de ce dernier de Moscou en
octobre 1812 représentée par un diminuendo,
avant que surviennent les quatre premiers coups de canon figurant l’avancée
russe à travers les lignes françaises, avant que sonneries de cloches et onze
salves de canon célèbrent la victoire des Russes sur les Français, tandis que l’hymne
impérial russe Dieu sauve le tsar -
pendant l’ère soviétique, ce dernier était remplacé par le chœur final de l’opéra
de Glinka Une vie pour le tsar - engloutit
peu à peu la Marseillaise. Cette page,
qui a naturellement suscité l’enthousiasme du nombreux public qui l’a écouté
hier, a permis aux cordes graves de l’Orchestre National de Lyon de se
distinguer par la qualité de leur palette de couleurs et par leur homogénéité, mais
aussi les cuivres rutilants et les bois dans leur ensemble, avant d’être
rejoints au pied du plateau des deux côtés de la salle, par une quarantaine de
cuivres du jeune Ensemble à Vent de l’Isère entendus le premier jour du festival
qui se sont remarquablement fondus aux sonorités étincelantes de leurs aînés de
l’Orchestre National de Lyon dirigé avec souplesse et à force gestes amples et
fluides par Fabien Gabel.
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Ce mercredi soir, à 21h, sous le
chapiteau du Château Louis XI, l’Orchestre des Pays de Savoie dirigé par
Nicolas Chalvin, son directeur musical, accompagne Nicholas Angelich dans le Cinquième Concerto pour piano et orchestre « l’Egyptien »
de Saint-Saëns, entre la Victoire de
Wellington ou la Bataille de Vitoria et la Symphonie « Eroica », deux partitions de Beethoven.
Bruno Serrou
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