Perpignan, Théâtre de l’Archipel, vendredi
15, samedi 16 et dimanche 17 novembre 2013
Roland Auzet et Fabrice Melquiot, Aucun homme n'est une île. Oscar (à gauche) et Julien Romelard (Jacques). Photo : DR
Les festivals ne fleurissent pas qu’en été, ceux de
musique contemporaine préférant l’automne. Après Musica à Strasbourg en
septembre et le Festival d’Automne à Paris, depuis ce même mois de septembre et
jusqu’en décembre, deux autres essaiment le pourtour méditerranéen en novembre,
les Manca de Nice et Aujourd’hui Musiques de Perpignan. La vingt-deuxième édition
du festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan, manifestation dont la direction
artistique est assurée depuis deux ans par Jackie Surjus-Collet, s’est ouverte
vendredi pour une semaine de découvertes, d’audace et d’innovation musicale
sous toutes les formes, du concert au spectacle multimédia en passant par la
performance, le théâtre musical, les installations, la danse et la médiation
culturelle.
Le Théâtre de l'Archipel de Perpignan. Photo : (c) Bruno Serrou
Créé en 1992 par un compositeur, Aujourd’hui Musiques a
depuis deux ans pour centre d’activité le Théâtre de l’Archipel à Perpignan,
bâtiment pourvu de deux salles à l’acoustique excellente dessiné par Jean
Nouvel sous forme de poulpe et dirigé depuis son ouverture par Domènec Reixach
et par son adjointe Jackie Surjus-Collet. Le succès de l’action du Conservatoire depuis les années 1990 a convaincu
les édiles du bien-fondé d’une action culturelle d’envergure, au point de les
conduire à ériger le Théâtre de l’Archipel, foyer du festival depuis 2011. « Quoi de mieux, interroge Jackie Surjus-Collet, programmatrice
d’Aujourd’hui Musiques, qu’un lieu de spectacle vivant pour lutter contre les
conservatismes ? Soutenu par les collectivités et lié au Théâtre, le
festival voit son existence pérennisée. » Ce qui caractérise cette
manifestations est leur programmation exigeante et large, et la diversité du
public qui la fréquente. La pédagogie est au centre de l’activité durant
l’année. Aujourd’hui Musiques développe un travail suivi en termes de médiation
culturelle, de rencontre entre les œuvres et le public,
ouvrant ateliers de pratique, répétitions publiques commentées, rencontres avec artistes et compositeurs, partenariat
avec le conservatoire, etc. Le festival pratique en outre une politique de bas prix, en dépit
de budgets serrés.
Steve Reich, Drumming. Jeu de baguettes utilisé par l'Ensemble Links. Photo : DR
L’édition 2013 s’est ouverte vendredi sur une soirée
entièrement consacrée au pape du minimalisme, l’Etats-Unien Steve Reich. Une
seule de ses œuvres était au programme. Un œuvre fondatrice il est vrai,
puisqu’il s’agissait de Drumming, pour
voix, flûte et percussion, que Reich considère comme l’une de ses partitions
les plus marquantes. Il aura fallu un an, en 1970-1971, à Steve Reich pour
venir à bout de cette partition-charnière qui synthétise la période radicale du
compositeur et annonce ses œuvres futures. Le profil général de Drumming appartient encore à la série
des processus graduels faits de métamorphoses progressives d’une situation
musicale initiale dont l’auditeur peut suivre la progression. Prévu pour une
durée oscillant entre cinquante-cinq et soixante-quinze minutes, Drumming est fondé sur un unique motif
rythmico-mélodique présenté au début par un bongo solo qui se propage par le
biais du jeu intensif des déphasages et des substitutions. Les quatre
mouvements font respectivement appel à quatre paires de bongos accordés, trois
marimbas, colorés par deux voix de femmes, trois glockenspiels rehaussés d’un
piccolo et d’un sifflement, l’effectif au complet n’intervenant que dans le
finale.
Steve Reich (né en 1936). Photo : DR
Sous la direction de l’excellent percussionniste Rémi Durupt, qui a
opté pour la version courte, l’Ensemble LINKS, qui réunit musiciens,
interprètes et compositeurs, et artistes audiovisuels, en a donné une lecture
précise et colorée, pour une saisissant réalisation musicale, tandis que la vidéo,
qui met les interprètes en avant, focalise l’attention du public sur le regard
aux dépends de l’ouïe, qui perd ainsi de sa perception auditive des décalages rythmiques
et des alliages de timbres.
Josef Nadj, ATEM le souffle. Josef Nadj (à gauche), Anne-Sophie Lancelin. Photo : DR
Spectacle alliant théâtre, danse et
musique, ATEM (le souffle) a été
imaginé par le chorégraphe serbe Josef Nadj pour lui-même et son interprète
favorite, la danseuse lilloise Anne-Sophie Lancelin, qui signe ici la chorégraphie, sur une musique conçue
par Alain Mahé assisté de Pascal Seixas. Dans un espace réduit format boîte rectangulaire faiblement
éclairé, un couple évolue de façon plutôt obscure, les figures donnant de plus
en plus dans l’érotisme, au sein d’une dramaturgie assez absconse offrant
néanmoins de belles images, bien que certaines versent dans le gore. Les quatre-vingt
minutes du ballet-théâtre tendent à s’éterniser, la musique, qui donne principalement dans les
sons graves où le timbre de ce qui pourrait être un violoncelle prédomine, créant un entrelacs grondant dans
des abysses d’une nature engourdie, embrassant en un même mouvement forêts et fonds marins.
Roland Auzet et Fabrice Melquiot, Aucun homme n'est une île. Julien Romelard (Jacques), Oscar (à droite). Photo : DR
Plus ludique et onirique, subtile et magique,
le spectacle imaginé par le compositeur-percussionniste Roland Auzet, qui en
signe la mise en scène et la musique sur un argument de Fabrice Melquiot, Aucun homme n’est une île est une œuvre associant
théâtre, musique et arts numérique en une fusion porteuse d’une poésie
bouleversante, mettant en regard un être virtuel et un adolescent de 13 ans
plongé dans le monde numérique, qui l’a happé pour l’absorber dans l’écran d’un
ordinateur, un véritable geek complètement déconnecté de la réalité. Le texte
de Fabrice Melquiot aborde avec force, humour et lyrisme la relation entre l’homme
et la machine, conviant en un véritable face-à-face l’enfant Jacques, admirablement
campé par Julien Romelard, et la virtualité d’Oscar, créé par Catherine Ikam et
Louis Feri, qui interagissent par la magie de la remarquable réalisation
électronique d’Olivier Pasquet, qui anime en temps réel le visage d’Oscar, qui
semble bel et bien émaner d’un écran d’ordinateur dans une féerique scénographie
d’Arié van Egmond remarquablement éclairée par Bernard Revel. Parfaitement
intégrée à la globalité de l’œuvre, la musique de Roland Auzet participe à l’onirisme
du propos, véritable songe évoluant du rêve au cauchemar et qui devrait sinon
guérir du moins conduire à réfléchir sur l’enfermement que peut susciter l’abus
jusqu’à l’overdose de l’outil informatique et du jeu vidéo. Ce qu’a attesté d’ailleurs
la discussion qui a suivi le spectacle réunissant les protagonistes du spectacle
et le public de l’Archipel, tous âges mêlés.
Bruno Serrou
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