Paris, Salle Pleyel, mercredi 18 avril 2012
Photo : DR
Chaque passage à Paris de Daniel
Barenboïm constitue un véritable événement. Les salles sont toujours prises d’assaut,
les (rares) personnalités mélomanes des mondes de la culture et de la politique
s’y bousculent, l’accueil est constamment enthousiaste… Cela depuis le départ
de ce grand artiste au fort tempérament de l’Orchestre de Paris suivie de son éviction
de l’Opéra de Paris où il n’a pu mettre en place son prometteur projet à la fin
des années 1980 conçu en collaboration avec Pierre Boulez et Patrice Chéreau. Que
ce soit au Théâtre du Châtelet, où l’Opéra d’Etat de Berlin « Unter den
Linden » au grand complet se produisait régulièrement dans les années 1990
y donnant concerts et opéras (on se souvient de ses Wozzeck, Lohengrin, Fidelio, Elektra), où Salle Pleyel, soliste ou chef
d’orchestre, notamment avec celui qui lui tient le plus à cœur, le West-Eastern
Divan qui réunit des jeunes musiciens israélo-palestiniens, le succès est systématiquement
au rendez-vous. Cette semaine, dans le cadre de la saison Piano**** en collaboration
avec la Salle Pleyel, le chef argentino-israélien se produit sous ses deux
étiquettes de pianiste et de chef d’orchestre, ce qu’il a l’habitude de faire
depuis sa mémorable intégrale des concertos pour piano de Mozart avec l’English
Chamber Orchestra dans les années 1966-1970 publiée chez EMI.
C’est d’ailleurs dans deux des
concertos du même Mozart que Daniel Barenboïm s’est présenté à Paris ce mois d’avril.
Deux concertos dirigé et joué dos au public qu’il a mis en résonance avec autant de symphonies d’Anton
Bruckner. Mercredi, c’était le très expressif et puissant Concerto n° 24 pour piano et orchestre en ut majeur KV. 491 de 1786, sans doute l’un des plus somptueusement
orchestrés des concertos de Mozart. Barenboïm est pourtant apparu moins inspiré
que de coutume, grossissant un propos déjà plus dramatique que virtuose, ne
laissant guère passer de lumière, un piano défait de toute sensualité, proposant
dans le mouvement initial une cadence ad
minima, tandis le Larghetto a été
si intériorisé qu’il en était défait de grâce et de sérénité. L’orchestre quadri
centenaire a répondu précisément à l’interprétation de son chef à vie, se
montrant particulièrement sombre et dramatique. Le bis qu'il a donné en solo, le dos toujours tourné vers le public, s'est avéré long et fastidieux...
Daniel Barenboïm a en revanche
confirmé ses affinités avec la musique de Bruckner. Les fidèles de l’Orchestre
de Paris se souviennent de ses remarquables exécutions des symphonies du
compositeur autrichien, et les discophiles de sa première intégrale parue à la
fin des années 1970 chez Deutsche Grammophon qu’il a enregistrée avec le
Chicago Symphony Orchestra, suivie d’une seconde, dans les années 1990, avec
les Berliner Philharmoniker pour Teldec. Donnée dans sa version originale de
1883, avec la faute de copiste pourtant notée « non valable » qui
fait incidemment survenir un hallucinant coup de cymbales au point culminant du
mouvement lent, la Symphonie n° 7 en mi
majeur (1) a été un pur enchantement. Vision puissante, sensible, d’une
profondeur comme ressentie de l’intérieur, l’exécution a été digne du grand
wagnérien qu’est Barenboïm. Dès les premières mesures du mouvement initial exposées
aux violoncelles et au premier cor, cette conception de la Septième de Bruckner s’est avérée d’une beauté confondante, le ton noble
et altier, mettant en évidence la structure en arche immense qui aboutit à une
coda d’une ampleur extraordinaire où sonnent pour la première fois dans la
symphonie, à la toute fin du morceau, quatre tubas wagnériens aux sonorités
plus pleines et charnues que les quatre cors dont ils sont le prolongement et
les intermédiaires avant les post-horns (trombones). En effet, dédiée au roi
Louis II de Bavière, qui, rappelons-le, fut le protecteur de Richard Wagner,
cette symphonie, qui rend hommage au maître vénéré de Bruckner, est toute
emplie des sonorités de l’Enchanteur de Bayreuth, où il s’était rendu pour la
première fois en 1882 pour assister à la création de Parsifal alors qu’il était en pleine genèse de cette Septième. Le sublime Adagio, marqué « très solennel »,
est abordé dans un climat de mystère évanescent, avec des cordes d’une exquise douceur
qui exposent le thème initial avec une délicatesse inouïe, à l’instar du long
crescendo d’une tendresse et d’une nostalgie toute élégiaque, si bien que, à
son apogée, lorsqu’intervient soudain timbales, cymbales et triangle, le retour
à la réalisé est si violent et dramatique que l’atmosphère paisible semble
définitivement rompue. C’est sans compter sur le sens du drame qu’a Barenboïm,
qui retrouve rapidement la sérénité pour conclure dans un climat rasséréné. Abordé
sans précipitation, conformément à l’indication du compositeur, le Scherzo est mû avec allant mais gorgée de
délicates inflexions. Le finale, « mouvementé, mais pas trop rapide »,
de Barenboïm et de son éblouissante Staatskapelle de Berlin est époustouflant
de grandeur et de puissance, construit telle une fastueuse cathédrale de sons,
à l’architecture immense et majestueuse, marquant l’auditeur jusqu’au plus
profond de l’âme et du corps tel un hymne solennel à l’univers entier et à la
Création. Heureux ceux qui pourront entendre ce soir Salle Pleyel par les mêmes
interprètes la Symphonie n° 9 que
Bruckner dédia « au Bon Dieu »… mais laissa inachevée.
Bruno Serrou
1) DG (Universal Classics) vient
de publier la captation « live » de cette Septième Symphonie de
Bruckner réalisée à la Philharmonie de Berlin en juin 2010 par la Staatskapelle
Berlin et Daniel Barenboïm (DG 4790320)
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