Noisiel-Marne-la-Vallée, La Ferme du Buisson, samedi 6 avril 2013
Haydn, l'Isola disabitata, Atelier lyrique de l'Opéra de Paris. Photo : (c) Opéra de Paris, DR
Huit chanteurs de trois
promotions de l’Atelier lyrique de l’opéra de Paris entrés entre octobre 2010
et octobre 2012, ont alterné sur la scène de la Ferme du Buisson à
Noisiel-Marne-la-Vallée dans une production inédite d’un opéra rare quoique l’un
des plus connus de Joseph Haydn, l’Isola
disabitata (l’Île déserte). Universellement
célébré pour ses symphonies, oratorios, quatuors à cordes, trios, sonates pour
piano et ses nombreuses œuvres pour diverses formations instrumentales, Haydn
demeure méconnu comme compositeur d’opéras, ignorés jusque dans les années
1980, avant la parution de la somptueuse intégrale discographique dirigée par
Antal Dorati et publiée par le label Philips. Haydn a pourtant composé quinze
ouvrages lyriques, entre 1763 et 1791, tous conçus pour divertir le comte Nicolas
Esterházy, à l’exception de l’ultime, L'anima del filosofo, ossia Orfeo ed Euridice, composé à
Londres mais créé à Florence en… 1951.
La château d'Esterháza, où a été créé "l'Isola disabitata" de Haydn. Photo : DR
Un peu moins d’un an après la Finta
giardiniera de Mozart (http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_28.html),
l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris a donc porté son dévolu sur l’Isola
disabitata, sixième partition lyrique de Haydn. Cette
Île déserte a été créée le 6
décembre 1779 à Eisenstadt, dans l’Opéra du château d’Esterháza, salle
qui « surpasse en beauté et en somptuosité tout ce que l’on peut se
figurer en ce genre ». C’est là que Haydn a exercé l’essentiel de son
activité pendant près de vingt-cinq ans, de 1766 à 1790. Le livret de Métastase sur lequel le compositeur se
fonde pour son Isola disabitata avait
été précédemment utilisé par plusieurs compositeurs, dont Niccolò Jommelli
qui en a tiré deux versions. Le ton de l’« action musicale » de Haydn n’est pas à la
farce mais à la réflexion sur le couple, l’amour, la fidélité. En cela et en
bien des points, il préfigure l’Enlèvement
au sérail (1782) et Così fan tutte (1790) de Mozart. L’ouvrage se singularise
par l'absence de recitativo secco, récitatifs accompagnés et arie s’enchâssant. Doté d’une vie propre et intense, l’orchestre,
omniprésent, est un personnage à part entière. Il en est même le principal
protagoniste, soutenant et commentant le chant, trahissant l’âme et les pensées
des personnages. Ceux-ci sont au nombre de quatre, deux sœurs, Costanza et
Silvia, abandonnées sur une île déserte, deux hommes, Gernando et Enrico,
enlevés par des « barbares » et qui, après avoir réussi à s’échapper
de leurs geôles, débarquent sur l’île et rejoignent les deux femmes, l’aînée n’étant
autre que l’épouse du premier, tandis que la cadette aura le coup de foudre
pour le second... Haydn choisit quatre instruments solistes dans son orchestre pour
caractériser chacun des personnages, le violon pour Costanza, le violoncelle
pour Gernando, la flûte pour Silvia et le basson pour Enrico.
Haydn, l'Isola disabitata, Atelier lyrique de l'Opéra de Paris. Photo : (c) Opéra de Paris, DR
Coréalisée par Stephen Taylor et Dominique Pitoiset, ce dernier signant
également une scénographie dépouillée, efficace et évocatrice, la mise en scène
est vive et enjouée, animée par une direction d’acteur au cordeau, chacun des
jeunes interprètes se fondant dans son rôle avec un égal bonheur. Ces quatre chanteurs
de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris s’imposent par leur spontanéité, leur
présence, leur plaisir de jouer. Anna Pennisi, voix pleine au chaud mezzo, est
une ardente Costanza, Armelle Khourdoïan, au soprano lumineux, une Silvia
juvénile, charmeuse et avenante. Tiago Matos a tous les atouts pour être un
excellent Papageno. Ce solide baryton portugais campe un Enrico spontané et jovial,
parfaitement en phase avec l’ouvrage et le style classique viennois. Reste son
compatriote João Pedro
Cabral, moins sûr que ses comparses, engoncé dans son jeu à cause d’une voix
tendue dans les aigus et légèrement voilée, mais qui ne nuit en aucun cas à l’équilibre
du plateau.
Haydn, l'Isola disabitata, Atelier lyrique de l'Opéra de Paris. Photo : (c) Opéra de Paris, DR
Ce qui n’est malheureusement pas le cas de l’Orchestre-Atelier OstinatO. Alors
que l’orchestre, nous l’avons vu, est le deus
ex machina de cette « action musicale », la prestation des jeunes
musiciens qui le composent n’est pas à la hauteur de la distribution vocale.
Fautes d’attaques, décalages nombreux, archets lourds, justesse aléatoire… sont
par trop prégnants. La cuvée 2013 s’avère ainsi beaucoup moins convaincante que
celle de 2012. Cette différence est sensible dès l’ouverture, particulièrement
les quatre instruments solistes cités plus haut, qui annihilent le plaisir de l’écoute
dans le finale de l’ouvrage, pourtant délectable. La direction un brin raide d’Iñaki Encina Oyón ne peut hélas aider l’orchestre-école à la virtuosité et à la souplesse
indispensable à la fluidité de l’écriture instrumentale de Haydn. Et l’on se
met à regretter que l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris ne fasse pas appel au
Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris pour ses productions, à
juger de la grande qualité de l’orchestre réuni pour l’opéra Reigen de Philippe Boesmans le mois
dernier (http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/reigen-opera-de-philippe-boesmans.html).
Bruno Serrou
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