Créé
en 2003 par François-Xavier Roth, Les Siècles est un orchestre jouant sur
instruments d’époque qui répondent plus ou moins précisément au moment de la
composition des œuvres qu’il programme. Ainsi peut-il, selon le vœu de son
fondateur, couvrir tous les répertoires, du baroque au contemporain. Ainsi ses musiciens
possèdent-ils une collection d’instruments correspondant à chaque époque. Roth
et son orchestre ont ainsi enregistré Berlioz, Saint-Saëns, Chabrier, Dubois, Stravinski, et jusqu'à Matalon, avec des résultats plus ou moins convaincants.
Ce
premier disque que François-Xavier Roth et Les Siècles consacrent à Claude Debussy
est le fruit d’un certain nombre de concerts donnés par l’ensemble en 2012,
année du cent-cinquantenaire du compositeur. Il réunit deux œuvres symptomatiques
de la création orchestrale debussyste, l’une appartenant à la première période,
inconnue jusqu’en 2008, année de publication dans sa version pour piano à
quatre mains, et qui connaît ici son premier enregistrement mondial dans sa
version instrumentée, l’autre à la maturité, sans doute la partition la plus représentative
de Debussy et, en tout cas, l’un des piliers du répertoire symphonique.
L’élément
le plus attractif de ce disque est donc de prime abord l’œuvre inédite au
disque. Il s’agit de la Première Suite
d’orchestre de Debussy. Il l’a composée
en 1882-1884 alors qu’il était l’élève d’Ernest Guiraud au Conservatoire de
Paris, mais elle n’a été retrouvée qu’en 2008. En grande partie de la main de
Debussy, l’instrumentation a été complétée par Philippe Manoury à la demande de
la Cité de la musique pour le concert des Siècles donné le 3 février 2012.
Néanmoins, cette partition n’a en vérité d’intérêt autre que documentaire et
conforte l’idée que certains compositeurs se font de la nécessité de détruire
leurs essais de jeunesse. Cette partition a en effet beau être de la main de
l’un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique, elle n’en est pas
moins un pensum d’étudiant postulant au concours de Rome que l’on aurait dû
laisser dans les cartons à l’état de relique, accessible aux chercheurs et aux
étudiants à titre documentaire. Les deux premiers morceaux sont orchestrés gras
et se placent sous l’influence par trop prégnante de Jules Massenet, tandis que
le finale est lourdement instrumenté avec une fanfare (quatre cors, quatre
trompettes, trois trombones, tuba) digne d’une musique de film. Seul le
troisième mouvement, Rêve, a la patte
debussyste, mais il s’agit du morceau qu’a magistralement orchestré Manoury,
qui bénéficie il est vrai de tout l'arrière-plan debussyste dont il est un fin
connaisseur... Nous tenons donc dans cette page de jeunesse un Debussy en
devenir orchestré par un Debussy de la dernière maturité habilement mâtiné de
Manoury...
Ainsi,
le couplage avec La Mer s’avère-t-il
instructif, malgré la riche discographie dont bénéficie cette œuvre somptueuse.
Certes, cette version a-t-elle pour premier attrait le fait que Roth et Les
Siècles proposent une interprétation sur instruments « d’époque », cuivres,
bois, percussion, harpes, cordes boyaux sans doute le plus proche possible de
la facture instrumentale française du temps de Debussy (deux flûtes ont été
fabriquées en 1927 et une trompette en 1920, le reste avant la mort du compositeur,
en 1918), qui, comme aujourd’hui, ne cessait pourtant d’évoluer. Ils ne sont
pas les premiers à le faire, puisque 2012 a également vu la parution de l’interprétation
de Joos van Immerseel à la tête de son orchestre Anima Eterna de Bruges (CD Zig-Zag
Territoires). Energique et flamboyant, Roth, qui évite à la fois le postromantisme
et l’impressionnisme, fait des trois « esquisses symphoniques » non
pas une symphonie en trois mouvements mais un poème symphonique en trois
parties, s’avérant plus descriptif que suggestif. Moins charnues qu’avec un
orchestre moderne, les textures et la polyphonie avec Les Siècles sont plus
claires, ce qui permet à Roth de mettre les détails en relief, avec précision
et minutie.
Bruno Serrou
1 CD Musicales Actes Sud ASM 10 (distribution Harmonia Mundi)
Article qui suscite intérêt et envie.
RépondreSupprimerEn adorateur de l'artiste et de son oeuvre je vas m'enquérir de cette vision et de cette oeuvre de jeunesse, car bien sur, la curiosité m'a de suite embarqué.
Merci.