Paris, Salle Cortot, jeudi 4 avril 2013
Sanja Bizjak. Photo : (c) Eytan Jan/DiscAuverS
La foule des grands jours attendait
jeudi soir une jeune pianiste serbe de vingt-quatre printemps dont les pré-échos
du talent emplissaient le hall de la Salle Cortot dans le flux des conversations
d’avant-concert. Un public plus large que de coutume en ce lieu se bousculait pour
découvrir une belle artiste, Sanja Bizjak, qui pour mesurer le bien
fondé de la réputation qui la précédait, qui pour conforter ses impressions
premières, voire pour simplement la découvrir…
Née à Belgrade en 1988, Sanja Bizjak
a en effet brulé les étapes, entrant dès douze ans au Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans la classe de Jacques Rouvier,
après avoir commencé six ans plus tôt l’étude du piano à l’Ecole de musique de
sa ville natale auprès d’une élève de Heinrich Neuhaus, Zlata Males, qui l’a
formée selon la tradition et la rigueur russes. A huit ans, elle donnait son
premier concert avec orchestre dans un concerto de Joseph Haydn, avant de
remporter un an plus tard la première de ses nombreuses récompenses, le Second
prix du Concours Rachmaninov de Nijni Novgorod. Tout en se perfectionnant à
Graz auprès d’Alexander Satz et de Boris Berëzovski, ainsi que d’Elisso
Virsaladze à Munich, et, actuellement, au Royal College of Music de Londres
avec Dmitri Alexeev, elle est lauréate de la Fondation Natexis depuis 2005, et est invitée dans toute l’Europe, pour des récital et des concerts avec orchestre. Non contente de
se produire en tant que soliste, elle aime à donner des récitals en compagnie
de sa sœur Lidjia, avec qui elle forme un duo qui s’est rapidement imposé sur
la scène internationale.
Lauréate en 2011 du Concours
international Piano Campus, remarquée depuis longtemps par le Festival d’Auvers-sur-Oise
qui l’a mise en résidence - à l’instar entre autres du Trio Wanderer, de Claire-Marie
Le Guay, Henri Demarquette, Emmanuelle Haïm, Denis Matsuev, Patricia Petibon ou
Jean-Frédéric Neuburger alors tous en début de carrière -, dont le récital de jeudi
était la préfiguration de l’édition 2013 (1), Sanja Bizjak a présenté l’intégralité
des deux cahiers d’Etudes-tableaux op. 33 et 39 de Serge Rachmaninov, programme de son premier disque produit
par le label du festival (2).
Sanja Bizjak. Photo : DR
Jouant sur un grand-queue Yamaha de
concert admirablement réglé sonnant clair et charnu sur toute l’étendue du
clavier dans la chaude acoustique de la Salle Cortot, Sanja Bizjak a donné de
ces deux recueils des lectures d’une suprême musicalité, ses mains de grande
envergure et ses doigts longs et fins se jouant des énormes difficultés techniques
pour faire de chacune de ces pages (huit pour le premier cahier, neuf pour le
second) de véritables scènes polychromes et merveilleusement suggestives :
ici un carillon (op. 33/3), là une
fête foraine (op. 33/6), ailleurs les
parfums du large (op. 39/2), la douleur et l’ondée (op. 39/7), plus loin l’Orient (op.39/9). Ses doigts courant sur les
touches avec une agilité suprême, comme s’il s’agissait d’interpréter des pages
d’une simplicité bienveillante, la pianiste a enchaîné chacune des études en
leur donnant le tour de saynètes, transformant ainsi les deux opus en cycles
véritables en se faisant tour à tour légère et douloureuse (op. 33/3, op. 33/7), voire tragique (op.
33/7, op. 39/2, avec à la main
droite le Dies irae, op. 39/7), mais aussi parfaitement sereine
(op. 33/2) et enjouée (op. 39/1),
magnifiquement virtuose (op. 33/5), mais
aussi d’une profondeur bouleversante, touchant les abysses dans l’op. 33/8 (Grave) et l’op. 39/7 (Lento), et exaltant des sonorités cristallines,
particulièrement dans l’op. 39/6, allégeant
les effets parfois trop appuyés que sous-tend l’écriture de Rachmaninov, comme
dans l’op. 33/8. Sanja Bizjak a le
sens de la narration, prenant l’auditeur par la main pour le conduire où elle l’entend
dans une diversité infinie de paysages et de climats.
Entre ces deux recueils de Rachmaninov, d’une polychromie et d’une difficulté extrême, la jeune pianiste serbe a proposé une « respiration » avec la Vallée d’Obermann, le plus long des neuf grands poèmes pour piano de la première des Années de Pèlerinage de Franz Liszt, consacrée à la Suisse. Sanja Bizjak s’est montrée aussi à l’aise dans ce grand quart d’heure de musique pleine de panache, en restituant avec un naturel confondant la grandeur pathétique et les audaces techniques et harmoniques de ces pages. Une artiste à suivre avec la plus vigilante attention.
Entre ces deux recueils de Rachmaninov, d’une polychromie et d’une difficulté extrême, la jeune pianiste serbe a proposé une « respiration » avec la Vallée d’Obermann, le plus long des neuf grands poèmes pour piano de la première des Années de Pèlerinage de Franz Liszt, consacrée à la Suisse. Sanja Bizjak s’est montrée aussi à l’aise dans ce grand quart d’heure de musique pleine de panache, en restituant avec un naturel confondant la grandeur pathétique et les audaces techniques et harmoniques de ces pages. Une artiste à suivre avec la plus vigilante attention.
Bruno Serrou
1) Du 1er juin au 4
juillet 2013. http://www.festival-auvers.com
2) 1 CD DiscAuverS 5 425008
373089 (distribution Codaex)
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