mardi 9 avril 2013

L’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris confirme la valeur de sa formation avec "l’Isola disabitata" de Joseph Haydn


Noisiel-Marne-la-Vallée, La Ferme du Buisson, samedi 6 avril 2013

Haydn, l'Isola disabitata, Atelier lyrique de l'Opéra de Paris. Photo : (c) Opéra de Paris, DR

Huit chanteurs de trois promotions de l’Atelier lyrique de l’opéra de Paris entrés entre octobre 2010 et octobre 2012, ont alterné sur la scène de la Ferme du Buisson à Noisiel-Marne-la-Vallée dans une production inédite d’un opéra rare quoique l’un des plus connus de Joseph Haydn, l’Isola disabitata (l’Île déserte). Universellement célébré pour ses symphonies, oratorios, quatuors à cordes, trios, sonates pour piano et ses nombreuses œuvres pour diverses formations instrumentales, Haydn demeure méconnu comme compositeur d’opéras, ignorés jusque dans les années 1980, avant la parution de la somptueuse intégrale discographique dirigée par Antal Dorati et publiée par le label Philips. Haydn a pourtant composé quinze ouvrages lyriques, entre 1763 et 1791, tous conçus pour divertir le comte Nicolas Esterházy, à l’exception de l’ultime, L'anima del filosofo, ossia Orfeo ed Euridice, composé à Londres mais créé à Florence en… 1951. 

La château d'Esterháza, où a été créé "l'Isola disabitata" de Haydn. Photo : DR

Un peu moins d’un an après la Finta giardiniera de Mozart (http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_28.html), l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris a donc porté son dévolu sur l’Isola disabitata, sixième partition lyrique de Haydn. Cette Île déserte a été créée le 6 décembre 1779 à Eisenstadt, dans l’Opéra du château d’Esterháza, salle qui « surpasse en beauté et en somptuosité tout ce que l’on peut se figurer en ce genre ». C’est là que Haydn a exercé l’essentiel de son activité pendant près de vingt-cinq ans, de 1766 à 1790. Le livret de Métastase sur lequel le compositeur se fonde pour son Isola disabitata avait été précédemment utilisé par plusieurs compositeurs, dont Niccolò Jommelli qui en a tiré deux versions. Le ton de l’« action musicale » de Haydn n’est pas à la farce mais à la réflexion sur le couple, l’amour, la fidélité. En cela et en bien des points, il préfigure l’Enlèvement au sérail (1782) et Così fan tutte (1790) de Mozart. L’ouvrage se singularise par l'absence de recitativo secco, récitatifs accompagnés et arie s’enchâssant. Doté d’une vie propre et intense, l’orchestre, omniprésent, est un personnage à part entière. Il en est même le principal protagoniste, soutenant et commentant le chant, trahissant l’âme et les pensées des personnages. Ceux-ci sont au nombre de quatre, deux sœurs, Costanza et Silvia, abandonnées sur une île déserte, deux hommes, Gernando et Enrico, enlevés par des « barbares » et qui, après avoir réussi à s’échapper de leurs geôles, débarquent sur l’île et rejoignent les deux femmes, l’aînée n’étant autre que l’épouse du premier, tandis que la cadette aura le coup de foudre pour le second... Haydn choisit quatre instruments solistes dans son orchestre pour caractériser chacun des personnages, le violon pour Costanza, le violoncelle pour Gernando, la flûte pour Silvia et le basson pour Enrico.

Haydn, l'Isola disabitata, Atelier lyrique de l'Opéra de Paris. Photo : (c) Opéra de Paris, DR

Coréalisée par Stephen Taylor et Dominique Pitoiset, ce dernier signant également une scénographie dépouillée, efficace et évocatrice, la mise en scène est vive et enjouée, animée par une direction d’acteur au cordeau, chacun des jeunes interprètes se fondant dans son rôle avec un égal bonheur. Ces quatre chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris s’imposent par leur spontanéité, leur présence, leur plaisir de jouer. Anna Pennisi, voix pleine au chaud mezzo, est une ardente Costanza, Armelle Khourdoïan, au soprano lumineux, une Silvia juvénile, charmeuse et avenante. Tiago Matos a tous les atouts pour être un excellent Papageno. Ce solide baryton portugais campe un Enrico spontané et jovial, parfaitement en phase avec l’ouvrage et le style classique viennois. Reste son compatriote João Pedro Cabral, moins sûr que ses comparses, engoncé dans son jeu à cause d’une voix tendue dans les aigus et légèrement voilée, mais qui ne nuit en aucun cas à l’équilibre du plateau.

Haydn, l'Isola disabitata, Atelier lyrique de l'Opéra de Paris. Photo : (c) Opéra de Paris, DR


Ce qui n’est malheureusement pas le cas de l’Orchestre-Atelier OstinatO. Alors que l’orchestre, nous l’avons vu, est le deus ex machina de cette « action musicale », la prestation des jeunes musiciens qui le composent n’est pas à la hauteur de la distribution vocale. Fautes d’attaques, décalages nombreux, archets lourds, justesse aléatoire… sont par trop prégnants. La cuvée 2013 s’avère ainsi beaucoup moins convaincante que celle de 2012. Cette différence est sensible dès l’ouverture, particulièrement les quatre instruments solistes cités plus haut, qui annihilent le plaisir de l’écoute dans le finale de l’ouvrage, pourtant délectable. La direction un brin raide d’Iaki Encina Oyón ne peut hélas aider l’orchestre-école à la virtuosité et à la souplesse indispensable à la fluidité de l’écriture instrumentale de Haydn. Et l’on se met à regretter que l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris ne fasse pas appel au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris pour ses productions, à juger de la grande qualité de l’orchestre réuni pour l’opéra Reigen de Philippe Boesmans le mois dernier (http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/reigen-opera-de-philippe-boesmans.html).


Bruno Serrou

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