Théâtre de l’Athénée, lundi 16 avril 2012
Photo : DR
Le festival toulousain Piano aux Jacobins
(du nom du cloître érigé au XIIIe siècle par les Frères prêcheurs où
est donné l’essentiel des concerts) est une véritable pépinière pour les jeunes
artistes du clavier. Les organisateurs de cette manifestation fondée en 1980 par
Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan qui ont annoncé hier la
programmation de leur trente-troisième édition qui se déroulera du 4 au 28 septembre
2012 (1), a présenté lundi à Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, un concert de
préfiguration de la tournée qu’il effectuera en Chine fin mai-début juin. Reconnu
pour son art de la découverte de jeunes talents à l’orée d’une grande carrière,
ce festival a porté son dévolu pour ce récital sur le jeune et déjà confirmé
pianiste français David Kadouch, qui s’est produit pour la première fois aux
Jacobins en 2009, à Toulouse, puis en 2010, en Chine. A 26 ans, ce musicien d’origine
niçoise qui a parachevé sa formation à Madrid auprès de Dmitri Bashkirov et s’est
perfectionné auprès d’artistes tels Murray Perahia, Maurizio Pollini, Maria-Joao
Pires, Daniel Barenboïm, Vitaly Margulis, Itzhak Perlman, Elisso Virsaladze et
Emanuel Krasovsly, a déjà largement dépassé le stade de valeur montante pour s’imposer
déjà dans le club des grands et des musiciens les plus ouverts aux répertoires
les plus divers. Lauréat de l’Adami et de la Fondation Natexis, il s’est fait
remarquer par Pierre Boulez pour son ouverture à la création contemporaine et
pour son esprit aventureux qui l’incite à la découverte et à la redécouverte de
compositeurs et d’œuvres souvent négligés.
C’est un programme russe quasi conforme
à celui de son récital toulousain du 22 septembre dernier que David Kadouch a
présenté au public de l’Athénée, avec en contrepoint Claude Debussy dont les affinités
avec la musique russe sont connues, notamment avec Tchaïkovski et Moussorgski.
Le pianiste a choisi d’ouvrir son récital sur le Prélude et Fugue en sol dièse mineur op. 29 de Sergeï Taneïev
(1856-1915). Proche de Tchaïkovski, sujet des amours inconditionnelles de la
femme de Tolstoï sans même qu’il s’en doute, éminent professeur de composition,
mort à la suite d’une pneumonie contractée au cours des obsèques de son élève Alexandre
Scriabine, Taneïev est souvent considéré comme le Brahms russe, notamment en
raison de son extrême maîtrise du contrepoint, ce qui n’aurait pas été pour lui
déplaire tant il admirait son aîné allemand. Excellent pianiste (il créa plusieurs
œuvres pour piano de Tchaïkovski), il laisse étonnamment peu de partitions pour
piano seul, notamment cet opus 29 de
moins de sept minutes. David Kadouch en a donné la quintessence avec une
virtuosité naturelle, concentré mais sans forcer le trait, se faisant grave et
retenu dans le prélude et volubile dans l’Allegro
vivace e con fuoco de la fugue. A
peine moins rare et plus virtuose encore, la dixième sonate de Nikolaï Medtner
(1880-1951) connue sous le titre Sonata
reminiscenza op. 38 n° 1. Préludant aux huit Mélodies oubliées op. 38,
composée en 1918, cette sonate en un mouvement qui aurait été inspirée par le
poème Souvenir de Pouchkine est d’un
lyrisme tour à tour intériorisé et exacerbé, ce que Kadouch souligne non sans une
distanciation qui sied à cette œuvre aux confins du pathos. Les doigts glissent
sur le clavier comme en apesanteur tout en exaltant des sonorités riches, pleines
et colorées. Ce qui se confirme dans les deux préludes de Claude Debussy sur
lesquels le musicien a conclu la première partie de son récital, Les fées sont d’exquises danseuses extrait du second Livre dont Kadouch a exalté l’heureuse délicatesse, et Ce qu’a vu le vent d’ouest (Livre I,
7) dont il a magnifié les violentes rafales de ses doigts de magiciens
soulevant la houle chromatique.
La seconde partie du récital
était entièrement consacrée à l’une des œuvres pour piano les plus célèbres du
répertoire russe, les Tableaux d’une
exposition de Modest Moussorgski. Cette ample partition de trente-cinq minutes
se présente tel un grand poème pianistique en dix saynètes soudées par le
superbe thème russe richement harmonisé de la Promenade qui se présente à quatre reprises dans le développement
de la pièce. En fait de piano, c’est bel et bien un orchestre symphonique entier
que le compositeur russe déploie dans son ouvrage sans équivalent dans le
répertoire pour clavier, tant l’évolution harmonique est riche et polymorphe,
les résonnances infinies, la palette sonore d’une richesse inouïe. De ses
doigts d’airain courant comme en apesanteur sur le clavier, le corps ne
bougeant guère bien qu’il s’avère d’une présence indubitable, Kadouch se joue avec
entrain et spontanéité des phénoménales difficultés de l’œuvre et réussit la
gageure de donner une vie propre à chaque tableau qui semble se présenter sous
les yeux de l’auditeur tant le pouvoir de suggestion est prégnant dans cette
exécution d’une énergie singulière. A l’issue de cette pérégrination, le
musicien est apparu frais comme un gardon, et n’a pas hésité à se lancer dans
un bis assez dense, une Romance sans
paroles de Mendelssohn dont il s’est joué avec une souplesse de magicien des
arpèges staccato sur lesquels se
fonde pour l’essentiel la pièce empreinte d’une certaine nostalgie.
Bruno Serrou
1) http://www.pianojacobins.com
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