Paris, Grande salle de
la Cité de la Musique, mardi 26 novembre 2013
Jordi Savall et ses ensembles La Capella Reial de Catalunya et Hespèrion XXI. Photo : DR
Un
public nombreux et à la moyenne d’âge relativement élevée s’est rendu mardi
Cité de la Musique pour assister au concert que Jordi Savall et ses ensembles La
Capella Reial de Catalunya et Hespèrion XXI consacraient au Livre Vermeil (Llibre Vermell) de Montserrat. Ce qui augure bien de l’avenir de la
Philharmonie pour laquelle l’on peut de ce fait envisager un bon taux de remplissage avec
un public de tout âge, contrairement à ce que l’on peut craindre de façon
justifiée. En effet, ce mardi, il y avait foule dans le métro (une seule
ligne mène à ces salles de concerts, ce qui est inquiétant) et dans le parc de
la Villette pour assister à toute sorte d’événements sonores, au point que les
marchands de merguez-frites étaient nombreux à empester des exhalaisons de
leurs produits les couloirs de la RATP et le vent frais d’automne qui soufflait
au dehors, chaque public se côtoyant en ignorant l’autre.
Monastère de Montserrat (Catalogne). Photo : DR
Jordi
Savall a dédié la soirée à son épouse, la soprano Montserrat Figueras, décédée voilà
deux ans, le 23 novembre 2011. Femme dont le nom et le prénom évoquent à eux seuls toute la Catalogne, dont le
couple a porté et porte encore dans le monde la renommée musicale et culturelle. C’est donc
naturellement du côté de l’abbaye bénédictine de Montserrat érigée au début du XIe
siècle à flanc de rocher dans le nord de la Catalogne (1) que Jordi Savall s’est
tourné pour cet émouvant hommage. C’est au sein de la bibliothèque du monastère qu'a été conservé quatre siècles durant le Llibre Vermell parmi environ trois cents mille volumes et manuscrits. Jusqu'à ce que Napoléon Ier
fasse brûler cet inestimable trésor intellectuel en 1811. Mais certains ouvrages échappèrent
par miracle à l’autodafé. C’est ainsi que nous sont parvenues 137 des 350 pages
du fameux Llibre Vermell consacré à
la Vierge Marie réuni au XIVe siècle qui avait été confié à un
érudit peu avant le désastre, et dont le titre tient de sa couverture de
velours rouge qui le protège depuis le XIXe siècle. Ces cantiques étaient donc écrits pour des
pèlerins afin qu’ils puissent utiliser un registre « chaste et
pieux ». Ils sont rédigés en catalan et en
latin pour une, deux ou trois voix sur une musique « à
chanter et à danser » composée bien avant leur regroupement. La plupart de
ces pages sont composées dans le style populaire par des musiciens de la cour d’Aragon,
dont dépendait à l’époque l’abbaye de Montserrat où ils effectuaient plus ou
moins des pèlerinages lors de leurs pérégrinations en direction de Barcelone,
Saragosse ou Perpignan.
Deux pages du Llibre Vermell de Montserrat
Jordi Savall et ses ensembles sont des
familiers de ce recueil, qu’ils ont enregistré dès 1999 (2). Visage riant, le
corps dans la musique et les pieds battant joyeusement la mesure, chanteurs et
musiciens sont emplis de ces pages auxquelles ils donnent une vie revigorante,
une tonicité communicative et une spiritualité à fleur de peau qui pénètre l’âme
des auditeurs tant leur bonheur de jouer est transcendant. Dans les hymnes les
plus intériorisés, l’émotion était à son comble, tant Montserrat Figueras
semblait présente au sein du groupe. Une musique rayonnante de lyrisme, d’humilité
et de dévotion servie avec une fraîcheur et une générosité suprême suscitant
une écoute intense et recueillie de la part d’un public réunissant en une même
communion connaisseurs et profanes. La soirée s’est terminée sur un chant
spirituel catalan du XIIe siècle qui a ajouté à la ferveur de la
soirée.
Bruno
Serrou
1) C’est
en ce lieu sauvage et ses environs immédiats que Richard Wagner a situé l’action
de son Parsifal.
2) EMI Reflex 1C065-45-641 ou
Virgin Veritas
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