Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 24
avril 2014
Dabiele Gatti et l'Orchestre National de France. Photo : (c) Radio France
Programme
passionnant que celui offert hier par l’Orchestre National de France dans le
cadre des commémorations du quatre-vingtième anniversaire de sa fondation, en
1934, sous l’impulsion du ministre des Postes Jean Mistler. D. E. Inghelbrecht
en sera le premier chef titulaire…
Daniele Gatti. Photo : DR
Après
une ouverture les Créatures de Prométhée
op. 43 de Beethoven prenant le tour d’une mise en bouche autant pour les
instrumentistes que pour le public, comme l’on confirmé quelques décalages, permettant
d’adapter ses capacités de jeu et d’écoute à la salle du Théâtre des
Champs-Elysées que l’Orchestre National de France s’apprête à quitter pour s’installer
en décembre dans la nouvelle salle de Radio France à la jauge comparable, Gatti
a dirigé avec allant Métaboles d’Henri
Dutilleux. Le chef italien et son orchestre français ont ainsi rendu un ardent hommage
à la mémoire du compositeur disparu voilà bientôt un an, le 22 mai 2013 à l’âge
de 97 ans (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/05/le-grand-compositeur-francais-henri.html).
Plutôt que vers l’une des cinq œuvres qu’il a créées entre 1951 et 2004, l’ONF
a porté son choix sur une partition conçue sur l’initiative de l’une des grandes
phalanges nord-américaines.
Henri Dutilleux (1916-2013). Photo : (c) Radio France
En effet, composées en 1964, les cinq pièces de Métaboles qui s’imbriquent les unes dans
les autres pour constituer cette œuvre pour grand orchestre avec bois et
cuivres par quatre, sont le fruit d’une commande de George Szell pour le
cinquantième anniversaire de l’Orchestre de Cleveland, qui en a donné la création
le 14 janvier 1965. La partition est conçue à la façon d’un concerto pour
orchestre, chacune des parties, dont la formule initiale subit une succession
de métamorphoses, privilégiant une famille spécifique d’instruments, bois,
cordes, percussion, cuivres, avant d’être tous réunis dans le finale.
L’interprétation qu’en ont donnée Gatti et le National a manqué de souplesse mais
sans défaillance instrumentale significative dans les nombreux soli, tandis que les textures de l’orchestre
se sont avérées fluides.
Igor Stravinsky, son fils et Jean Cocteau dans les fauteuils du Théâtre des Champs-Elysées, le 19 mai 1952, lors de l'exécution d'Oedipus Rex avec l'Orchestre National sous la direction du compositeur. Photo : (c) Radio France
Mais le moment attendu de la soirée était l’Œdipus Rex d’Igor Stravinski. Opéra-oratorio
en deux actes pour récitant, solistes, chœur d’hommes et orchestre (trois flûtes, deux hautbois, cor anglais, trois clarinettes, deux bassons, contrebasson, quatre cors, quatre trompettes, trois trombones, tuba, timbales, tambourin, tambour militaire, grosse
caisse, cymbales, piano, harpe et cordes) composé sur un texte en français de
Jean Cocteau traduit en latin par l’abbé Jean Daniélou futur cardinal d’après la
tragédie de Sophocle, créé sous forme d’oratorio au Théâtre Sarah-Bernhardt
(aujourd’hui Théâtre de la Ville) à Paris le 30 mai 1927 puis sous forme d’opéra
à l’Opéra d’Etat de Vienne le 23 février 1928, Œdipus Rex résulte de la volonté du compositeur exilé de créer
une œuvre de caractère monumental « traduisant inversement du langage
profane au langage sacré ». Stravinski précise : « Sacré peut
signifier ici seulement plus ancien, comme on pourrait dire que le langage de
la Bible du Roi Jacques est plus sacré que celui de la Nouvelle Bible Anglaise,
et ceci uniquement par son caractère plus ancien. Mais je pensais qu’une langue
plus archaïque, même si le souvenir nous en est imparfait, doit contenir un
élément incantatoire que l’on pourrait exploiter en musique. » De la pièce
de Sophocle, Stravinski et Cocteau ont fait une « nature morte » qui
en forme la quintessence pour mieux en souligner l’essence dramatique et la
dimension universelle. « L’action » présente une synthèse des
malheurs d’Œdipe, roi de Thèbes, que l’oracle désigne comme seul responsable de
la peste qui décime ses sujets en tant qu’auteur de parricide et d’inceste, à
la suite de quoi, son épouse-mère, Jocaste, ce qui incite Œdipe à se crever les
yeux… Partition de la période néo-classique de Stravinski, Œdipe Roi est une œuvre
puissamment originale, un monolithe altier à la fois distant et
extraordinairement expressif, comme toute la musique du compositeur, quels que
soient les styles, le langage et les référents dont il se réclame, puisque l’on
y décèle autant d’évocations de l’époque baroque et classique que de musique
populaire de l’époque de la genèse de l’opéra-oratorio.
La direction rutilante, voire parfois tellurique, de
Daniele Gatti a exalté l’œuvre de Stravinski au-delà de l’attente sans doute du
compositeur lui-même, ne craignant pas de saturer l’espace sonore du Théâtre
des Champs-Elysées, mais cette vision a proprement tétanisé la salle entière et
l’Orchestre National de France, qui, survolté, a brillé tout au long de l’exécution,
malgré de petites imperfections instrumentales, notamment du côté des trompettes.
Parfaitement préparés par Kaspar Putnins, les Hommes du Chœur de Radio France se
sont également illustrés par l’homogénéité des textures et par la noblesse de
leur incarnation. Parmi les cinq chanteurs solistes, tous excellents, se sont
particulièrement imposés le ténor autrichien Nikolai Andrei Schukoff, Œdipe radieux
et halluciné, malgré un aigu serré, Sonia Ganassi, Jocaste au mezzo de velours mais manquant un peu de chair, le Tirésias puissant
de Georg Zeppenfeld et l’ardent Berger de Benjamin Bernheim. Par son
implication et sa diction remarquable, Pierre Arditi s’est avéré un excellent récitant.
Bruno
Serrou
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