Ivry Gitlis (né en 1922) en son domicile. Photo : DR
A l’heure où paraît chez Universal/Decca (1)
un coffret de cinq disques réunissant les enregistrements qu’Ivry Gitlis a réalisés
pour le label britannique entre 1966 et 1995, je reprends ici un portrait du
violoniste israélien brossé en mai 2010 pour le quotidien La Croix à la suite d’une interview qu’il m’avait
accordée quelques jours plus tôt en son domicile parisien. A 91 ans, il suit toujours assidûment l'actualité musicale, comme l'atteste sa présence dimanche dernier Salle Pleyel au concert de Martha Argerich et Gidon Kremer...
Ivry Gitlis enseignant à une jeune élève. Photo : DR
« Le
jour où je ne jouerai plus mon violon, c’est que je serai mort. » Ivry
Gitlis – le bon (gut/git en yiddish) homme de passage (Ivry, en hébreux) – a à
peine prononcé un mot que son interlocuteur est happé par le charme et la
liberté qui émanent de sa personnalité hors normes. Cet adolescent fougueux
dans un corps de vieil homme au pessimisme pimpant - « il est important
d’être pessimiste, parce que vous en ferez quelque chose, tandis que si vous
êtes optimiste, tout va toujours bien » - reçoit avec chaleur malgré le
froid et morne après-midi de mai (2010) en son domicile de Saint-Germain-des-Prés.
Un appartement fantasque à l’insondable désordre où traînent un piano à queue,
des valises de saltimbanque prêtes au départ, un nombre considérable des photos
noir et blanc de grands hommes et femmes de tous horizons.
En fait, depuis sa naissance à Haiffa le 22 août 1922, Gitlis ne s’est jamais posé nulle part, en Israël, à Paris, Londres, Amsterdam, aux Etats-Unis, la musique étant partage sans frontières. « Je ne sais pas qui du violon ou de moi a choisi l’autre. Je voulais un violon, et, pour mes 5 ans, parents et amis se sont cotisés. Je ne sais pas comment je jouais, mais on s’est malheureusement vite aperçu que j’avais un certain talent… » A 8 ans, il rencontre le célèbre violoniste Bronislaw Hubermann, qui l’envoie à Paris avec l’argent collecté par des artistes pour entrer au Conservatoire dans la classe de Georges Enesco. Il a 11 ans. « Enesco est l’être qui m’a le plus marqué. Il était toute la musique et un homme unique. Il se mettait au piano et jouait tout avec moi. C’était une expérience de vie, pas une leçon de violon. Quand un éclair vous atteint, vous ne vous en remettez pas. L’adolescent que j’étais ne s’est pas rebellé contre cette autorité, je cheminais avec lui. » En 1951, alors qu’il est favori du Concours Thibaud, il ne se voit attribué que le Cinquième Prix. « Je n’ai pas raté le concours, c’est le concours qui m’a raté. Ce prix n’est pas un accident : on a accusé ma mère, qui était déjà morte à l’époque, d’avoir vendu pour survivre pendant la guerre un violon qui m’avait été prêté. Or, ce cinquième Prix était précisément un violon (rires). »
En fait, depuis sa naissance à Haiffa le 22 août 1922, Gitlis ne s’est jamais posé nulle part, en Israël, à Paris, Londres, Amsterdam, aux Etats-Unis, la musique étant partage sans frontières. « Je ne sais pas qui du violon ou de moi a choisi l’autre. Je voulais un violon, et, pour mes 5 ans, parents et amis se sont cotisés. Je ne sais pas comment je jouais, mais on s’est malheureusement vite aperçu que j’avais un certain talent… » A 8 ans, il rencontre le célèbre violoniste Bronislaw Hubermann, qui l’envoie à Paris avec l’argent collecté par des artistes pour entrer au Conservatoire dans la classe de Georges Enesco. Il a 11 ans. « Enesco est l’être qui m’a le plus marqué. Il était toute la musique et un homme unique. Il se mettait au piano et jouait tout avec moi. C’était une expérience de vie, pas une leçon de violon. Quand un éclair vous atteint, vous ne vous en remettez pas. L’adolescent que j’étais ne s’est pas rebellé contre cette autorité, je cheminais avec lui. » En 1951, alors qu’il est favori du Concours Thibaud, il ne se voit attribué que le Cinquième Prix. « Je n’ai pas raté le concours, c’est le concours qui m’a raté. Ce prix n’est pas un accident : on a accusé ma mère, qui était déjà morte à l’époque, d’avoir vendu pour survivre pendant la guerre un violon qui m’avait été prêté. Or, ce cinquième Prix était précisément un violon (rires). »
Ivry Gitlis. Photo : DR
Son intelligence ravageuse, sa virtuosité
légendaire, sa sensibilité à fleur de peau, les contrastes saisissants de son
jeu âpre et sensuel ont fait de Gitlis non seulement un immense artiste mais
aussi un homme de la rue, des gens, de la vie. Un homme qui n’a de cesse
de répéter que « pour être un bon
violoniste, il faut aussi être autre chose. » D’où cette liberté
qui lui aura joué de mauvais tours en un temps où l’éclectisme était
condamnable. « Je ne l’ai pas fait par obligation mais parce que j’aime le
faire. Je ne joue pas de la même façon dans un hôpital, dans une prison que
dans une salle de concert. Peut-être que je pense plus à la prison en jouant en
concert que dans la prison-même. J’amène toujours mon violon dans les
endroits qui me sont importants, à Auschwitz comme en l’abbaye de sainte-Catherine
dans le désert du Sinaï. » Magnifique interprète de Berg, Beethoven,
Mendelssohn, Bach, Paganini et de la musique contemporaine - « J’ai eu
beaucoup d’envies, il y a beaucoup d’œuvres que j’aurais aimé jouer, mais il ne
faut rien regretter » -, il a joué avec tout le monde, de Jascha Heifetz à John Lennon. Car il aime aussi s’adonner au jazz et côtoyer les pop
stars, comme John Lennon et Mick Jagger… « J’étais avec eux comme je suis
avec vous. La personne que j’ai le plus respecté et aimé a été le concierge de
la maison où j’habitais rue Vieille du Temple. Il ressemblait au professeur
Nimbus, sa culture était extraordinaire. Un soir, chez des amis, à Paris, parmi
les hôtes se trouvait un certain Brian Jones, l’un des Rolling Stones. Il était
adorable. Il me dit « Je veux prendre des leçons de violon chez
vous. » ll n’est jamais venu, mais un jour, il m’a téléphoné de Londres
pour me demander si j’accepterais de jouer avec les Stones pour un disque. J’ai
accepté à la condition que l’on fasse quelque chose ensemble. « Ah, mais
on n’aurait jamais osé vous demander. » Je suis allé à Londres, et j’ai
improvisé avec les Stones, rejoints par John Lennon et Eric Clapton... »
C’est ainsi que Gitlis s’est retrouvé dans des films de François Truffaut, l’Histoire d’Adèle H, Volker Schlöndorff, Un amour de Swann, et Siegfried, Sansa, et dans quantité d’émissions de télévision. « Un jour, j’ai reçu un coup de téléphone de Guy Lux. Il m’a demandé si je voudrais bien jouer dans l’une de ses émissions. « Rappelle-moi dans 3 jours, lui dis-je, il faut que je vois si je suis libre. » J’en ai parlé à des amis : « Ivry, tu ne vas pas jouer dans cette cour-là ! » Quand il m’a rappelé, je lui ai demandé « Que veux-tu que je fasse ? » - « Ce que tu veux ! » - « Je peux te jouer un mouvement de Concerto de Bach » – « Comme tu veux ! » - « Une pièce de Kreisler… » L’émission était avec Claude François. Le jeune public ne m’a pas laissé partir. L’orchestre comptait les meilleurs musiciens des Orchestre de Paris, de l’Opéra, etc. Aujourd’hui, il m’arrive de rencontrer des gens dans la rue qui me disent « merci d’avoir participé à toutes ces émissions à la télévision. » Je ne l’ai pas fait pour me faire mousser et gagner de l’argent, mais pour le plaisir et apporter la musique en toute circonstance. » Aujourd’hui, les jeunes violonistes viennent du monde entier à Paris pour travailler avec lui…
C’est ainsi que Gitlis s’est retrouvé dans des films de François Truffaut, l’Histoire d’Adèle H, Volker Schlöndorff, Un amour de Swann, et Siegfried, Sansa, et dans quantité d’émissions de télévision. « Un jour, j’ai reçu un coup de téléphone de Guy Lux. Il m’a demandé si je voudrais bien jouer dans l’une de ses émissions. « Rappelle-moi dans 3 jours, lui dis-je, il faut que je vois si je suis libre. » J’en ai parlé à des amis : « Ivry, tu ne vas pas jouer dans cette cour-là ! » Quand il m’a rappelé, je lui ai demandé « Que veux-tu que je fasse ? » - « Ce que tu veux ! » - « Je peux te jouer un mouvement de Concerto de Bach » – « Comme tu veux ! » - « Une pièce de Kreisler… » L’émission était avec Claude François. Le jeune public ne m’a pas laissé partir. L’orchestre comptait les meilleurs musiciens des Orchestre de Paris, de l’Opéra, etc. Aujourd’hui, il m’arrive de rencontrer des gens dans la rue qui me disent « merci d’avoir participé à toutes ces émissions à la télévision. » Je ne l’ai pas fait pour me faire mousser et gagner de l’argent, mais pour le plaisir et apporter la musique en toute circonstance. » Aujourd’hui, les jeunes violonistes viennent du monde entier à Paris pour travailler avec lui…
Bruno Serrou
Le
coffret de 5CD Universal/Decca rassemble la totalité des enregistrements qu’Ivry
Gitlis a réalisés avec le label Decca entre 1966 et 1995 réunissant des
concertos de Berg, Brahms, Paganini, Saint-Saëns et Wieniawski, et des œuvres
de Bartók, Debussy, Dinicu, Dvorak, Falla, Kreisler, Massenet, Mendelssohn,
Ravel et Sarasate (Decca 5CD 5346246). Il convient d’ajouter à cet ensemble les
concertos de Bartók, Berg, Bruch, Hindemith, Mendelssohn, Sibelius, Stravinsky,
Tchaïkovski (3 CD Brillant Classics).
Mais pour découvrir Ivry Gitlis, il faut
absolument commencer par son enregistrement du Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange » de Berg
gravé en 1953. « Je l’ai appris en 11 jours, se souvient-il. Je suis
content que l’on dise qu’il s’agit de mon meilleur disque, parce que cette
œuvre est bouleversante. Je ressens la même chose quand j’entends la Symphonie n° 6 de Mahler : je fonds
toujours en larmes dans le finale… »
A
lire : L’âme et la corde,
Editions Robert Laffont (1980, réédition 2013)
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