Genève
(Suisse), Grand-Théâtre, mercredi 23 avril 2014
Treize mois après Das Rheingold (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/avec-un-das-rheingold-onirique-ingo.html),
cinq mois après Die Walküre (voir
http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/11/ingo-metzmacher-et-dieter-dorn-donnent.html)
et trois mois après Siegfried (http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/02/ingo-metzmacher-et-dieter-dorn.html)
le Grand-Théâtre de Genève présente la dernière journée du Ring de Richard Wagner, Der
Götterdämmerung, concluant ainsi la nouvelle production d’Ingo Metzmacher
et Dieter Dorn. A l’instar des trois premiers volets, mais cette fois
conformément à la structure-même de l’ouvrage en un prologue et trois actes,
cette troisième journée débute avant que l’action ait commencé, les Nornes
dévidant le fil de la destinée tout en évoquant les origines de l’épopée dont
la conclusion va se dérouler sous les yeux du public dans sa continuité. L’on
retrouve dans ce prologue le désert des troisièmes actes de Die Walküre et de Siegfried au centre duquel est planté le rocher de Brünnhilde.
Evitant la
grandiloquence mais dirigeant sans traîner propulsé par une énergie
conquérante, un orchestre chambriste et fluide, des
textures transparentes et des tempi toujours
allants, voire franchement rapides Ingo Metzmacher donne à la partition
une dynamique générale alerte et brûlante. Ce qui a pour corolaire la mise à nu
de défaillances des pupitres des vents de l’Orchestre de la Suisse romande, toujours
plus brillants néanmoins au fur et à mesure des volets du Ring, plus particulièrement les cuivres. Allégeant les textures de
son orchestre, le chef allemand permet aux chanteurs de s’exprimer sans forcer,
malgré des tempi constamment allants, voire un peu trop alertes. L'Orchestre genevois, qui joue avec un plaisir évident, fait
ainsi un quasi sans faute. Dommage que les dimensions de la fosse limitent le
nombre de cordes. L’OSR répond aux moindres
sollicitations de Metzmacher, dont le sens
de la narration et des contrastes qui sont d’un très grand wagnérien donne à l’œuvre sa dimension épique, ne ménageant ni les
tensions ni le lyrisme, tout en jouant avec art des textures chambristes,
donnant ainsi à l’orchestration de Wagner transparence et fluidité.
Sans renouveler le propos ni la portée
multidimentionnelle du Ring, la mise
en scène de Dieter Dorn a le mérite d’être claire et de s’avérer d’une réelle
efficacité théâtrale et humaine. Tournant résolument le dos à toute tentation
de relecture du livret, aux interrogations mythologique, politique, philosophique,
psychanalytique au deuxième ou troisième degrés, voire au-delà, la conception scénique se refuse à toute interprétation pour se
focaliser sur la narration littérale et continue de l'histoire. Sans renouveler le propos ni la portée
du Ring, la production de Dieter Dorn
a le mérite d’être claire et de s’avérer d’une réelle efficacité théâtrale et
humaine. Les grands moments ne manquent pas, mais les plus intenses sont les
face à face entre deux ou trois protagonistes. Ainsi, lorsque Siegfried et
Brünnhilde émergent de leur nuit sur le rocher, emmitouflée dans un drap, les
épaules nues, le cheveu hirsute, Brünnhilde est contemplée par Siegfried comme s’il
ne croyait pas à ce qu’il venait de vivre. Le visage de Petra Lang rayonne d’un
amour qui semble authentique, tout comme son dépit lorsqu’elle découvre la
trahison de Siegfried et sa haine au moment où elle révèle à Hagen le point
faible qui condamne son époux à mort. A la vue de ce dernier accoutré tel
Gunther au premier acte, on comprend que Brünnhilde soit tétanisée et se laisse
abuser par le subterfuge de Siegfried venu la conquérir au nom du Gibichungen,
ce qui donne à ce moment un tour plus réaliste que de coutume. La scène de
Siegfried avec les Filles du Rhin au troisième acte est aussi un grand moment
de théâtre, tandis que le finale, après que le bucher eut disparu, se déroule
sur un plateau nu sur lequel tombent des cintres les corps des dieux. Les Nornes
réapparaissent de temps à autres, hantant le plateau après leur propre scène du
prologue, prêtes à précipiter la mort de Wotan en mettant le feu au Walhalla avec
leurs torches ainsi qu’au bûcher de Siegfried et de Brünnhilde.
L’action se déroule dans des décors de
Jurgen Rose constitués de deux éléments fondamentaux, le rocher avec un énorme
tronc d’arbre côté cour, et une grande boîte blanche rectangulaire dotée de
portes et d’un fond mobile symbolisant la salle d’apparat des Gibichungen. A
jardin, d’énormes têtes creuses formant totems évoquent Wotan et les dieux du
Walhalla devant lesquels apparaît Erda attendant leur fin. Le premier de ces masques géants est celui de Wotan, dont
le bandeau qui recouvre l’œil perdu renvoie à la mèche d’Hitler à qui s’en
prend Brünnhilde avant son sacrifice. Au fond du plateau, réapparaît de temps en temps le
rideau rouge vu dans les deux précédentes journées qui scintille telles les
flammes protégeant le rocher de Brünnhilde, tandis que des voiles noirs mus au
sol par de sombres silhouettes représentent le fleuve sur lequel navigue
Siegfried et nagent les Filles du Rhin. Lors des changements de décors, un
rideau noir descend réduisant l’action à un espace délimité par un quadrilatère
de lumière rouge, ce qui permet de jouir pleinement dans les textures souples et
moelleuses de l’orchestre wagnérien mais ralentit l’action, notamment le Voyage
de Siegfried sur le Rhin durant lequel seule Brünnhilde est présente, cantonnée
à l’avant-scène et contemplant l’anneau que Siegfried lui a offert, tandis que
l’orchestre évoque le héros navigant sur le fleuve.
La distribution sert avec bonheur la
conception du chef et du metteur en scène. S’ils ne sont pas encore tous des
familiers de leurs rôles, ce qui donne à leur interprétation une fraîcheur
palpable, les chanteurs sont totalement investis par leurs personnages, et se
donnent du coup sans compter, aidés il est vrai par le soutien attentif et
vigilent de Metzmacher. Loin d’être un heldentenor, mais prometteur
quant à son potentiel vocal et dramatique, John Daszak montre que le rôle de Siegfried peut
être chanté d’une voix claire, lyrique et nuancée. Doté d’une bonne diction et d’une
endurance vocale évidente, le ténor britannique a su saisir les incertitudes
qui assaillent Siegfried du début à la fin de l’œuvre. Depuis sa première
Brünnhilde scénique, à l’Opéra de Paris en 2013, Petra Lang a approfondi sa
conception du rôle. La voix s’avère plus égale, son
aigu est flamboyant, quoique parfois strident, le grave est opulent, mais le
médium est désuni. En revanche, sa présence scénique est d’une intensité
exceptionnelle. Elle chante la poignante scène d’immolation avec une émotion
hallucinante qui emporte le public dans un moment cathartique.
Edith Haller est une remarquable Gutrune,
tant vocalement que dramatiquement et physiquement, comme le Gunther superbement joué et
chanté de Johannes Martin Kränzle. Le Hagen de Jeremy Milner est un peu lisse, la
voix n’ayant pas encore l’autorité et la noirceur requise par ce personnage amoral.
En fait, Milner aurait mieux convenu en Alberich, alors que John Lundgren, Alberich solide et autoritaire, a tous les atouts d’un Hagen, mais la
plastique avérée des voix de ces deux chanteurs et l’alliage de leurs timbres,
se sont exprimés pleinement dans leur (trop courte) confrontation au début du
deuxième acte. Si l’on peut entendre Nornes plus convaincantes (Eva Vogel, Diana
Axentii et Julienne Walker), il est en revanche difficile de trouver trio de
Filles du Rhin plus homogène (Polina Pasztircsák , Stephanie Lauricella et
Laura Nykänen). La brûlant Waltraute de Michelle Breedt complète cette affiche d’une
grande cohésion à laquelle il convient d’associer le vigoureux chœur du Grand
Théâtre de Genève qui a vaillamment répondu aux appels de Hagen.
Deux cycles complets du Ring sont donnés ce mois de mai 2014
dans leur continuité, le premier les 13, 14, 16 et 18 mai, le second les 20,
21, 23 et 25 mai (http://www.geneveopera.ch/production_88).
Bruno Serrou
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